Dur, dur d’être terroriste

Une quinzaine de jeunes filles se rendaient à l’école. Des motocyclistes les ont encerclées et aspergées d’acide. C’était le 12 novembre, près de Kandahar, en Afghanistan. Une fillette en garde des traces au visage. C’est ce genre d’événement qui justifie la présence d’armées étrangères dans ce coin du monde. Les talibans en sont conscients. Leur porte-parole a tenu à préciser que son groupe n’y était pour rien.

Le terrorisme islamique a encore de beaux jours devant lui, comme en témoignent la résilience des forces talibanes en Afghanistan et l’irruption de la terreur islamique en Inde. Cependant, l’édifice terroriste se lézarde. La nébuleuse al-Qaida n’est peut-être pas en déclin. Mais le temps de sa forte croissance est révolu.

La mouvance d’al-Qaida est ébranlée par un grand schisme. Un de ses membres fondateurs, et son principal théoricien de la violence, Sayyid Imam al-Sharif, dit « le Dr Fadl », est devenu… pacifiste. En mai dernier, de sa prison égyptienne, le bon Dr Fadl a annoncé la parution prochaine d’un ouvrage où il réinterprète le Coran. Il en tire des conclusions contraires à celles qu’il y a lues 20 ans plus tôt. À l’époque, la violence contre tous les ennemis de l’islam, intérieurs et extérieurs, était non seulement permise, mais encouragée. Aujourd’hui, il conclut qu’il « est interdit de commettre des agressions, même si les ennemis de l’islam en commettent ». On croirait lire Gandhi, pas Ben Laden.

« Dans tous les mouvements terroristes, il y a un cycle au-delà duquel une partie des membres renoncent à la violence », explique Azzedine Rakkah, chercheur invité au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) et auteur de The Enigma of Islamist Violence (Hurst, 2007). « Après quelques années, lorsque la violence n’a provoqué aucun changement politique et n’a souvent conduit qu’à une répression plus grande, les militants admettent l’échec et veulent eux-mêmes sortir d’une vie dangereuse et misérable. »

Car il faut bien l’admettre, au-delà des premiers coups d’éclat, feux d’artifice et autres explosions spectaculaires, la vie de terroriste est exécrable. D’abord, le nombre d’accidents est ahurissant, tant la fabrication artisanale d’explosifs est délicate. Pis, il arrive que même le travail bien fait conduise au décès : les artisans de l’attentat du 11 septembre ne sont plus là pour en parler. Entre les deux, il y a la traque permanente des forces de l’ordre, les mois d’ennui au fond de cavernes humides et froides, l’interdiction d’utiliser le téléphone cellulaire de peur d’être écouté par les « impérialistes ». Et la prison. En Égypte, plusieurs milliers de prisonniers liés aux Frères musulmans ont renoncé à la violence au cours de la dernière décennie et ont été libérés. On ne peut sous-estimer, dans ces conversions, le poids du temps. L’esprit de révolte peut être débridé à 25 ans, beaucoup moins à 45.

Lors d’une conférence organisée récemment au Maroc, j’ai rencontré Douglas Johnston, président de l’ONG International Center for Religion and Diplomacy. Son grand projet ? Engager le dialogue avec les imams responsables des écoles islamiques, qui pullulent à la frontière nord du Pakistan : les célèbres madrasas, qui ont formé la première génération de talibans. Hier financées par l’Arabie saoudite, ces écoles de fortune sont toujours fréquentées, mais désargentées. L’ONG propose du soutien, en échange de l’enseignement, dans les classes, de deux matières essentielles : les droits de la personne et la tolérance religieuse. Elle affirme avoir déjà réussi dans 10 % des 12 000 écoles. L’effort semble porter fruit, car un des imams les plus engagés dans l’initiative a été assassiné par les talibans en novembre.

Un autre élément est venu, début novembre, perturber l’univers idéologique des amis de Ben Laden : l’élection présidentielle américaine. Ils auraient préféré McCain. Le républicain aurait, selon eux, « maintenu la politique d’échec » de George Bush. Al-Qaida a donc perdu ses élections. Douglas Johnston rapporte que l’arrivée d’un président nommé Barack Hussein Obama a eu un effet bœuf sur nombre d’imams des madrasas, y compris sur celui qui est chargé de l’éducation des fils de commandants talibans. « L’élection d’Obama efface tout, a dit ce dernier à Johnston. Ça efface [les mauvais traitements de prisonniers à] Abou Ghraib, ça efface Guantánamo, ça efface l’Irak. » Certes, la fermeture prochaine de Guantánamo et la révision de la politique américaine sur la torture par Obama enverront de puissants signaux. L’imam n’en pèche pas moins par excès d’enthousiasme. Mais dans cette région de sang et de haine, tout optimisme, même exagéré, est bon à prendre.

Le saviez-vous ? Il y a une forte mobilisation des organisations musulmanes contre le terrorisme. Quelque 170 cheiks et imams de 40 pays réunis en 2005 ont condamné les pratiques d’al-Qaida : une rare manifestation d’unité entre des courants islamistes généralement en désaccord.