À voir (ou pas): Les deux papes – après les Fake News, la Fake History

Le film est extraordinairement intéressant. Les acteurs sont remarquables. Les dialogues, savoureux. L’arc narratif, savamment ficelé. On en ressort avec un très grand respect pour le pape actuel, François, et on se réconcilie avec son prédécesseur, Benoît, dont la rigidité idéologique s’efface derrière la sympathie qu’il éprouve graduellement pour le réformiste François, à travers lequel il entend la voix de Dieu. Dans la scène finale, l’argentin d’origine et l’allemand d’origine regardent ensemble la finale de la coupe du monde mettant en opposition leurs pays respectifs.

C’est fameux. Anthony Hopkins (Benoît) et Jonathan Pryce (François) sont au sommet de leur art. Et tout est faux. Tous les dialogues, toutes les situations, la confession qu’ils se font l’un à l’autre, les confidences, les sourires, le match de foot. Tout est faux. Et pourtant, le film s’ouvre sur les mots « Basé sur des faits vécus ».

Quels faits ? Les positions idéologiques différentes des deux hommes. Leur opposition. Le film tire de leurs désaccords réels le suc des dialogues fictifs. Le scénariste, Anthony McCarten, admet sans hésitation qu’il a « pris des risques » avec la réalité. Un risque payant, son film est en nomination pour les Oscars, notamment pour son scénario.

Scénariser la réalité, ou la tromper ?

Tant mieux pour lui. Mais j’éprouve un énorme malaise face au mensonge que constitue l’affirmation selon laquelle le film est fondé sur la vérité. C’est une oeuvre de fiction pour ce qui constitue le cœur du film – la relation amicale qui se serait développée entre les deux hommes. Pure invention. Mais s’en dégage une impression forte qui restera dans l’esprit, la mémoire, des millions de personnes qui le visionneront.

Que, pour des raisons de clarté et de tension dramatique, des films historiques prennent des raccourcis, télescopent des événements, inventent des dialogues, on le conçoit. Dans l’excellente série Tchernobyl, sur HBO, le rôle d’une scientifique est un composite de plusieurs personnes, le scénario concentre entre quelques individus des événements qui en impliquaient davantage. Mais le coeur du sujet, du déroulement, de l’intrigue, est historiquement juste.

C’est la preuve qu’il est possible de produire des films d’une très grande qualité dramatique, sans trahir l’essentiel de la réalité historique. Steven Spielberg l’a fait pour La liste de Shindler et pour Lincoln. Oliver Hirschbiegel l’a fait dans La Chute, sur les derniers jours d’Hitler.

Un fabulateur récidiviste

Le scénariste McCarten est un récidiviste. Il nous avait donné en 2017 le film Darkest Hour qui a raflé six nominations aux Oscars et un prix – meilleur acteur pour Gary Oldman, stupéfiant.

En 1940, Winston Churchill aurait été menacé d’un vote de non-confiance du parlement, donc risquait de perdre son poste, s’il s’entêtait à vouloir se battre contre les nazis plutôt que de négocier une trêve avec eux.

En plein cœur de cette tourmente, Churchill décide de prendre le métro londonien et de sonder l’avis des passagers. Ils sont unanimes, et lui donnent la force de renverser la situation. La scène est magnifique. Complètement inventée.

Le danger qui forme le cœur du film — un renversement politique de la position de Churchill — est aussi une fiction. Il y avait bien des individus favorisant la négociation, mais ils n’avaient pas l’importance que McCarten leur donne, n’avaient pas la capacité de démettre le premier ministre de ses fonctions, et le scénariste évacue de l’intrigue l’appui décisif donné à Churchill par l’opposition travailliste. Bref, le cœur du film est une invention.

Ce caractère fictif n’est nulle part signalé aux spectateurs. Ce qui fait que cette fausseté historique est désormais crue par des millions de personnes, alors que la vérité historique repose en paix dans des livres d’histoire ou des articles de revues lus par à peine quelques centaines de milliers de personnes.

C’est comme si, non contents d’avoir des Fake News, il fallait maintenant créer de la Fake History.

Cela peut faire de très bons films. Et des citoyens très bien désinformés.


La bande annonce de ma dernière balado Lisée101:

La bande annonce d’une récente balado Lisée202:

 

4 avis sur « À voir (ou pas): Les deux papes – après les Fake News, la Fake History »

  1. Cela devrait être sanctionné par l’industrie! Le cinéma est un médium de divertissement et c’est une bonne chose qu’il puisse œuvrer comme tel avec toute la latitude propre à l’art, mais lorsqu’il veut prétendre informer il doit être soumis à certaines règles. Contrairement aux Val es news qui existent dans l’immédiat, il est facile de contrôler l’exactitude de la plupart des faits historiques. Cest une honte de se servir de la notoriété de grands faits historiques pour sen amuser a loisir au profit de sa gloire personnel. Une honte et un exercice des plus nuisible. Cela tend également à démontrer à quel point les médias en général peuvent devenir les armes les plus puissantes.

  2. Comme je ne connais pas vraiment ce qui s’est passé, je ne peux évaluer la véracité de cette opinion.

    je me méfie autant de ceux qui déclarent que ce sont des mensonges que de ceux qui inventent les faits.

    Est-ce qu’on peut avoir un peu plus de références?

  3. Pas besoin d’aller bien loin. Une bonne partie de la population du Québec vit dans un environnement de « Fake History ».
    Tous les jours, un trouve sur les réseaux sociaux des individus qui s’acharnent à nous convaincre de la véracité de la « Fake History », seule cursus auquel ils ont été exposés.

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