Éloge du syndicalisme

On les enterre souvent, les syndicats. On note leur déclin, la disparition des usines qui étaient leurs châteaux forts. On les dit victimes de la nouvelle technologie, du travail autonome, de l’individualisme. Les comptes de dépenses de l’ex-président de la FTQ-Construction laissent un goût amer chez plusieurs syndiqués… et non syndiqués. On impute le déclin syndical à la mondialisation, surtout. Maintenant qu’il faut être souple, rapide, compétitif et efficace, pourquoi s’encombrerait-on de tels dinosaures ?

Étrange : un rapport de la Banque Mondiale affirme que ce n’est pas la présence, mais bien l’absence ou la trop grande faiblesse des syndicats qui fait problème, dans les pays du Nord et du Sud. L’impact social de la présence syndicale va sans dire. Quoique, ces temps-ci, cela va parfois mieux en le disant. Selon la Banque, le syndicalisme permet, partout, de meilleurs salaires. Il réduit l’écart de revenus entre les travailleurs spécialisés et ceux qui n’ont pas cette chance. C’est un facteur d’égalité des sexes, non seulement parmi les syndiqués mais, par voie d’entraînement, dans la société toute entière. Il permet aussi la promotion des salariés des minorités raciales. Indirectement, son existence rend plus rentable le fait de terminer ses études. Le syndicalisme contribue donc à envoyer un signal productif à toute la société : qui s’instruit s’enrichit.

Oui, mais à quel prix ? Moins de profits, calcule la Banque. Mais moins de productivité et de richesse nationale ? Rien ne le prouve. Au contraire, la main-d’œuvre syndiquée est plus stable, donc moins coûteuse à former, elle a d’ailleurs davantage accès à de la formation professionnelle et les entreprises syndiquées innovent tout autant que les autres.

L’impact global sur le chômage dépend ensuite du niveau d’organisation syndicale et des négociations. Les pays qui s’engagent dans des négociations nationales avec leurs syndicats ont généralement moins de chômage et de conflits de travail que ceux qui font ces négociations dans le désordre, compagnie par compagnie.

Le syndicalisme charrie évidemment, comme tout autre pouvoir, sa part de dysfonctionnement et de dérapages. Mais le XXIème siècle lui assigne des tâches nouvelles, au Sud comme au Nord. Dans un autre rapport récent, un groupe de sages réunis par l’Organisation internationale du travail déplore la faiblesse, dans les pays en voie de développement, des associations de salariés jugés pourtant « essentiels » pour « soutenir un cercle vertueux d’élévation du niveau de vie et de croissance équitable ».

L’ouverture des frontières commerciales crée une richesse plus grande, mais les pays du Sud n’ayant pas la capacité ou la volonté de redistribuer correctement cette richesse, seule la force syndicale permet de l’imposer. Les syndicats sont donc la pièce manquante d’une mondialisation plus équitable. Ils constituent aussi une sorte de vérificateur général social, une nécessité lorsque les États sont trop faibles.

Le cas de l’Inde doit nous réjouir. Dans cette démocratie où la liberté d’opinion et d’association est monnaie courante, l’action syndicale fera son œuvre. En Chine – on vient de le voir – l’activisme syndical commence à se faire jour, malgré d’énormes embuches. On se plaît d’ailleurs à rêver d’un Lech Walesa aux yeux bridés, d’un Solidarnosc chinois.

Au Nord, chacun constate que nos élus ont moins d’emprise sur la marche des choses. Leur pouvoir est partiellement confisqué par des tendances mondiales qui les dépassent. La société civile tente de compenser en créant des lieux de pouvoirs au ras du sol: dans les écoles, les quartiers, ou sur des sujets comme l’environnement, la protection du consommateur, les OGM.

Chemin faisant, on redécouvre qu’il existe un lieu où les salariés peuvent exercer un pouvoir direct et tangible : leur assemblée syndicale. Et la jonction entre cette force déjà organisée et les forces nouvelles de la société civile fait une addition étonnante.

La Banque Mondiale elle-même, sans le savoir, a un message fait sur mesure pour le Québec. En général, écrivent ses experts, lorsqu’un gouvernement de gauche a en face de lui un syndicalisme fort, cela donne une bonne performance économique globale, car il y a volonté d’entente entre ces deux forces. Lorsqu’un gouvernement de droite a devant lui un syndicalisme faible, cela donne aussi une bonne performance économique, car rien n’empêche l’État et le privé de réduire les coûts – au détriment de la condition ouvrière.

Ce qu’il faut cependant éviter, notent-ils froidement, est la situation où un gouvernement de droite fait face à un syndicalisme fort car alors, rien ne va plus !