Deux mai: Pourquoi Harper a gagné !

On a beaucoup discuté, sur ce blogue et ailleurs, de la vague orange qui a bousculé le Québec. Mais le fait politique le plus important de lundi dernier est la victoire, majoritaire, de Stephen Harper.

Dans un long article magistral dans le numéro courant de Maclean’s, nourri par plusieurs sources au sein des partis fédéraux, Paul Wells lève un coin du voile fort instructif pour comprendre le passé récent, et préparer l’avenir.

« Pour comprendre l’élection de 2011, écrit Paul Wells, il faut comprendre comment Michael Ignatieff est devenu le chef d’un ex-grand parti et comment Stephen Harper l’a détruit, morceau par morceau. »

the-morning-after1_wide

Je vous invite, si votre english est bon, à lire l’ensemble, mais voici ce que j’en retiens d’essentiel.

Le nerf de la guerre

Vous vous demandez pourquoi la question politique la plus importante de l’heure est la décision, annoncée, du nouveau gouvernement conservateur d’abolir le financement public des partis et d’ainsi assécher les finances déjà chancelantes du Parti libéral du Canada, puis d’éclipser celles de leur nouvel ennemi principal, le NPD ? Voici pourquoi:

Michael Ignatieff est officiellement devenu chef du PLC le 2 mai 2009. Onze jours plus tard, les conservateurs ont lancé une campagne de publicité de plusieurs millions de dollars pour décrire Ignatieff comme un opportuniste « en visite » au Canada, un pays pour lequel il n’avait aucune loyauté. L’architecte de la campagne conservatrice avait même fait enregistrer un site internet au Montenegro pour pouvoir profiter du suffixe me sur le site www.ignatieff.me (moi).

Wells cite un des conseillers-clés d’Ignatieff, Dan Brock:

« Je pense que nous n’avons jamais compris combien ces publicités allaient être efficaces si elles étaient présentées pendant de longues périodes entre les élections. On s’est dit ‘les Canadiens vont rejeter ces pubs parce qu’elles sont exagérées. Les Canadiens vont dire: ‘ce n’est pas bien’. Mais nous avons eu tort. Les Canadiens n’ont pas dit ça. Ils sont trop occupés à vivre leurs vies. Ils prêtent un tout petit peu d’attention à la politique et si ce petit peu d’attention est dominé par un message en particulier, bien livré et répété encore et encore, ce message va s’imprimer. Et c’est ce qui est arrivé. »

Wells cite ensuite un membre de la campagne Harper qui lui a expliqué la stratégie à mi-campagne:

« Ils disent qu’on essaie de présenter Ignatieff dans nos pubs comme un professeur faible et agité. Non. Ca c’est ce qu’on a fait avec Stéphane Dion. Dion était faible, il n’était ‘pas un chef’. Nous n’avons dit que Michael Ignatieff n’était pas un chef. Nous ne l’avons jamais présenté comme faible. Et on n’a jamais dit qu’il était une girouette. Même quand il changeait d’avis, on ne l’a pas traité de girouette.

Dans la vision qu’on voulait projeter, Ignatieff est un opportuniste politique calculateur, qui dira ou fera n’importe quoi pour être élu. C’est un intriguant. […] Je pense qu’on n’a jamais dit, même à l’interne, ‘il est malveillant’, mais c’est le sentiment qu’on voulait répandre. […] Vous ne voudriez pas qu’il marrie votre fille, vous voyez? »

Riposter ? Mais comment ?

La persistance du message négatif, alimenté par une caisse électorale conservatrice apparemment sans fond, a commencé à inquiéter les proches d’Ignatieff. Que faire ? Le responsable de la publicité libérale, Bob Richardson, avait compris que la campagne électorale était ouverte dès que la première pub anti-Ignatieff avait été diffusée. Il fallait riposter. Oui, mais, avec quel argent ?

Le directeur de campagne, Gordon Ashworth, affirmait 1) qu’il n’y avait pas assez d’argent; 2) que le dommage causé par les pubs ne seraient pas durables. Wells cite un autre membre du cercle rapproché d’Ignatieff:

« C’était une bagarre qu’on ne pouvait simplement pas gagner, parce qu’ils [les Conservateurs] avaient plus d’argent que nous. »

Avant le budget 2010, croyant que les libéraux feraient tomber le gouvernement, les conservateurs ont relancé la machine anti-Ignatieff, achetant 1 600 publicités. Contraints de faire quelque chose, les Libéraux ont eu les moyens d’en acheter… 131. « C’était un massacre », conclut la source libérale. Lorsque la campagne de 2011 a débuté, la réputation d’Ignatieff était en lambeaux dans l’opinion. Il ne pouvait rien faire pour sortir du trou creusé par l’argent conservateur.

Puisque les gains conservateurs se sont principalement faits au détriment des Libéraux, et que les conservateurs savent que tout gain supplémentaire ne pourra se faire qu’en détournant vers eux les électeurs toujours fidèle aux rouges, le prochain chef libéral doit s’attendre à subir le même sort que Stéphane Dion et Michael Ignatieff. Jack Layton devrait, aussi, avoir quelques raisons de s’inquiéter.

Avec cette différence: l’abolition du régime de financement public des partis politiques rendra la tâche plus facile aux Conservateurs, et plus difficile aux autres partis. Bienvenue dans l’américanisation de la politique canadienne.