Cher Journal: 365 jours plus tard (dans la Métropole)

Cher Journal,

C’était le 27 septembre 2012, devant l’assemblée des maires de la CMM. Le temps était lourd. L’inquiétude, palpable. À la Commission Charbonneau, défilaient déjà des corrompus et des corrupteurs, avec des noms de compagnies s’accumulant dans le box des soupçonnés. Sur le visage des élus, se lisait une grande frustration, née de l’impuissance.

À notre arrivée au pouvoir, les élus n’avaient aucun moyen d’accepter ou de refuser de donner un contrat à une compagnie soupçonnée de fraude. Au contraire, ces refus les exposaient à des poursuites. L’inaction du gouvernement libéral précédent les plongeait dans un dilemme éthique insoluble. Incapables juridiquement de dire non aux fraudeurs présumés, incapables politiquement d’expliquer à des citoyens légitimement furieux que rien ne changeait.

Nous n’étions nommés ministres que depuis huit jours lorsque je me suis présenté devant la CMM, et la presse, pour donner un premier signal aux élus de la métropole. 1) mes collègues du Trésor, du Travail et des Municipalités travaillaient en priorité sur un projet de loi qui allait soumettre à un test d’intégrité toutes les entreprises contractant avec les pouvoirs publics, 2) dans l’intervalle, l’État québécois allait donner une latitude maximale aux municipalités pour qu’elles puissent repousser les décisions les plus indésirables.

« Vous venez de faire ma journée », a commenté un maire présent, visiblement soulagé.

Nous avions tout un programme, pour la métropole, et nous le réalisons. Mais la tâche de reconquête de l’intégrité qui nous a été imposée allait concentrer notre énergie. La dernière décennie avait plongé les villes dans un marais éthique politiquement corrosif et économiquement désastreux. Notre première tâche serait de les accompagner, le plus vite possible, mais avec toute la rigueur nécessaire, hors de ce marais. Nous n’y sommes pas complètement parvenus encore, tant la tâche est lourde. Mais nous avons fait une bonne partie du chemin et nous savons par où en sortir: par le chemin de l’intégrité.

Ministre de la Métropole, et des maires temporaires

En acceptant la charge de ministre de la Métropole, je ne pensais pas qu’une partie de ma tâche consisterait à gérer la pire crise politique de l’histoire de Montréal et de Laval. D’accompagner vers la sortie les maires Tremblay et Vaillancourt. De me réveiller un matin pour apprendre que le maire Applebaum était arrêté. Ou que le second maire de Laval trempait dans une affaire louche.

La ligne de conduite que la première ministre, mon collègue Sylvain Gaudreault des municipalités et moi-même avons constamment suivie fut celle du respect des institutions montréalaises. À ceux qui réclamaient des mises en tutelle immédiates et à répétition, nous répondions que les élus devaient prendre leurs responsabilités et faire fonctionner leurs institutions, jusqu’à l’élection de novembre. La crédibilité de la démocratie municipale nous semblait plus importante que l’arrivée ou le départ d’individus, ou que des effets de toge venant de l’Assemblée nationale. Montréal a besoin de respect, pas de dictats.

Le cas de Laval devint différent quand la Commission Charbonneau a révélé que la plupart des conseillers avaient participé au système de prête-noms. De plus, le DG de la ville et son adjoint venaient d’être évincés, décapitant l’administration de la ville. Le maire demandant lui-même la tutelle, cette solution s’imposait.

Des moments forts

De cette première année, je retiens quelques moments forts.

La renaissance de l’îlot Voyageur, annoncée début juillet avec Mme Marois, fut l’aboutissement d’un labeur de plusieurs mois avec une demi-douzaine d’intervenants. Il me semblait essentiel de faire de cet édifice abandonné, non plus le symbole d’un échec, mais le signe d’une relance. Les travaux de rénovation et de construction débuteront sous peu, offrant 700 appartements abordables et revitalisant cette portion du Quartier latin.

La bataille de l’OACI. Une bataille-éclair, en fait, ouverte au printemps lorsqu’on a appris que le Qatar se proposait de s’emparer du joyau que constitue le siège social de l’Organisation de l’aviation civile internationale, de ses 700 salariés et de la centaine de millions de dollars de retombées économiques annuelles. Le Qatar, aux poches profondes, ayant récemment réussi à obtenir le Mondial de Soccer et une exposition internationale, nous avons pris cette menace au sérieux.

Notre mobilisation, avec Montréal et le ministre fédéral John Baird, fut immédiate et totale. Tous les réseaux de la diplomatie québécoise et canadienne furent mis en branle (avec des rencontres conjointes de nos représentants de Paris à Pékin), et les réseaux de l’importante grappe aérospatiale de Montréal fut aussi mise à contribution. L’offensive fut victorieuse, le Qatar retirant sa proposition en moins d’un mois, avant même qu’elle ne puisse être soumise au vote. En prime, cette campagne a permis une mise en valeur, locale et mondiale, de Montréal comme capitale internationale de l’aviation civile, et la réputation enviable d’avoir remporté la mise face à un redoutable concurrent.

Montréal, capitale de la création. Le 2 octobre 2012, j’ai eu le coup de foudre, lors de la présentation de C2-MTL, la conférence imaginée par Sid Lee et le Cirque du Soleil pour faire de Montréal, en mai de chaque année, le Davos de la créativité. J’ai compris combien cette occasion était essentielle pour faire connaître aux Montréalais leur extraordinaire potentiel de création, et pour le faire savoir au monde.

Avec mon équipe, nous nous sommes assurés que le financement gouvernemental serait au rendez-vous, nous avons mis le réseau des délégations du Québec dans le coup (notre délégué à New York, André Boisclair, a fait venir le maire de Brooklyn et une délégation d’affaires), avons dirigé le ministre wallon de l’Économie et sa délégation vers l’événement, avons arrimé la chose avec une trentaine de jeunes entrepreneurs français et québécois avec l’Office franco-québécois pour la jeunesse, et avons vu le résultat des efforts des organisateurs de l’événement:

50 conférenciers de haut niveau, 150 journalistes, 400 entreprises, 2000 participants dont 60 % venus de l’extérieur du Québec. Un succès retentissant. Une réputation grandissante. Une grande promesse d’avenir.

Voir plus loin que la crise

J’ai senti que mon rôle était aussi de voir plus loin que la crise en cours, plus loin que la morosité ambiante et le pessimisme, pour contribuer à donner une perspective aux Montréalais et aux acteurs du milieu.

Me déclarant « Montréalo-optimiste » dans mon premier discours comme ministre de la métropole, j’ai tenté d’être contagieux. En organisant notamment, avec la Chambre de Commerce, le premier Forum des Grappes industrielles.

Ayant rencontré chacune des grappes tour à tour, j’étais frappé par le nombre et la qualité des projets. Il fallait que ça se sache. Que les grappes se parlent entre elles, s’échangent leurs meilleures pratiques, rendent leur dynamisme contagieux. En mai, plus de 600 participants venaient assister à ce premier forum, et en sont ressortis plus résolus et plus optimistes.

J’ai multiplié mes interventions, à l’Assemblée annuelle de Montréal International (nommée meilleure agence de recrutement d’investissement par une publication économique internationale), devant les invités de la Fédération des chambres de commerce du Québec, devant ceux de l’Agora métropolitaine, dans des réunions avec des groupes d’entrepreneurs francophones et anglophones, dans des rencontres régulières avec des organisations communautaires agissant sur tout le territoire.

Mon message: La métropole regorge de projets, d’énergie, de création, de bonne volonté, qu’il faut harnacher pour faire émerger, malgré et au-delà de la crise politique et de la congestion routière. Montréal a un rendez-vous, son anniversaire en 2017, qui doit être la date de sa relance, comme le 400e fut le signal de la fierté nouvelle de Québec.

Tant à faire

Cette semaine nous avons donné, avec Mme Marois et mon collègue Pierre Duchesne, le signal du départ de la construction du nouveau quartier des sciences de l’Université de Montréal sur l’ancienne gare de triage d’Outremont. En juillet, je l’ai dit, c’était l’îlot Voyageur qui était relancé. En juin, j’étais présent au lancement du Quartier de l’innovation, qui allie McGill et l’ÉTS, dans Griffintown.

C’est le Montréal du savoir qui s’organise, qui se construit, qui émerge, avec notre enthousiaste appui.

Il y aura aussi, dans les mois qui viennent, des résultats du travail effectué pendant la première année:

Nous avons aussi beaucoup planché, pendant les derniers mois, sur le thème de la rétention des familles sur l’île de Montréal, et j’ai hâte d’en parler. Sur les transports collectifs aussi, auxquels on met, avec Sylvain Gaudreault, la dernière main.

J’ai repris un dossier orphelin, mais essentiel pour Montréal: les édifices vidés par la création du CHUM et du CUSM, soit le Royal Vic, l’Hotel Dieu et quelques autres. Nous allons proposer un processus ordonné et ouvert pour discuter de la réutilisation de ces installations majeures.

Au sujet de la gouvernance de Montréal, nous avons nommé l’ex-ministre Jacques Léonard qui a produit un rapport important sur des réformes à appliquer. Mais nous avons annoncé qu’il appartenait aux candidats municipaux de proposer et de débattre des réformes qu’ils souhaitent pour la ville, l’agglomération, la CMM.

Lorsque l’élection de novembre aura eu lieu, que les élus auront leurs mandats, nous serons au rendez-vous, à Québec, pour accompagner ces réformes.

L’élection, à Montréal, à Laval et ailleurs dans les 82 municipalités de la Communauté métropolitaine, doit donner le signal d’un nouveau départ. Nous n’aurons pas fini de régler nos comptes avec le passé. Les policiers et les juges s’en chargeront. Mais nous pourrons nous tourner vers l’avenir, vers notre rendez-vous de 2017. Je vous y convie.

Pour mon bilan en tant que député de Rosemont, cliquez ici.

8 avis sur « Cher Journal: 365 jours plus tard (dans la Métropole) »

  1. Montréal a un rendez-vous, son anniversaire en 2017, qui doit être la date de sa relance, comme le 400e fut le signal de la fierté nouvelle de Québec.

    Je souhaite aux Montréalais, autrement, un rayonnement de leur ville en 2017 à la hauteur de celui qu’elle a connu lors de l’exposition universelle de 1967.

    Pour me replonger dans la culture de l’époque j’ai réécouté cette chanson de Stéphane Venne, interprétée par Renée Claude : Le début d’un temps nouveau http://www.tagtele.com/videos/voir/49934/ Ça tranche de Dégénération, celle de Mes aïeux.

    J’ai aussi réécouté cette autre pour l’occasion du même auteur-compositeur, interprétée par Donald Lautrec tagtele.com/videos/voir/8550/.

    Cinquante ans plus tard, avons-nous encore les ressources humaines nécessaires à la réalisation de nos ambitions politiques mondiales ?

    Je trouve que Jacques Parizeau est passé vite sur cette question dans son La souveraineté du Québec : Hier, aujourd’hui et demain, 2009.

    Vous étiez plus au fait et expansif en 2000 dans votre Sortie de secours.

    J’ai confiance, comme disait Lucien Bouchard. Ayant été proche de lui, vous savez mieux que moi ce que ça veut dire.

    Merci pour vos bilans.

  2. Je sais combien cela peut être un défi de taille et beaucoup de travail quand nos ambitions sont à la hauteur des vôtres. Je vous savais bon analyste, je vous connais mieux comme acteur et instigateur de la sociale-démocratie. J’ai confiance en vous, Mme Marois et plusieurs de vos collègues. Je dirais aussi que ce n’est pas un hasard si vous avez été élu minoritaire. Je crois que le peuple dans sa sagesse a voulu un changement de gouvernement pour donner la chance au coureur. A mon humble avis vous avez passé l’examen haut la main et vous méritez d’être réélu majoritaire pour que vous puissiez nous amener aux portes d’un Québec indépendant, fier, prospère et socialement responsable. Quant à moi, vous et Mme Marois m’avez convaincu de m’impliquer à nouveau. Je serai des vôtres dans les mois qui viennent pour organiser les prochaines élections.

  3. Bravo�à vous ! Le travail est immense et la route est remplie d’embûches! L’ultime défi n’est-il pas de parvenir à rétablir une cohésion sociale, un nouvel enthousiasme autour d’un projet inspirant, une nouvelle confiance en un avenir collectif. Par ailleurs, la quasi stagnation de la croissance de notre population ne devrait-elle pas préoccuper l’ensemble de l’équipe ministérielle. De plus, Ne devriez-vous pas élargir le mandat de l’Office de coopération franco-Québécoise afin d’attirer un plus grand nombre de diplômés des 150 lycées français établis dans les cinq continents. Si les diplômes décerné par ces établissements sont reconnu comme étant Français, si les établissement d’enseignement sont reconnu comme une maison d’enseignement Français, pourquoi le Gouvernement du Québec ne pourrait-il pas accorder à ces finissant un statut équivalent au citoyen Ffrançais. De la sorte, quelques centaines d’étudiants francophones provenant de l’étranger ne pouraient-ils pas venir poursuivre leurs études dans nos collèges puis éventuellement dans nos universités? En tant que responsable de la métropole et mandataire de la francophonie, ne devriez-vous pas vous intéresser à ce dossier de coopération culturel, économique et démographique.

  4. S’il s’agissait d’une année bissextile, je vous demanderais où vous étiez durant toute cette journée de loisir ? …

    Le Québec a tellement besoin de votre gouvernement compétent, transparent, intègre et résistant.

  5. J’apprécie votre enthousiasme qui ne se dément pas. Je suis aussi une passionnée de Montréal et du Québec et une optimiste indécrottable. Merci pour le travail accompli.
    J’aimerais en profiter pour dire que la grande majorité des élus se dévouent corps et âmes et que le cynisme actuel ne leur rend pas justice. Merci encore.

  6. Merveilleux tout ce travail , vous méritez mes félicitations .Une première année .Merci.

  7. Monsieur Lisée,

    Malgré tout le bilan positif des actions de votre gouvernement et dont vous nous entretenez hier et aujourd’hui, rien n’indique votre intention de parler d’indépendance, i.e. d’en faire la pédagogie et la promotion. S’il vous plaît, après une année au pouvoir, il serait grandement temps de vous y mettre. Mille mercis de considérer ma demande.

  8. MERCI ENCORE POUR CETTE INFORMATION PRIVILÉGIÉE!

    CONTINUEZ AVEC LA MÊME PASSION, LE MÊME ENTHOUSIASME!

    BRAVO!

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