4- Dessiner un nouvel environnement fiscal international

(Je vous propose, en feuilleton, des extraits du livre Imaginer l’après-crise, légèrement retouchés.)

Les paradis fiscaux, lieu de toutes les évasions fiscales, sièges sociaux de complaisance et terre d’accueil des deux tiers des fonds spéculatifs au monde, auront désormais, a décidé le G20 de Londres en avril 2009, une obligation de transparence envers les enquêtes administratives et judiciaires provenant de pays qui veulent trouver, là, des sommes qui leur ont illégalement échappé. Une action beaucoup trop timide.

Or le principe même du paradis fiscal, de son caractère opaque ou semi-opaque, est un obstacle permanent à toute saine gestion de la fiscalité des corporations qui ont intrinsèquement intérêt à aller s’y réfugier, surtout si leurs concurrents le font.

Christian Chavagneux, rédacteur en chef de la revue française L’Économie politique, dresse l’État des lieux :

« D’après les données, incomplètes, dont on dispose, les paradis fiscaux représentent la moitié des activités internationales des banques (environ la moitié des dépôts et des crédits internationaux reçus et effectués par les banques proviennent et vont dans des paradis fiscaux) et concentrent un tiers des investissements directs à l’étranger des firmes, ce qui donne une image un peu bizarre de l’économie mondiale. Par exemple, les Bermudes reçoivent plus d’investissements des multinationales états-uniennes que la Chine, ou bien les résidents des Îles Vierges britanniques investissent plus en Chine que les États-Uniens et les Européens ! »

S’il fallait que, du jour au lendemain, les profits des corporations (et les revenus des individus) cachés dans ces paradis soient rendus imposables par leurs pays d’origine, les sommes perçues seraient colossales.

Or si chaque membre du G20 – notamment USA, Chine, Royaume-Uni, Russie – décidaient demain d’éliminer les paradis fiscaux, la chose serait faite. Ils en ont la capacité politique. Leur refus d’agir est ailleurs – et on soupçonne que l’enchevêtrement d’intérêts entre les puissances politiques et les puissances de l’argent bénéficiaires de ces paradis dans plusieurs des classes dirigeantes du G20 est tel qu’un geste de cette nature soit hors de question. D’autant que certains paradis fiscaux existent au sein des États — c’est le cas du Delaware aux États-Unis. Ce qui est d’autant plus blâmable que les paradis fiscaux sont également des plaques tournantes de l’argent du crime organisé dont les narcotrafiquants et, en plusieurs cas, du terrorisme.

Même les multinationales qui font un usage modéré des paradis fiscaux consacrent une ingéniosité de haut vol pour modifier les flux économiques dans leurs réseaux de filiales pour échapper au taux d’imposition plus élevé du pays A et afficher d’avantage de revenus imposables au pays B, au fisc moins gourmand.

Deux approches sont possibles pour réformer la fiscalité des entreprises multinationales et elles passent toutes deux par des traités internationaux.

La première suppose l’interdiction faite, aux entreprises multinationales, de posséder des comptes dans les paradis fiscaux. Toute preuve d’infraction entrainerait des sanctions. Mais cela semble pour l’instant hors de portée.

Ensuite, la fiscalité des transnationales devrait être déterritorialisée. Comme l’expliquent les auteurs français du livre 20 Propositions, un impôt global sur les profits serait institué, mais perçu par les États. La répartition se ferait, non sur déclaration des transnationales de la part de leurs profits générés dans chaque pays (c’est inextricable et facilement falsifiable) mais « sur les profits répartis en fonction du chiffres d’affaires, de la masse salariale et des investissements réalisés dans les différents pays », donc avec des critères assez facilement vérifiables.

Cette mesure générale augmenterait de façon importante et équitable les revenus fiscaux des presque toutes les nations – et auraient un effet très perturbateur sur la structure des coûts de la plupart des produits, l’évitement/évasion fiscale étant intégrée dans la marche normale des affaires. Au moment de l’instauration de cet impôt (qui remplacerait donc les impôts nationaux sur les profits des entreprises transnationales), il faudrait décider s’il doit produire un revenu global équivalent à celui généré auparavant, ce qui nécessiterait une réduction correspondante de la ponction fiscale, donc une réduction aussi pour les entreprises qui ne recourraient pas aux paradis fiscaux et s’en trouveraient récompensées.

Il y a une seconde approche, plus radicale. Qui paie vraiment pour la fiscalité des entreprises ? Les dirigeants ? Pas avec les salaires qu’ils se donnent. Les actionnaires ? Très rarement. Les consommateurs ? Souvent, car la fiscalité est intégrée aux coûts des produits. Mais la recherche économique récente veut que la fiscalité des entreprises soient surtout relayées en compression sur les salaires des employés, ou plus précisément en progression plus lente des salaires que ce n’aurait été le cas autrement.

Comme l’écrit l’économiste québécois Pierre Fortin, « l’important n’est pas de taxer les entreprises, mais d’imposer les individus riches ». L’hypothèse serait donc d’éliminer complètement l’imposition des profits des entreprises (mais non la tarification ou la taxation ou les redevances) et de reprendre sur les individus riches, par l’impôt, les sommes manquantes. D’autant qu’il faudra introduire simultanément une taxation environnementale importante, sur laquelle on revient sous peu.

Le geste rendrait caduc la nécessité même d’utiliser les paradis fiscaux pour les entreprises, réorienterait vers une activité productive les centaines de milliers de comptables et d’avocats employés pour gérer l’évasion/évitement fiscal des entreprises et un certain nombre de fonctionnaires payés à tenter de les prendre la main dans le sac. En prime, elle permettrait une progression plus rapide des salaires.

Pour des fins de faisabilité, cette réforme aurait l’avantage de diviser, au point de rendre schizophrènes – les organisations patronales. Favorables, évidemment, à l’élimination de l’imposition des entreprises, elles seraient apoplectiques devant l’augmentation de la fiscalité personnelle qui l’accompagnerait, et dont on discutera dans un instant.

ii. Contenir la spéculation et la primauté du court-terme

Réorganiser la fiscalité sur les profits des entreprises sur une base transparente et équitable serait un gain historique, mais il ne ferait qu’établir un ordre normal des choses. Il s’agit ici d’utiliser l’instrument fiscal pour modifier significativement les pratiques capitalistes nuisibles à l’économie, au social et à l’écologie.

Il faut trouver comment réprimer durablement deux éléments consubstantiels du comportement du capital : la spéculation et la course à des résultats à court terme, au mépris du bien-être à long terme.

Lionel Jospin a noté qu’en 2005, la spéculation sur les changes et les monnaies étaient plus de dix fois supérieures au PIB mondial. La livre anglaise fut touchée, mais aucun des membres de la zone euro, protégés par l’existence de cette monnaie commune. (Et on voit à l’été 2011 comment les spéculateurs tentent de « casser » la zone euro à ces points les plus faibles.) La transition vers une monnaie commune internationale (les Droits de tirages spéciaux du FMI, sur lesquels on reviendra) serait lente, certes. Reste que rien ne terrasse mieux la spéculation que l’absence de marges dans lesquelles jouer, surtout lorsque ces marges concernent les monnaies, donc la valeur du patrimoine de peuples entiers. Reste que la capacité, pour les nations, de faire varier la valeur de leur monnaie est (était) un important outil. Il est sans doute plus intéressant de garder la capacité d’avoir des monnaies nationales ou régionales mais d’affaiblir ceux-là même qui leur rendent la vie impossible: les spéculateurs.

Puisque les spéculateurs et, depuis 25 ans, un nombre croissant d’actionnaires ont usé de la bourse comme d’un casino, une modification des règles du jeu pourrait réduire leur champ d’action, donc leur capacité de nuire. Le fisc, par exemple, interdit régulièrement à un contribuable de déclarer une perte sur un titre qu’il vendrait et rachèterait moins de 30 jours plus tard, pour le remettre dans son portefeuille. Le principe d’une exigence de durée existe donc déjà, indirectement appliquée par l’État pour le calcul de l’impôt. Une durée minimale de détention d’une action ou d’une obligation pourrait donc être instaurée. Six mois, un an, davantage selon les types d’investissement ? Le débat est ouvert. Mais un délai minimal de propriété d’une action, ou d’une obligation, ou d’une devise, fermerait la porte sur le doigt de toute une industrie spéculative et canaliserait l’investissement vers le moyen ou le long terme, plutôt que sur des stratégies à courte vue et grands profits. (Des restrictions de ce type ont déjà été intégrées et on donné naissance à des stratégies fiscales d’évitement qu’il faudrait plus lourdement sanctionner.)

Une seconde avenue concerne précisément les rendements excessifs des corporations que les actionnaires ont exigés ces dernières décennies.

Historiquement, le rendement moyen d’une action en bourse est la somme du taux d’intérêt qu’on pourrait obtenir en achetant une obligation d’épargne sure et en y ajoutant 5%. Cela fluctue donc selon le taux d’intérêt du moment. Le rendement fluctue aussi selon l’habileté qu’a la corporation à surperformer par rapport à ses concurrentes. Mais si son rendement s’écarte significativement de cette balise, notent avec justesse les auteurs de 20 Propositions, « l’entreprise qui a engendré ce rendement a nécessairement pris des risques qu’elle fait directement porter à toute la société ». Les fonds spéculatifs et d’investissements qui exigent des rendements de 10 à 15% supérieur à cette norme, comme ce fut le cas depuis les années 1990, ne font rien d’autre que de « contraindre les corporations à délaisser tout plan d’investissement de long terme qui n’engendrerait pas immédiatement des rendements très élevés et les obliger à consentir à des prises de risque dans leur propre gestion financière dont on constate aujourd’hui le caractère déraisonnable », lit-on encore dans les 20 Propositions.

Lionel Jospin en a bien diagnostiqué les nombreux effets pervers :

« Pour assurer des revenus considérables aux actionnaires et aux acteurs financiers —avec ces gratifications dont des exemples spectaculaires et scandaleux nous sont offerts régulièrement par la presse de nos pays— il a été réclamé aux entreprises des taux de rentabilité et des marges de profit déraisonnables par rapport aux normes anciennes : souvent de l’ordre de 20 % ou plus. En conséquence, beaucoup d’entreprises ont orienté leur gestion vers le très court terme (et la recherche du profit maximum), ont opéré des délocalisations (vers les pays à faible coût de main d’œuvre), ont liquidé des établissements jugés peu rentables (selon les nouvelles normes) et recherché à comprimer leur masse salariale. Cette évolution que les gouvernements ont —selon les cas— encouragée, tolérée ou négligée, a créé un déséquilibre excessif dans la répartition des revenus entre le capital et le travail —au détriment du second bien sûr. »

Les auteurs des 20 Propositions suggèrent de décourager ces pratiques grâce à un impôt progressif appliqué sur ces rendements exagérés – un impôt qui, je précise, pourrait soit s’intégrer à l’impôt global discuté plus haut, soit n’apparaître qu’en cas de sur-rendement dans le cas de l’abolition de l’impôt sur les profits corporatifs. Ils imaginent qu’au-delà du rendement normal (taux d’intérêt + 5%), le niveau d’imposition progresse jusqu’à atteindre 50% du profit obtenu pour un écart de surperformance de 20%. On se demande pourquoi ils s’arrêtent à ce niveau, la courbe pouvant atteindre rapidement 100%, avec un effet dissuasif total. (L’idée d’un impôt progressif sur les profits des entreprises est inégalement appliquée selon les pays. Aux États-Unis, il va en ce moment de 15% pour les premiers 35 000$ de profits à 35% pour les sommes excédant 18,3 millions de dollars$. Il est souvent employé pour les redevances.)

Cela dit, l’entrepreneuriat (le vrai) qui favorise les « risques nécessaires » est une des forces,  non seulement du capitalisme, mais du progrès sous toutes ses formes. Il est donc indispensable d’introduire une distinction entre les risques indus que prendraient, par exemple, une institution financière, a priori stable, en jouant au casino avec l’argent de ses déposants, et les risques pris par une entreprise en biotechnologie dans la recherche d’un vaccin contre le cancer, ou par une entreprise qui cherche a développer une pile solaire ultra-efficace. Ces découvertes majeures méritent d’être récompensées par un « surprofit » pour attirer le plus de capital de risque possible. Le principe général de l’impôt sur les rendements exagérés devrait donc être levé pour un certain nombre d’activités économiques liées au développement du savoir et à la création de nouveaux produits et procédés, écologiquement sains, bien sûr.

Le revenu de cet impôt pourrait être réparti entre les nations où les transnationales ont une activité économique, selon la méthode de répartition décrite plus haut, car on présume que c’est chez eux que les risques indus ont été pris et que les dégâts ont été causés.

Ces mesures auraient pour effet de modifier les attentes, donc le comportement, des investisseurs. On en ressortirait avec un marché boursier transformé, où le nombre de transactions spéculatives aurait fondu considérablement, pour retrouver une fonction de répartition du capital à la recherche de rendements raisonnables fondés sur des investissements prudents, de moyen et de long terme.


iii. Instaurer la vérité du prix écologique

La grande entreprise sait que le temps du buffet écologique gratuit est révolu. La question qui reste est de savoir comment le coût réel des empreintes écologiques va être intégré à la structure des coûts des produits. En principe, rien dans la logique capitaliste ne s’oppose à cette introduction, car ces coûts nouveaux seront répercutés vers le consommateur – comme lorsque le prix du pétrole ou d’un autre intrant augmente. Les entreprises les plus innovantes réussiront à minimiser ces coûts, donc à vaincre leurs concurrentes sur les marchés. Certaines denrées, lorsque offertes au coût écologique réel – des fraises du Chili vendues à Moscou en février – deviendront des produits de luxe. Les consommateurs achèteront autre chose, à d’autres entreprises, sociales ou capitalistes.

La pomme de discorde concerne, comme toujours, l’équité avec laquelle ces coûts seront imposés aux entreprises d’un État, mais pas à celles d’un autre. L’introduction d’une taxe sur le carbone dans un pays, mais pas chez son concurrent immédiat, introduit une distorsion qui prépare son échec, si tant est qu’elle puisse obtenir l’aval de l’électorat. L’exemple canadien récent n’est pas probant à cet égard.

C’est pourquoi les négociations internationales concernant le changement climatique sont si importantes, non seulement pour le climat, mais pour l’introduction simultanée, dans tous les pays, de contraintes similaires imposées à l’ensemble de la production. (Avec des variations Nord-Sud dont on discutera plus loin.)

Se pose, là comme ailleurs, le problème des pays non signataires d’un futur traité sur le climat. Heureusement, en Europe et en Amérique, et avec l’aval d’un rapport conjoint de juin 2009 de l’Organisation mondiale du commerce et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, émerge le principe d’une taxe écologique, ou taxe carbone,  à l’importation. Un pays pourrait ainsi imposer des droits d’entrée aux produits de toute nation qui n’aurait pas intégré à ses coûts de production des obligations de respect de l’environnement semblable à celles votées aux États-Unis.

Certains pays européens, dont la France, sont favorables à ce principe. D’autres, dont la Pologne, grand producteur de charbon, sont contre, l’Allemagne étant neutre. S’il fallait que les deux marchés mondiaux les plus importants – les États-Unis et l’Union Européenne – érigent cette tarification, l’effet d’entraînement sur le reste des producteurs serait inévitable. Plutôt qu’une « course vers le bas » vécue ces dernières années pour la réduction des coûts, notamment du travail, on assistera à une « course vers le haut », ou du moins à une mise à niveau vers les normes du grand marché qui aura intégré les coûts environnementaux les plus ambitieux. Cela dit, les difficultés d’application d’une taxe carbone aux importations sont considérables. Le carbone ayant été utilisé pour la fabrication ou le transport de tous les produits, doit-on taxer le produit selon la quantité de carbone utilisé, selon la politique environnementale de son pays d’origine, et qu’en est-il des très nombreux produits fabriqués en plusieurs lieux différents, certains « propres » et certains « sales » ?

Quoiqu’il en soit, et si ces questions techniques peuvent être résolues, on pourrait également imaginer que des droits d’entrées pourraient également s’appliquer aux pays n’ayant ni ratifié ni appliqué le traité sur la triple reddition de compte dont j’ai parlé dans un extrait précédent.

Cette politique de tarifs écologiques soulève l’ire des pays émergents qui y voient une atteinte à leur « droit au développement ». Elle ne peut être introduite qu’en complément de programmes d’accompagnement des pays du Sud dont on parlera plus loin. Cette évolution, saine, fera des victimes inattendues, comme l’explique l’économiste et ex-député bloquiste Pierre Paquette dans la Revue Vie Économique. Selon lui, dans la mesure où le Canada n’adopte pas un programme de réduction des émissions aussi exigeant que ceux de l’Union Européenne (c’est peu probable), la taxe d’entrée imposée aux produits canadiens « pénaliserait au premier chef le Québec, qui représente plus du tiers des exportations canadiennes en Europe ». La province canadienne la plus verte serait ainsi la plus punie pour être située dans un pays brun.

Plus généralement, l’établissement, en voie de généralisation, des marchés du carbone introduisent également dans la logique économique un intérêt direct à réduire sa pollution et à innover en ce sens. A défaut, l’entreprise sera graduellement contrainte d’introduire le coût de ses émissions de carbone dans ses coûts de production, donc de se présenter face au consommateur avec un produit plus cher que celui de son concurrent qui, lui, aura trouvé une façon de réduire ses émissions. Et puisque la délocalisation dans un État moins écologique ne lui permettra pas de réacheminer ses produits dans le marché européen ou américain, il a peu de choses à faire que de réduire ses émissions.

Il n’y a rien d’impossible dans ce processus, déjà en cours. La grande compagnie chimique DuPont, par exemple, a réussi, de 1999 à 2007, à réduire de 7% sa consommation totale d’énergie (pas mal), de 70% ses émissions de gaz à effet de serre (impressionnant) tout en économisant 3 milliards $ (de quoi payer quelques primes). Les spécialistes parlaient il y a 15 ans du « Facteur 4 » comme horizon de réduction de l’utilisation des ressources, signifiant qu’avec un peu d’ingéniosité, on pouvait tirer quatre fois plus de produits de la même quantité d’énergie et de matières premières. Plusieurs États fixent maintenant comme objectif le Facteur 10, voire le Facteur 20.

Pour la chercheure québécoise de l’UQAM Corrinne Gendron, ce changement n’est pas que quantitatif. C’est-à-dire qu’il fait plus qu’ajouter un nouvel élément à l’encadrement réglementaire des corporations. Il est qualitatif. Il change la nature du système.

« La crise environnementale préside à de nouvelles conventions sociales qui pourraient faire basculer le principe premier de notre économie fondée sur l’accumulation, pour faire place à une économie de la préservation axée sur la gestion des passifs environnementaux, écrit-elle. C’est à ce basculement que pourrait mener une internalisation intégrale des coûts environnementaux. »

Cela se discute. La corporation continuera à vouloir l’accumulation. Elle sera contrainte de le faire dans le respect de la gestion des passifs environnementaux. Cela ne devient pas sa nouvelle raison d’être, mais sa nouvelle façon d’être. En ce sens, l’obligation de respect environnemental, dans le cadre de son objectif d’accumulation, fait certes du capitalisme le serviteur de l’objectif écologique, ce qui est considérable.

arton10338-38cefNous en revenons cependant toujours à la question d’échelle. Si, dans un délai de quelques décennies – pour atteindre notamment l’objectif de 50% de réduction des émissions en 2050 mais aussi un freinage majeur de la destruction de la biodiversité – le virage écologique s’opérait réellement, il signifierait que le monde économique aurait réduit considérablement l’intensité de sa destruction écologique, pour chaque produit livré. C’est le principe du recyclage : là où il fallait hier sacrifier un arbre pour produire un dictionnaire – une ponction insoutenable pour la forêt mondiale à long terme –, il ne faudra demain qu’un dixième d’arbre. Mais si l’émergence de milliards de nouveaux consommateurs en Chine, en Inde, au Brésil et en Russie décuple la demande de dictionnaires, le nombre d’arbres sacrifié sera, au total, le même – donc insoutenable pour la biodiversité.

C’est pourquoi, même avec une production plus verte, se pose simultanément la question de la réduction de la production, donc de la consommation. Ce dont nous traiterons dans la partie sur la Folie acquisitive. Pour demain, restons dans le champ de la fiscalité, celle des individus.

(La suite, ici.)