La bombe Lisée

Magazine L’actualité Vol: 25 No: 3 1 mars 2000

En couverture : La bombe Lisée Par Pierre Cayouette


Un souverainiste, et non le moindre, vient de craquer. Dans ce qu’il appelle lui-même un « douloureux exercice de lucidité », Jean-François Lisée, ex-conseiller politique des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, affirme que le gouvernement québécois et les souverainistes font fausse route. Dans un livre-choc intitulé Sortie de secours, il constate que la stratégie référendaire actuelle ne mène à rien. Et qu’il est illusoire de penser retrouver la ferveur souverainiste qui avait suivi l’échec des négociations du lac Meech, en juin 1990. Le Québec n’a plus de cartes dans son jeu. Ottawa a gagné la bataille amorcée il y a plus de 30 ans par Pierre Trudeau et le French Power.

Depuis qu’il a quitté le cabinet du premier ministre Bouchard, en septembre, Jean-François Lisée a établi ses quartiers dans le sous-sol de sa maison d’Outremont. L’endroit a beau être plus paisible que le « bunker », ce boulimique du travail n’a pas ralenti son rythme pour autant. Le téléphone ne dérougit pas et les télécopies rentrent à la pelle. Frais comme une rose malgré une énième nuit blanche passée à peaufiner son manuscrit, l’increvable auteur venait d’en remettre les dernières pages à son éditeur lorsque L’actualité l’a rencontré.

Non, ce ne sera pas le livre qu’appréhendent ceux qui, parmi les ministres et les conseillers péquistes, mesuraient leurs interventions en sa présence et évitaient de laisser traîner des documents compromettants, de crainte de se retrouver un jour dans un best-seller. Car Jean-François Lisée est l’auteur du célèbre Tricheur (Boréal), biographie politique de Robert Bourassa, un document riche en révélations sur les coulisses du pouvoir. Pour l’ex-conseiller, il était hors de question d’écrire dès maintenant son expérience au cabinet Parizeau, puis Bouchard. « Je suis totalement en désaccord avec ce qu’a fait l’ex-conseiller de Bill Clinton, George Stephanopoulos, qui a écrit un livre sur le président pendant le mandat de celui-ci. Il y a là une rupture morale que je ne peux accepter. »

Mais, comme Le Tricheur, Sortie de secours risque de créer des remous. À quelques mois du congrès national du Parti québécois (en mai) – au cours duquel les militants procéderont à un vote de confiance à l’endroit de Lucien Bouchard – et au moment où le mouvement souverainiste s’enlise, il propose sa « clé » pour « déverrouiller » le débat constitutionnel. Il recommande aux péquistes de renoncer à un référendum sur la souveraineté et préconise, en lieu et place, la tenue d’un référendum « refondateur » sur les compétences dont le Québec devrait raffermir ou revendiquer l’exclusivité, tout en demeurant à l’intérieur du Canada. Il y a déjà plus d’un an que l’ex-stratège de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard est convaincu qu’un tel référendum est la seule issue possible pour les souverainistes. Son « exercice de lucidité », il l’a entrepris au lendemain des élections du 30 novembre 1998, qui ont reporté au pouvoir le gouvernement péquiste mais donné la majorité des voix aux libéraux (43,7% contre 42,7%). « Ces élections ont été un électrochoc. J’ai passé les vacances de Noël à me demander ce qu’on ferait. Dès la rentrée, j’ai esquissé un plan qui affirmait d’emblée qu’on ne se rendrait pas directement à la souveraineté. Il fallait imaginer une autre avenue qui permettrait au Québec d’avancer et qui pourrait nous y mener ultérieurement. » Aux yeux du sondeur Jean-Marc Léger, Lisée joue gros. « Ça va faire des vagues au sein du PQ et même en dehors de ses rangs. Nos sondages disent que deux Québécois sur trois veulent encore faire partie du Canada, tout en exigeant des changements majeurs. C’est ce que Lisée propose, une sorte de troisième voie. Personne ne l’a fait depuis le rapport Allaire. »

Sur la table de travail de Jean-François Lisée, un disque traîne. C’est Mozart for Your Mind: Boost Your Brain Power. « Ça m’aide à démarrer, certains matins. Tu vas écrire ça dans ton article? » s’inquiète-t-il, légèrement ennuyé. Cinq ans dans les officines du pouvoir n’ont pu chasser le journaliste en lui. S’il avait pu l’écrire lui-même, ce reportage, il l’aurait fait! D’ailleurs, quand il a eu vent que L’actualité préparait un article sur lui, sur sa démission et ses possibles différends avec Lucien Bouchard, il a soumis à la rédaction des noms de journalistes, ainsi qu’une liste d’amis à appeler! Des ennemis aussi. Parce qu’un panégyrique le desservirait, il ne le sait que trop.

Comme Mozart, qu’il écoute pour se fouetter les neurones, Jean-François Lisée a été précoce. « À 14 ans, il passait des heures et des heures à découper des articles de journaux et à se constituer des dossiers, se rappelle Denis Nadeau, un ami d’enfance qui enseigne aujourd’hui le droit à l’Université d’Ottawa. Il classait tout, méthodiquement, dans des caisses que lui fournissait son père, épicier prospère de Thetford Mines. Il savait qu’il serait journaliste et rêvait d’être l’émule de Bob Woodward (qui a mis au jour le scandale du Watergate) ou de Pierre Nadeau. » À 16 ans, étudiant au cégep, il est devenu correspondant à Thetford Mines du quotidien indépendantiste Le Jour. « Il nous a appelés pour nous offrir ses services. Au téléphone, son ton plein d’assurance ne nous laissait pas deviner son âge. Quand on a vu son visage de poupon, quelques mois plus tard, dans une soirée-bénéfice, on s’est rendu compte que c’était encore un enfant! » raconte en riant la rédactrice en chef du Journal de Montréal, Paule Beaugrand-Champagne, alors journaliste au Jour.

Pendant ses études en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) – la voie royale, à l’époque, pour devenir « avocat populaire » -, il travaille comme reporter de nuit à la station de radio CKAC. Il milite aussi au sein de la Ligue marxiste-léniniste du Canada, un égarement qui le fait aujourd’hui sourire. Quand je lui demande s’il n’a pas gardé de cette adhésion la « tentation du modèle théorique parfait » et le besoin de « croire » à tout prix, il se braque et, pour une rare fois, perd un peu de sa superbe. Mais il se ressaisit: « Je dirais plutôt que j’ai beaucoup d’idéal. Et c’est important d’en avoir beaucoup au commencement. Parce que ça réduit à la cuisson! »

Après un bref passage à l’agence NTR (la voix radiophonique de La Presse canadienne), il débarque à Paris, où il étudie le journalisme dans l’espoir d’obtenir un poste à l’Agence France-Presse (AFP), ce qui lui apparaît alors comme la quintessence du métier. Il devient plutôt pigiste de médias québécois et français à Paris (1981 à 1984), puis correspondant de La Presse à Washington (1984 à 1988). De retour au pays, il travaille comme reporter politique à L’actualité. « Il a été parmi les plus grands journalistes de sa génération, estime Paule Beaugrand-Champagne, qui fut sa patronne à L’actualité. C’est un être d’une intelligence supérieure. D’une grande honnêteté aussi. Il était farouchement indépendantiste, mais n’a jamais fait de journalisme militant. » Son scoop le plus fumant a été de révéler le contenu de documents internes du gouvernement libéral de Robert Bourassa en pleine campagne référendaire sur l’accord de Charlottetown, en 1992. Les notes des conseillers constitutionnels de Bourassa démontraient que le gouvernement libéral appuyait l’entente, même s’il la jugeait nettement insatisfaisante. Le jour de la publication du reportage de Lisée, Jacques Parizeau, alors chef du camp du Non au Québec, l’exhibait devant les caméras de télévision de tout le pays, recommandant d’acheter L’actualité. Le reportage a vraisemblablement contribué au rejet de l’accord au Québec.

En 1994, Jean-François Lisée publie Le Tricheur et Le Naufrageur, deux tomes volumineux qui comptent parmi les ouvrages politiques les plus percutants jamais écrits au Québec. Au terme d’une longue enquête fondée sur plus de 200 entrevues, il y accuse Bourassa de cynisme, de mensonge et de mépris à l’égard de la démocratie. Il lui reproche aussi d’avoir trahi les Québécois dans les mois qui ont suivi l’échec de Meech en titillant leur fibre souverainiste, et cela, sans jamais avoir eu l’intention de faire la souveraineté. « Lisée avait convaincu Robert Bourassa de tout lui révéler, se rappelle un ex-conseiller du premier ministre. M. Bourassa lui faisait tellement confiance qu’il avait aussi permis à ses conseillers de parler. La biographie devait paraître après les élections. Or, elle est sortie avant (en mai 1994), et on a eu l’impression d’avoir été floués. » (Voir à ce sujet lettre de Lisée plus bas)

Comme le sénateur Jean-Claude Rivest et bien d’autres « victimes » de Lisée, John Parisella, ex-chef de cabinet de Daniel Johnson, refuse de revenir sur cette affaire. Aujourd’hui, il se contente de saluer la « plume extraordinaire et la capacité de travail hors du commun de Jean-François ». Il ne peut toutefois retenir un commentaire: « Il fallait être naïf pour croire que Robert Bourassa allait faire la souveraineté. Même des souverainistes convaincus, comme Josée Legault, sont de cet avis. » Jean-François Lisée, qui faisait la morale à Robert Bourassa, était toujours journaliste à L’actualité, à l’été 1994, quand il a sonné à la porte de Jacques Parizeau pour lui offrir ses services. Il explique qu’il avait obtenu un rendez-vous avec lui pour une entrevue en prévision des élections de l’automne suivant. Le leader du PQ avait accepté, dit Lisée, à la condition que Daniel Johnson, chef du Parti libéral du Québec, accepte aussi. Or, Johnson avait refusé. Et Lisée s’était quand même rendu à sa rencontre avec Parizeau. « Je lui ai dit: « Bon, Monsieur Parizeau, il n’y aura pas d’entrevue puisque vous aviez posé une condition et qu’il m’est impossible de la remplir. Je pourrais m’en aller. Mais si vous me permettez de rester, j’aurais quelque chose à vous proposer. » » Lisée a alors mis de côté son rôle de journaliste et lui a offert sa collaboration. La réaction du chef péquiste fut on ne peut plus favorable. Et si Jacques Parizeau avait refusé? « Je serais resté journaliste. Et je peux donner une liste de journalistes québécois qui ont réclamé en vain des emplois au gouvernement du Québec et qui ont donc continué d’exercer leur métier! » Lisée n’en était d’ailleurs pas à sa première tentative. En 1990, il avait offert ses services au premier ministre Bourassa pour siéger à la Commission Bélanger-Campeau.

Dès son entrée au cabinet Parizeau, au lendemain des élections du 12 septembre 1994, Jean-François Lisée s’est présenté comme un apôtre de l' »ouverture ». Lui qui affirme ne pas être membre du PQ depuis le milieu des années 70, s’était donné comme mission de « dépéquiser » la souveraineté. « J’ai dit à M. Parizeau: « Le PQ ne pourra gagner le référendum seul. » J’ai posé une autre condition: je voulais assister au Conseil des ministres. » Quel souvenir garde Jacques Parizeau de Jean-François Lisée? Seuls quelques initiés le savent, puisque l’ex-premier ministre refuse d’accorder une entrevue à L’actualité depuis la publication d’un portrait de sa femme, Lisette (juill. 95).

Les libéraux, égratignés par Le Tricheur, ont fait des gorges chaudes de Lisée quand ils ont su qu’il irait servir le gouvernement péquiste. Jean-Claude Rivest, l’un de ceux qui furent le plus blessés par la teneur du livre, n’a pu s’empêcher de le railler: « Voilà la preuve que sa démarche, présentée comme un modèle de journalisme d’enquête, était avant tout partisane. »

Certains péquistes ne cachaient pas leur méfiance envers ce golden boy qui accédait aux plus hautes sphères du pouvoir. D’autres, qui avaient trimé dur dans l’opposition, rageaient de jalousie. Mais tous reconnaissaient à Jean-François Lisée une intelligence et une culture politique supérieures. « C’est un surdoué de la communication, dit Jean Royer, ex-chef de cabinet de Jacques Parizeau, aujourd’hui vice-président de Loto-Québec. Il écrit plus vite que je réfléchis! Et c’était un excellent stratège, même s’il n’avait pas une grande expérience du terrain. »

Ami intime de Jean-François Lisée, le journaliste et animateur du Téléjournal à Radio-Canada, Stéphan Bureau, le fréquente depuis 20 ans et ne cache pas son admiration. « Il a une conception très noble de l’engagement politique. Il croit à la politique avec un grand P, et je ne vois pas comment on pourrait douter de la sincérité de son engagement. » Beaucoup ont pensé que c’est cette amitié entre les deux hommes qui a permis à Bureau d’obtenir une entrevue exclusive avec Jacques Parizeau quelques jours avant le référendum de 1995. Or, il n’en est rien, affirment à l’unisson Lisée et Bureau. « Jean-François mettait les choses au clair avec ses amis. La démarcation entre sa vie privée et sa vie professionnelle était très nette », précise Stéphan Bureau.

Sur sa contribution au gouvernement, Lisée reste discret, même s’il a retrouvé sa liberté de parole. On sait toutefois qu’il a joué un rôle déterminant dans la stratégie référendaire. Les commissions régionales sur la souveraineté, c’est lui. L’expression « le camp du changement », c’est lui aussi. L’adhésion de l’Action démocratique de Mario Dumont à la coalition pour le Oui, c’était beaucoup lui. Le discours de Lucien Bouchard prononcé devant les anglophones réunis au théâtre Centaur, à Montréal, en 1996, et l’idée d’accroître la présence de ceux-ci dans la fonction publique, c’était du Lisée tout craché. « Il faut prendre soin des anglophones. Ils forment une minorité, avec tout ce que cela signifie. Ceux qui sont encore ici, c’est parce qu’ils ont choisi de rester. »

Au cours de ses cinq années en politique, Jean-François Lisée a écrit quelques-uns des discours les plus importants des premiers ministres Parizeau et Bouchard. « Il n’y a rien de mieux, pour un conseiller, que de tenir la plume. Parce qu’on fait progresser ses idées dans le texte. Cela se discute d’abord autour d’une table. Puis on écrit. M. Parizeau ou M. Bouchard me disaient, presque choqués: « C’est très bien amené. » » En janvier 1999, quelques semaines après la victoire sans éclat des péquistes, Lisée affirme avoir fait part au premier ministre Lucien Bouchard de sa proposition de tenir un référendum non plus sur la souveraineté, mais sur des compétences à affirmer. Le premier ministre a rejeté l’idée. « Après plusieurs mois de discussions, je lui ai dit: « Très bien. Je retire mes billes et j’irai écrire un livre pour défendre ma vision. » » C’est chose faite.

Si le premier ministre Lucien Bouchard avoue avoir regretté le départ de Jean-François Lisée, dont il était « très proche » – « J’aurais souhaité qu’il reste », dit-il -, il n’a pas voulu corroborer la version des faits de son ex-collaborateur. Il refuse aussi de se prononcer sur l’embarrassante proposition référendaire de celui-ci et précise qu’il ne serait « pas sérieux de commenter son livre avant de l’avoir lu ». Lucien Bouchard préfère insister sur l’homme: « Un lecteur vorace, d’une grande intelligence, qui a une plume aiguisée, vivante, et qui est doué d’un bon sens de l’humour. » Par exemple, au sujet de la célèbre déclaration de Jacques Parizeau le 30 octobre 1995, Lisée raconte à la blague: « Je lui avais dit de parler du « vote technique » et non pas du « vote ethnique »! »

Que fera Jean-François Lisée maintenant? On spécule beaucoup sur le sujet dans les milieux politiques. Décrochera-t-il un poste de haut niveau dans un ministère à vocation internationale? Retournera-t-il au journalisme? Écrira-t-il des romans à la John Le Carré (son auteur préféré)? Même ses plus proches amis l’ignorent. Avec ce sourire dont on ne sait jamais s’il est timide ou condescendant, Jean-François Lisée jure ne pas savoir ce qui l’attend. Il savoure cette pause dans sa carrière, accorde plus de temps à sa fillette, Marianne, et ne se montre nullement inquiet. Il est peut-être « victime de son assurance », comme le remarque son ami Jean Royer. Mais peut-il en être autrement quand, au début de la quarantaine, on a atteint les sommets du journalisme et qu’on a connu, selon son expression, la « musique du pouvoir »? Entre-temps, Lisée se dit prêt à partir en tournée cet hiver pour expliquer son idée aux militants péquistes, en prévision du congrès de mai. L’accueil que l’on fera à sa démarche déterminera son avenir.

« Il va toujours au bout de ses idées et de ses convictions », dit Paule Beaugrand-Champagne. « (…)

 


 

Encadré : LES DURES VÉRITÉS DE LA SOUVERAINETÉ

(extraits de Sortie de secours)


 

 

La souveraineté inaccessible

Je suis d’avis qu’aucun leader politique souverainiste ne prendra, dans un avenir prévisible et donc avant la fin du mandat gouvernemental actuel, le risque de déclencher un référendum sur la souveraineté à moins d’un renversement complet de tendance. Et j’ai acquis la conviction que ce renversement n’aura pas lieu.

La victoire d’Ottawa

[Après 33 ans de lutte entre le French Power et les souverainistes,] les « Québécois d’Ottawa » l’ont largement emporté sur ceux de Québec, ayant réussi à concentrer dans l’État fédéral un pouvoir judiciaire, constitutionnel, législatif, administratif et, désormais, budgétaire qui fait du gouvernement canadien l’acteur prépondérant de la vie politique.

L’exode des Anglos

Puisque la Révolution tranquille et la prise de pouvoir par les francophones, puis l’essor du mouvement souverainiste et le démantèlement des privilèges anglophones ont provoqué un exode important depuis 1960 […], il est raisonnable de penser que la souveraineté elle-même provoquerait un mouvement de population conséquent. Le départ de cent ou deux cent mille [anglophones] casserait d’un coup sec la relance économique que Montréal connaît depuis la fin des années 1990, aggraverait le déclin démographique du Québec et entamerait immédiatement la chute, en nombre absolu, de la population québécoise.

Le vote ethnique

Il est frappant de noter qu’hormis le premier ministre [Chrétien], tous les membres clés de ce gouvernement défenseur de ce qu’il tient à appeler les « Canadiens français » sont élus dans des circonscriptions où l’électorat non francophone est assez nombreux pour détenir les clés du vote.

50% plus un

Je ne suis pas de ceux qui auraient levé le nez sur un résultat référendaire où les proportions auraient été inversées le soir du 30 octobre 1995.

 


 

 

Encadré : UN QUÉBEC FORT DANS UN CANADA UNI

Dans Sortie de secours, qu’il publie ces jours-ci, Jean-François Lisée propose une solution de remplacement au référendum prévu sur la souveraineté. Un prochain référendum, soutient-il, devrait demander aux Québécois le mandat d’obtenir plus de pouvoirs, tout en demeurant au sein du Canada. Les Québécois indiqueraient s’ils désirent, oui ou non, « que l’Assemblée nationale et le gouvernement du Québec obtiennent, au sein du Canada, la capacité d’affirmer, lorsqu’ils le jugent opportun, leur autonomie pleine et entière en matière de langue et de droits linguistiques, de culture, de communications, d’immigration, d’éducation, de recherche, de santé et de programmes sociaux, de même que la capacité de gérer la représentation de la réalité québécoise dans le monde à même sa part de budgets et des services des ambassades canadiennes; la garantie que jamais moins des trois quarts des taxes et impôts perçus au Québec seront versés au budget du Québec; la mise en place d’un mécanisme d’arbitrage décisionnel qui puisse trancher les litiges budgétaires majeurs et l’obtention d’un droit de veto sur toute modification à ces droits. »

« Puisque la politique est l’art du possible, c’est la seule issue, la « Sortie de secours« . Il faut que les Québécois disent enfin oui. On sortira de la dynamique de l’échec dans laquelle nous sommes enfermés. On arrêtera de se faire répéter: « Ce que vous prétendez vouloir, vous ne le voulez pas vraiment » », estime Lisée, qui jure du même souffle n’avoir rien perdu de sa ferveur souverainiste et répète que « les arguments en faveur de l’indépendance semblent toujours imparables ». Ce référendum, explique Lisée, fera comprendre à nos partenaires canadiens « qui, des élus d’Ottawa ou de Québec, sont les véritables porte-parole des Québécois ».

La proposition de Jean-François Lisée est développée dans les deux derniers chapitres de l’ouvrage, qui s’avère en grande partie un plaidoyer en faveur de la souveraineté. Dans les premiers chapitres, il défend l’idée que « les Québécois ont fait du Québec, presque à leur insu, une réussite, un des grands succès du monde occidental ». Depuis quelques années, sans le savoir, ils vivent un âge d’or. Cet élan qu’a pris le Québec, soutient-il, est compromis. Ottawa fait tout pour couler financièrement le gouvernement du Québec.

Manie acquise au « bunker », Lisée a imaginé trois scénarios au lendemain d’un Oui à son référendum.

Premier scénario: le Canada refuse, sans provoquer de ressac au Québec. « Au moins, le rapport de force du Québec serait rétabli. »

Deuxième scénario: le Canada accepte, le Québec signe. « On coupe les moteurs de la souveraineté pour une génération. Les conditions gagnantes ne seraient pas atteintes tout de suite, mais le Québec se serait approché des meilleures garanties de son histoire pour préserver sa langue et son identité », écrit l’ex-conseiller.

Troisième scénario: le Canada refuse, les Québécois font la souveraineté.

Jean-François Lisée lance-t-il un ballon d’essai pour le gouvernement Bouchard? « Je sais que des théoriciens vont imaginer toutes sortes de choses. Mais je vous assure que Jean-François Lisée n’est pas en mission pour le gouvernement. C’est un esprit libre, et sa démarche est personnelle », répond le premier ministre Lucien Bouchard. « Ce serait plutôt le contraire », dit Jean-Marc Léger, qui, à la demande de l’auteur, a réalisé un sondage visant à étayer sa proposition. « La pression serait terrible pour Lucien Bouchard s’il entérinait une pareille proposition à la veille d’un vote de confiance. » Lisée se défend d’être à la solde de qui que ce soit. Il insiste: « Le sondage, je l’ai payé de ma poche. » Son éditeur, Pascal Assathiany, de Boréal, le confirme.

 


 

Dans le numéro suivant de L’actualité :


Lisée nous écrit :

J’aimerais apporter une correction factuelle à (« La bombe Lisée », 1er mars 2000) à propos d’un principe que je considère comme sacré: la parole donnée. Contrairement à ce qu’affirme une de vos sources, l’entente de confidentialité qui me liait à Robert Bourassa et à ses conseillers dans la préparation de ce qui allait devenir La Presse prenait fin au moment où le gouvernement atteindrait le terme de la démarche enclenchée par la Commission Bélanger-Campeau. Ce processus a pris fin le soir du référendum d’octobre 1992. J’ai publié Le Tricheur en 1994. M. Bourassa, retiré des affaires, m’a d’ailleurs accordé sa dernière entrevue au début de 1994, pleinement informé de l’imminence de la publication. À la question de savoir si j’ai publié le livre en espérant qu’il ait des répercussions sur les élections de 1994, je réponds d’une part que c’est le PLQ qui a choisi d’étirer son mandat jusqu’à l’extrême limite, pas moi, et d’autre part que, comme tout journaliste ou auteur, j’ai publié dès que j’ai été prêt, et tant mieux si les électeurs ont eu accès à ces informations avant de faire leur choix.

Jean-François Lisée