Cégeps en français : un peu d’ambition, que diable !

dawson_college-150x135Le débat est relancé, avec une fougue nouvelle.  Il dominera le grand colloque qu’organise le PQ en fin de semaine prochaine. Une seule proposition viable est sur la table: prolonger au niveau collégial la loi 101. En clair: enlever aux allophones arrivés après la loi 101 (en 1977) et à tous les francophones  le droit d’envoyer leurs ados aux Cégeps anglophones. Les anglos et les allos pré-1977 continueraient de se collégialiser dans la langue de Shakespeare sans jamais avoir mis les pieds dans un établissement scolaire francophone.

Ce n’est pas anodin. Les cégeps sont l’endroit où se forment et transitent toutes nos élites de demain: futurs leaders, ingénieurs, médecins, professionnels, techniciens et tutti quanti. A l’heure actuelle, presque 100% des cégépiens anglophones, 50% des allophones et 4% des francophones sont formés dans les institutions de la minorité. Voilà le problème que l’extension de la loi 101 ne réglerait nullement. Il y a une autre option.

1. Fusionnons les cégeps en un seul réseau de la prédominance du français. Partout où c’est possible, et totalement dans la région montréalaise, faisons en sorte que tous les cégépiens reçoivent les trois-quarts de leurs formation en français et le quart, en anglais.

Ainsi, on donnerait un coup de barre structurel majeur, osons dire historique, un bain francophone réel pour la totalité de nos élites de demain et on répondrait simultanément à la demande massive des parents francophones et allophones de voir leurs enfants bien connaître leur langue seconde, l’anglais.

2. En détails: tous les étudiants, de toutes origines, auraient accès à tout le réseau. À la filière générale, menant à l’université, les francophones  suivraient leurs cours en français pendant les trois premières sessions (avec leurs cours d’anglais hebdomadaire, déjà obligatoire), puis auraient un enseignement intensif en anglais dans la dernière session, y compris sur leurs sujets d’étude. Même topo pour les techniques, mais réparti sur trois ans.

Les anglophones et allophones anglicisés auraient également les trois-quart de leur enseignement en français, mais on pourrait moduler pour que leur quart en anglais se donne pendant leur première année de cégep, étant entendu qu’ils continuent de prendre leur cours de français hebdomadaire, obligatoire, pendant tout le parcours.

Résultat: des cohortes ayant vécu une expérience francophone, avec des profs et des collègues francophones, un accès aux réseaux de travail francophones. En prime, une acquisition opérationnelle de la seconde langue pour tous.

3. La marche linguistique serait-elle trop haute pour les étudiants? Elle suppose en effet qu’on devienne sérieux pour l’apprentissage de la langue seconde au secondaire, en introduisant ce qui fait consensus chez les pédagogues: des sessions intensives de langue seconde en fin de secondaire III et V dans les deux réseaux, anglais et français.

4. Quel impact en termes de nombre ? Voyons simplement le cas du plus gros cégep au Québec. Vous pouvez le nommer ? C’est Dawson, anglophone à 100%, dont les inscriptions sont en hausse de 12% par an, le triple de la moyenne, comme le signale Pierre Dubuc, dans L’aut’Journal. À Dawson, 59% des étudiants sont anglos, 25% allos et 16% francos. Avec la réforme proposée ici, tous auront leur enseignement principalement en français. Voyons maintenant les chiffres globaux: une fois en place, la simple extension de la loi 101 au collégial n’intégrerait au système francophone que 3 à 4000 cégépiens. Le cégep de la prédominance du français en intégrerait dix fois plus: environ 30 000.

4. N’est-ce pas bilingualiser les cégeps ? Non. L’institution est et reste francophone. Elle répond simplement, en augmentant la dose, au besoin d’enseignement de la langue seconde. L’anglais et le français sont des matières obligatoires. On prend les moyens de les enseigner correctement aux cohortes d’études supérieures. On vise une connaissance fonctionnelle de la langue seconde, pas un bilinguisme parfait. Et cela se fait dans un réseau qui affirme clairement la prédominance du français pour tous, dans une réforme qui est un gain linguistique net pour le français.

5. Comment réagiraient les francophones ? On le sait déjà, grâce à un sondage Léger Marketing publié après la sortie de mon livre Nous, qui abordait la question. 76% des francophones sont favorables à la proposition.

6. La communauté anglophone ne serait-t-elle pas en furie ? The Gazette et Alliance Québec, oui, c’est dans leur code génétique. Mais 61% des non-francophones y sont favorables, selon Léger Marketing, ce qui est considérable. Les parents anglophones sont aussi intéressés que leurs voisins francophones à voir leurs enfants bien maîtriser leur langue seconde.

7. La constitution le permettrait-elle ? Au point de vue constitutionnel, rien n’interdit cette réforme. Rien n’empêche non plus qu’au point de vue institutionnel, les établissements collégiaux anglophones soient toujours gérés par la communauté anglo.  Cependant, comme le soulignait Christian Rioux dans Le Devoir, l’idée qu’une minorité linguistique puisse faire tout son parcours dans la langue minoritaire est simplement sans équivalent en Europe (et, pourrais-t-on ajouter, aux États-Unis).

8. N’y aurait-t-il pas de grands problèmes de mise en oeuvre ? Il y en aurait 10 000, comme pour toute grande réforme. Qu’on fasse un projet pilote, qu’on échelonne l’implantation sur 10 ans.

9. Quel réel impact linguistique ? Le mathématicien de la langue Charles Castonguay écrit très justement , non au sujet de cette proposition mais en général,  que:

Pour un allophone, étudier en français prépare à travailler en français. Et travailler en français dispose à adopter le français plutôt que l’anglais comme nouvelle langue d’usage à la maison. Et à élever ses enfants éventuels dans la même langue, contribution insigne à l’avenir du français au Québec.

J’ajoute que cette réforme permettrait la création de réseaux réels entre Québécois de toutes origines, réseaux forgés sur les bancs d’école, à une période essentielle de la jeune vie adulte. Elle induirait également une saine exogamie. Elle dirigerait davantage d’allophones, ensuite, vers les universités francophones. Il s’agirait d’un pas important, à la fois pour la prédominance du français et pour le nationalisme civique, sans compter une augmentation de la rétention des jeunes non-francophones québécois, mieux préparés à réussir, en français, au Québec.

La proposition d’étendre la loi 101 aux cégeps est compréhensive. Mais elle me semble frileuse et défensive. Pour relancer le français au Québec maintenant, il faut être audacieux et offensifs.