Égypte: Wikileaks à la rescousse d’Obama!

alg_obama_mubarak-150x150C’est un intéressant retournement de situation. L’administration américaine, furieuse depuis l’automne contre la fuite d’un quart de million de câbles diplomatiques, reçoit enfin les fleurs, après avoir encaissé le pot.

En effet le New York Times note que l’administration Obama dit la vérité lorsqu’elle affirme avoir plusieurs fois insisté pour davantage de démocratie dans des rencontres privées avec Hosni Moubarak et ses ministres. Les transmissions diplomatiques de la première année de l’administration Obama indiquent que la diplomatie américaine a notamment plaidé en haut lieu pour la libération de blogueurs égyptiens, le retour d’un auteur critique banni, l’arrêt de la torture contre des détenus du Hezbollah et l’accueil d’ONGs américaines pro-démocratie sur le territoire égyptien.

Demandes exprimées la plupart du temps en vain, mais exprimées tout de même. Le Times note une différence de tactique entre l’administration Bush et Obama. Bush abordait ces sujets en privé et en public. Obama préférait le faire en privé et être plus conciliant en public — bien qu’il ait clairement réclamé, lors de son discours historique du Caire, davantage de démocratie dans les pays arabes.

Wikileaks, la suite…

On le sait, les révélations de Wikileaks sur le train de vie princier de la famille Ben Ali en Tunisie (avec des détails qui tuent, comme le tigre-animal-de-compagnie mangeant quatre poulets par jour) ont contribué à la colère populaire, et au renversement du régime.

Les quelques informations égyptiennes de wikileaks ont eu peu d’impact direct sur la révolte en cours. C’est la contagion Tunisienne qui a mis le feu aux poudres, là et ailleurs.

La question se pose donc: que reste-t-il des 250 000 câbles obtenus? Le directeur exécutif du New York Times, Bill Keller, affirmait ce mardi que l’étude de l’énorme fuite est loin d’être terminée. « La Tunisie n’était pas dans la liste de nos 10 sujets prioritaires », explique-t-il. Compte-tenu de ce qui vient de se produire, les journalistes regardent avec plus d’attention que jamais ce qui concerne les leaders du monde arabe dans le trésor de guerre de Wikileaks.

Une source au sein du Département d’État américain bien informé du dossier a récemment révélé à votre blogueur favori: « à ce rythme de publication, ils en ont pour deux ans » de révélations.

Les médias participants n’ont-ils pas « écrémé » les révélations, pour nous donner les plus importantes en premier ? Pas du tout, ajoute ce responsable qui, comme d’autres à Washington, sait exactement ce que contient la fuite.

Il reste, dit-il, « plein de choses embarrassantes, sur toutes les régions du monde ». Il ne voit d’ailleurs pas de logique particulière dans l’ordre de divulgation employée jusqu’à maintenant par le consortium de médias liés à Julian Assange et à Wikileaks.

Au moment de notre conversation, la rue tunisienne ne s’était pas encore fait entendre et je lui ai demandé s’il était vrai que les révélations faites jusque-là avaient pu coûter des vies à qui que ce soit, militaires, diplomates ou sources. Sa réponse fut non, sachant qu’il contredisait ainsi ses supérieurs, notamment le chef des armées.

La seule difficulté de sécurité nationale qui m’était personnellement apparue était la révélation concernant le gouvernement du Yémen. Alors que l’armée américaine bombarde régulièrement les camps de formation d’Al Qaida dans le pays, le gouvernement yéménite affirme qu’il est lui-même responsable de ces bombardements. Avouer que les Américains sont dans le coup serait mauvais pour le régime. En éventant ce mensonge, Wikileaks a-t-il nui aux opérations, ai-je demandé ?

Réponse: « Pas du tout. Tout continue comme avant. La population yéménite n’a simplement pas eu accès à cette information. »

Julian Assange, tombeur de tyrans ?

30cover-sfSpanCes derniers temps, le détail des tensions entre Julian Assange et les éditeurs des grands journaux liés à la publication des fuites a été raconté, ici dans Vanity Fair au sujet du Guardian, ici dans le New York Times Magazine. L’homme est difficile, pas toujours fiable, souvent rancunier. Sans la pression des grands journaux, il aurait tout mis en ligne, sans retirer des dépêches diplomatiques le nom de sources ou de dissidents dont la vie ou la liberté auraient ainsi été mises en danger. À sa décharge, il s’est laissé convaincre d’être plus prudent.

Hier, il était vu comme un traître ou un terroriste par certains élus américains — qui déraillent complètement, c’est entendu — et comme un messie par ceux qui aiment la transparence ou détestent, comme Assange, l’establishment en soi.

Son action — et celle de celui qui lui a remis les documents — sont maintenant reconnues comme ayant contribué à la chute d’un tyran. Chute qui pourrait, d’un jour à l’autre, en faire tomber un autre. (Il faut ajouter à la liste des responsables de cet effet de domino la compétence et le jugement des diplomates américains qui ont rapporté, en les trouvant consternantes, les pratiques condamnables des dits tyrans.)

Qu’importe la foule des géniteurs, Assange est le vrai père de l’opération Wikileaks. La progéniture sera donc portée à son crédit. Et si, demain, d’autres révélations ébranlent d’autres tyrans, l’impact n’en sera que plus grand. La justice suédoise insistant pour lui faire un procès, peut-être pourra-t-il demander l’asile politique en Tunisie? Ou en Égypte? Ou…