Confirmé: Le pouvoir d’achat québécois supérieur à l’américain!

georgescreamNous interrompons, comme souvent le vendredi, le lancinant commentaire anti-modèle québécois des plumes économiques locales pour vous transmettre ce bref message d’intérêt public.

Comme vous le savez, chers lecteurs, les économistes de droite ont été très choqués d’apprendre, grâce aux calculs de l’économiste, pourtant membre des « lucides », Pierre Fortin, que le niveau de vie réel de 99% des Québécois était supérieur à celui de 99% des américains.

Un détracteur de Pierre Fortin, l’économiste des HEC et directeur de recherche de l’Idée fédérale, Martin Coiteux était, parmi d’autres, très monté contre cette démonstration. Il vient cependant, sur son blogue ce mercredi, de la confirmer en s’y prenant de toute autre manière.

Voici le tableau qu’il offre de l’écart de revenu entre les Québécois et les Américains, de 2001 à 2009. Il faut lire ce graphique de haut en bas: en haut, l’écart en 2001 pour chacun des quintiles de revenu (les 20% de bas revenus jusqu’au 20% de hauts revenus). Plus on va vers le bas, plus on avance dans le temps et plus l’écart rétrécit.

QUS20012009

Remarquez que le graphique a une ligne « 0% », c’est le point de repère. Cliquez pour agrandir. Source: Martin Coiteux, avec nos remerciements.

À tout seigneur tout honneur, je laisse Martin interpréter ses propres chiffres:

Comme on peut le constater, l’évolution récente de la distribution des écarts a été favorable aux familles québécoises, l’écart moyen s’étant rétréci de 31% à 21% de 2001 à 2009, pour l’ensemble des familles.

Au cours de la même période, les familles québécoises les plus pauvres ont pris de l’avance sur les familles américaines se trouvant dans la même situation, tandis que les familles qui les suivent immédiatement dans l’échelle des revenus ont quant à elles réduit leur écart de 17% à 2%.

Si je m’appelais Jean-François Lisée, j’attribuerais ces bons résultats à la supériorité du «modèle» québécois et y verrais l’occasion de mettre la droite K.-O., comme il dit, tout en réclamant un nouveau référendum sur l’indépendance du Québec.

Merci pour la plogue, Martin. Mais ces chiffres sous-estiment encore la supériorité du modèle. En effet, le Pr Coiteux refuse, et c’est son droit, de tenir compte de la différence de temps de travail entre les Américains et nous.

Or, comme Pierre Fortin l’a écrit ici, et comme je le reprends dans La droite K.-O., les Québécois travaillent davantage d’heures que la plupart des Européens, mais moins que les Américains. En gros, les travailleurs américains travaillent quelque 190 heures de plus par an que leurs confrères québécois, soit plus de quatre heures supplémentaires par semaine.

C’est essentiellement par choix. Lorsqu’ils le désiraient, avant le milieu des années 1970, les Québécois travaillaient bien davantage d’heures par an, plus même que les Ontariens. Aujourd’hui, ils favorisent le temps libre, choix parfaitement légitime. La proportion de Québécois qui travaillent à temps partiel, mais souhaiteraient travailler à temps plein, n’est pas plus élevée qu’ailleurs. (Voir en fin de billet pour la réponse de Martin sur ce point et ma réponse à sa réponse.)

Bref, pour en revenir au tableau de Martin Coiteux, il signifie qu’en moyenne les Américains doivent travailler 190 heures de plus par année pour arriver à cette comparaison avec les Québécois qui, eux, ont cette richesse supplémentaire, mais non monétaire, d’avoir quatre heures par semaine de plus à consacrer à la famille, aux loisirs, aux amis, aux sports, à la lecture et à la culture.

Il est donc raisonnable de faire cet ajustement de 13%. Il signifie que, pour 2009:

Les 20% plus pauvres des Québécois ont, à temps de travail égal, un revenu réel de 25% supérieur aux Américains
Les 20% supérieurs, à temps de travail égal, ont un revenu réel de 10% supérieur aux Américains
Les 20% supérieurs ont, à temps de travail égal, un revenu réel de 1% supérieur
Les 20% supérieurs ont, à temps de travail égal, un revenu inférieur de 5% seulement
Les 20% supérieurs ont, à temps de travail égal, un revenu inférieur de 19% seulement

Deux remarques: ces écarts (même sans la correction pour le temps de travail) sont loin des chimériques différences de revenu de 45% assénés dans ses discours par François Legault (soutenu par Martin Coiteux), ou même des 21% plus généralement utilisés.

Ensuite, pour ce qui est du segment de 20% de revenus supérieurs, il est évidemment absurde de l’utiliser tout d’un bloc, puisqu’on sait qu’aux États-Unis, le 1% des plus hauts revenus empoche 24% du revenu annuel. C’est pourquoi il est plus sain, comme Pierre Fortin et moi le faisons, de retirer le 1%, le 5% et le 10% les plus riches, pour obtenir une vision juste de la comparaison.

Mais ne chipotons pas, la contribution de Martin est ici précieuse et doit être applaudie.

Et la moyenne canadienne ?

Ceux d’entre vous qui ont suivi les liens ont peut-être remarqué que Martin a intitulé son billet: Richesse des Américains et des Québécois: ce que ne vous dira jamais Jean-François Lisée. C’est qu’il ajoute ensuite un raisonnement bizarre. Refaisant son calcul d’écart de revenu pour tout le Canada vs les États-Unis, il découvre que les écarts sont inférieurs encore à ceux du Québec seul.

D’abord, c’est un résultat qui ne lui fera pas d’amis chez les autres économistes de droite, qui estiment que le Canada dans son ensemble est trop étatiste, trop interventionniste, trop redistributeur pour le bien de ses citoyens. Mais, c’est son affaire.

Je ne suis nullement surpris, pour ma part, qu’une économie dopée par le pétrole en Alberta, en Saskatchewan, à Terre-Neuve et par le gaz en Nouvelle-Écosse, et ayant bénéficié pour se faire de 40 milliards de dollars canadiens (dont le quart venant du Québec) pour faire lever cet empire pétrolier, génère davantage de revenus que le Québec, dont aucune industrie n’a profité d’autant de largesse fédérale. Et on a encore rien vu: les 33 milliards (dont le quart provenant du Québec) investis en Nouvelle-Écosse pour les chantiers navals vont faire exploser les revenus dans les maritimes pour les 10 ans à venir.

Mais voici comment Martin voit les choses:

Le Canada a connu un boom des ressources naturelles depuis 2001, boom qui s’est traduit par une augmentation des revenus versés partout au pays et par une appréciation du dollar canadien qui a abaissé, pour l’ensemble des Canadiens, le prix des biens importés.  Les Québécois en ont profité pour la simple et bonne raison qu’ils participent encore à l’ensemble canadien.  Malheureusement, la performance du Québec dans cet ensemble a quant à elle été plutôt décevante, ainsi que je l’ai montré dans mon étude récente sur les écarts de revenus entre les Québécois et les Canadiens des autres provinces.

Il y a donc finalement quelque chose qui cloche avec le «modèle» québécois, même si les Québécois profitent encore de l’ensemble canadien pour améliorer leur situation globale. L’ensemble canadien a connu une belle performance depuis 2001 et les Québécois en ont directement bénéficié.

Voilà bien quelque chose dont Jean-François Lisée ne risque jamais de vous parler.

D’abord, vous aurez remarqué que je me risque à en parler. Ensuite, je trouve que le directeur de recherche de l’Idée fédérale fait un peu de pensée magique avec le fait que le Québec « profite de l’ensemble canadien ». Vrai, la valorisation du dollar a augmenté le pouvoir d’achat des Québécois pour tous les produits importés. Mais elle a sévèrement sapé les revenus québécois en détruisant des dizaines de milliers d’excellents emplois manufacturiers chez nous.

J’en ai parlé ici, selon une étude publiée en 2010 par des économistes de l’Université d’Ottawa, du Luxembourg et d’Amsterdam, Does the Canadian economy suffer from Dutch Disease? «jusqu’à 54% des emplois manufacturiers perdus au Canada entre 2002 et 2007 l’ont été à cause du mal hollandais», donc de la hausse du dollar, dopé par le pétrole. Si on reporte ce chiffre sur le Québec, c’est dire que le boom pétrolier des autres provinces a détruit, en cinq ans seulement, au Québec, 55 000 emplois manufacturiers.

D’ailleurs, dans un autre excellent billet publié le 21 janvier, Martin Coiteux montre comment la hausse du dollar canadien a fait augmenter de 30% depuis 1997 le coût unitaire de la main d’œuvre québécoise face à l’américaine. Il conclut en demandant aux partis politiques ce qu’ils proposent pour remédier à cette situation désastreuse pour l’économie québécoise. J’applaudis à deux mains, ayant proposé des solutions à ce problème précis dans La droite K.-O. !

Finalement, Martin estime que les Québécois profitent du régime canadien car ils reçoivent de la péréquation. C’est vraiment lassant. Quand on calcule l’ensemble des robinets de transferts fédéraux vers les provinces, on obtient ce tableau produit par l’Institut de la statistique du Québec:

index

Le Québec, exactement sur la moyenne canadienne !

Bref, le Québec n’est pas plus glouton que les autres, mais exactement sur la moyenne. Si on ajoute les contributions fédérales pour l’automobile en Ontario (10 milliards) pour le pétrole (40 milliards) pour les chantiers navals dans l’est (33 milliards), sans aucun équivalent d’investissement chez nous, on voit bien que le Québec n’est pas gagnant dans cette affaire. Il subventionne les autres provinces. Ce qui permet aux fédéralistes comme Martin d’écrire que les autres provinces nous dépassent…

Soupirs !

Alors, oui, vivement l’indépendance !

Note en petits caractères :

Les billets du vendredi « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, loin s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.
Martin me répond dans la section commentaire du blogue:

Bonjour Jean-François,

Je t’invite en même temps que les lecteurs de ton blogue à prendre connaissance de mon point de vue d’économiste sur cette question des heures travaillées:

http://martincoiteux.blogspot.com/2012/03/larithmetique-des-heures-travaillees-et.html

Bonne lecture.

Ma réponse:

Dans son billet, Martin offre une démonstration de la difficulté d’établir un point de comparaison statistiquement satisfaisant entre le temps de travail de deux nations. Il en conclut cependant que lui et moi travaillons davantage que l’américain moyen. Voici ma réponse:

En effet, Martin, tu me fais même travailler le samedi !

Mais enfin, je n’ajoute que quelques remarques.

Comme dans tes commentaires précédents, tu omets d’indiquer que mes conclusions sont tirées de calculs faits par un économiste de renom, Pierre Fortin.

C’est lui que je cite sur l’opportunité de faire un ajustement avec les heures travaillées. Voilà donc un économiste qui est en désaccord avec toi. Ce serait plus rigoureux, il me semble, de le mentionner, plutôt que de laisser entendre que tu es un économiste débattant avec un journaliste.

Mais même le généraliste que je suis accepte l’idée que l’application d’une moyenne d’heures travaillées (12,8%) n’est qu’une… moyenne.

Et il serait plus juste de pouvoir ajuster la différence d’heures travaillées pour chaque tranche de revenu. Ces données ne sont malheureusement pas à notre disposition.

En leur absence, l’économiste Pierre Fortin applique la moyenne.

On peut arguer, comme tu le fais, que la totalité de ce 12,8% n’est pas volontaire. Alors, quelle part l’est ? Tu ne le sais pas. Pierre Fortin, lui, déduit du comportement historique des Québécois face au temps de travail qu’il s’agit d’un choix.

Une chose est certaine, la part de temps libre en plus qu’utilisent volontairement les Québécois n’est pas de 0. C’est pourtant ce que tes calculs, non corrigés pour le temps de travail, affichent.

C’est pourquoi il n’est pas absolument certain que le 12,8% de Pierre Fortin soit exact, mais il est absolument certain que ton 0% est inexact.

Bien cordialement,

Jean-François

Note en petits caractères :

Les billets « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, tant s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses et importantes visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.