Au sujet de Saint-René, pourfendeur de «Rhodésiens»

levesque-150x150Je ne rêvais pas, c’était bien écrit «Rhodésiens». Le mot désignait les Anglo-montréalais et était utilisé par René Lévesque dans un discours écrit — écrit ! — circa 1973. Conseiller de Lucien Bouchard 25 ans plus tard, j’avais fait monter des archives plusieurs discours du fondateur du Parti Québécois. Je voulais m’en inspirer pour souligner le quart de siècle des parlementaires péquistes élus en 1973.

Je tentais de trouver, page après page, la belle phrase, la citation porteuse qui, défiant le temps, ferait le pont entre lui et nous.

Certes, j’en ai trouvé. Mais le ton combatif de René Lévesque contre la minorité anglophone m’a frappé comme une tonne de briques. (Et contre les patrons ! Wow ! Il frappait fort !) Jamais Lucien Bouchard n’utiliserait ces mots, cette approche. Bernard Landry ou Pauline Marois non plus, d’ailleurs. Ces propos appartenaient à une époque de collision frontale entre francophones et anglophones. Aujourd’hui, c’est le français qu’on défend contre l’anglais — cela fait toute la différence.

Je signale évidemment cette anecdote car M. Bouchard affirmait cette semaine ne pas retrouver dans le PQ d’aujourd’hui celui de René Lévesque, plus ouvert, selon lui, aux immigrants:

«Je pense à René Lévesque. René Lévesque, c’était l’homme de la générosité. Il ne se posait pas de questions comme ça. Il n’avait pas peur de voir arriver les immigrants»

Il y a ici illusion d’optique. Certes, René Lévesque était un homme moderne et il voulait sa nation accueillante. Une de ses plus grandes peines fut d’être traité d’antisémite dans la presse américaine par les bons soins, entre autres, de Mordecaï Richler.

Justement, il fut accusé à l’époque d’être fermé aux immigrants, comme en est accusé le PQ d’aujourd’hui, très exactement. Chacun sait que la Charte de la langue française, adoptée en 1977, fut moins mordante parce que Lévesque en avait limé deux ou trois canines. N’empêche, la loi 101 qu’il défendit ensuite fut considérée par le Parti libéral du Québec, plusieurs grands penseurs de l’époque (Claude Ryan, en tête), les éditorialistes et le monde patronal, sans compter les organisations de défense des communautés culturelles, comme une intolérable agression contre l’autre, l’immigrant, l’étranger.  Les accusations de nazisme et de racisme pleuvaient et un grand journaliste canadien, Peter C. Newman, accusa Lévesque, à l’occasion de son discours à New York, de n’être qu’un «singe dans un smoking loué».

Qu’avait fait René Lévesque pour mériter un tel traitement ? Il avait choisi comme titre du premier chapitre de son manifeste Option Québec les mots «Nous autres». Pendant la crise linguistique de Saint-Léonard, lui et son parti avaient combattu le droit, invoqué par les Italo-montréalais, de choisir la langue de leur école, ce qui leur a valu moult accusations de fermeture et d’intolérance. Conséquent, Lévesque a introduit avec la loi 101 un changement contraignant, créant deux classes de citoyens au Québec: ceux qui avaient le droit d’aller à l’école anglaise et tous ceux qui, arrivés après 1977, donc tous les futurs immigrants, n’y auraient pas droit.  Avant que la Cour suprême ne s’en mêle, il prévoyait même empêcher les citoyens canadiens déménageant du Rest of Canada vers le Québec d’envoyer leurs enfants dans les écoles de ceux qu’il appelait les «Rhodésiens».

Beaucoup de grands noms du patronat montréalais, dont le futur premier ministre Daniel Johnson, dénoncèrent cette loi dans une pétition célèbre où ils y allaient de cette prédiction: la loi 101 fera des Québécois des «analphabètes fonctionnels».

Parlant de «Nous autres» et assurant par des lois audacieuses et structurantes l’intégration des nouveaux arrivants au sein de la majorité francophone, René Lévesque valait beaucoup mieux que les procès d’intolérance qu’on lui faisait. La preuve: sa loi fit en sorte de rendre le Québec à la fois plus français et plus pluriel que jamais.

Parlant de Nous et voulant affirmer par des lois audacieuses et structurantes une meilleure intégration encore des nouveaux arrivants au sein de la majorité francophone, le Parti Québécois d’aujourd’hui vaut beaucoup mieux que les procès d’intolérance qu’on lui fait. Ses projets (transparence totale: j’ai participé à leur élaboration) rendraient le Québec à la fois plus français et plus pluriel que jamais.

Les chefs successifs du Parti Québécois devraient le savoir mieux que quiconque.

Lévesque, souvent accusé d’intolérance (Photo D Cameron, archives)