Envol de l’ADQ : Comment le PQ peut réagir


L’actualité – 16 août 2002


Qui est responsable de l’ascension de Mario Dumont ? Il serait normal de répondre : « Mario Dumont ». Il ne manque pas de qualités en effet. Homme politique patient, davantage attentif aux humeurs de l’électorat que fidèle à une vision politique interne et malgré tout cohérent dans sa communication, il dégage un sentiment absent chez Jean Charest et chancelant chez les principaux leaders péquistes : il semble bien dans sa peau, content d’être là. Ni angoissé, ni tourmenté, il est rafraîchissant. Il est surtout remarquablement habile. En témoigne la façon dont il a géré, pendant tout le printemps, l’hypothèse de former un gouvernement. Il l’a joué modeste, ne s’engageant que très graduellement dans cette hypothèse – comme à reculons – laissant l’opinion et les chroniqueurs le précéder.

Reste que, toutes ces qualités, Mario Dumont les avait il y a six mois. Il les avait il y a un, deux, trois, cinq ans. Mais c’est maintenant qu’il monte. Il arrive que le temps, bien sûr, récompense la constance. « 90% de la politique, disait George Bush le père, c’est d’être là. » Certes.

Les affaires de lobbying, les maladresses du PQ face à ses élus âgés – démissions de Chevrette et de Brassard, départs de Jolivet et de Rioux – la déclaration désastreuse de Dionne-Marsolais sur la « génération égoïste », la faiblesse chronique de Jean Charest comme solution de rechange, l’atténuation du sentiment d’urgence sur la question nationale, tout semble avoir convergé pour déblayer l’entrée au chef adéquiste.

Paradoxe : même les succès du gouvernements profitent à l’ADQ. L’audace n’est pas la caractéristique principale du peuple québécois. Il ne viendrait pas à l’esprit de près de la moitié de l’électorat de voter, comme il l’a fait aux quatre partielles du 17 juin, pour un parti inexpérimenté si nous étions en période de crise économique, de montée du chômage, de déficits croissants et de marasme gouvernemental. C’est parce que l’emploi se porte remarquablement bien, que l’enrichissement du Québécois moyen est palpable, que les finances de l’État sont en ordre – merci MM Bouchard et Landry –, que l’électorat peut se payer un flirt avec Mario Dumont. C’est un signe, non de maturité, mais de sécurité. Le parallèle entre Dumont et le jeune Bourassa de 1970 ne tient d’ailleurs pas. À l’époque, une population économiquement analphabète et insécure face au changement votait pour un jeune économiste terne, dirigeant un parti de gouvernement. Aujourd’hui, une population économiquement plus aguerrie et désireuse de changement n’est nullement impressionnée par le bac en économie de Mario Dumont. Ils ont envie d’une nouvelle tête, ils peuvent se la payer, voilà tout.

C’est d’ailleurs pourquoi le programme de l’ADQ n’a presque pas eu d’importance. L’électeur québécois veut changer pour changer, presque pour le plaisir. Il traite PQ et PLQ comme deux vieilles séries télé qu’on a longtemps suivies et aimées, mais qui ont perdu leur charme, malgré l’arrivée de nouveaux personnages. Les tentatives désespérés des scénaristes pour multiplier les nouvelles intrigues en fin de saison peuvent être perçues comme autant de signaux que les séries ont fait leur temps. On les aime bien, on reprendra de leurs nouvelles dans quelques années mais, pour l’instant, on les a assez vues. Puis il y a cette nouvelle émission, sur l’autre chaîne. Un peu brouillonne peut-être, pas tout à fait au point. Mais ça fait changement.

Mario Dumont sera-t-il premier ministre du Québec à l’automne 2003 ? Si le PQ continue à lui faire la courte-échelle, si des ministres s’entêtent à dire du mal de leur propre programme, de leurs propres engagements sociaux, des aînés et des jeunes, si on persiste à diluer l’objectif indépendantiste dans le concept flou « d’Union confédérale », c’est probable, avec l’effet secondaire de fragiliser l’identité du parti de René Lévesque pour des années à venir. Rien n’est définitivement joué, cependant.

D’abord, il est plausible que l’étoile de Mario Dumont commence à pâlir quelque peu. Son score des partielles fait penser au jour où l’action de Nortel a atteint 123 $. Priced for perfection, disaient les experts, ce qui signifiait que l’action ne pouvait se maintenir à ce niveau que si tout se déroulait parfaitement pour la compagnie, facteurs externes et internes compris. L’ADQ ne descendra pas aussi bas que le titre de Nortel, mais ne peut se maintenir longtemps dans la stratosphère politique. Lucien Bouchard avait visité ces hauteurs en 1995 et après le verglas à l’hiver de 1998, puis y avait été immédiatement remplacé par Jean Charest au printemps 1998.

Pour peu que la force nouvelle de l’ADQ se stabilise à un niveau respectable, la prochaine élection se fera vraiment à trois partis, ce qui réduira le degré de difficulté. En clair, il ne faudra plus 44% des voix pour gagner, mais entre 35 et 40, selon la répartition géographique des voix. Si le Parti Québécois se ressaisit, recentre son discours et son action, il peut se présenter aux urnes avec une chance de gagner et la certitude de durer.

« Le Parti Québécois est le seul parti souverainiste et progressiste au Québec. » Depuis mai, Bernard Landry répète cette phrase comme un leitmotiv. C’est un énorme progrès. D’abord notons la disparition bienvenue du concept « d’Union confédérale ». Paix à ses cendres. Applaudissons ensuite la profession de foi de l’ancien ministre des Finances en faveur de la social-démocratie. Le gouvernement du Parti Québécois, qui a cumulé depuis sept ans plus de mesures progressistes que tout autre gouvernement de centre-gauche en Occident, avait une étrange pudeur à afficher ses couleurs, donc à en tirer un bénéfice électoral.

Ce n’est pas le seul signe encourageant. Pendant la dernière semaine de session parlementaire, donc dans les jours précédant les élections partielles, le gouvernement Landry a déposé un projet de loi sur la lutte contre la pauvreté dont l’adoption permettrait de franchir une nouvelle étape dans le progrès social; a donné à l’environnement un coup de pouce salutaire dans son match jusqu’ici perdant avec le lisier de porc; a fait voter à l’unanimité une loi sur l’encadrement du lobbyisme. Un rétablissement remarquable, compte tenu de la série de tuiles éthiques encaissées par le gouvernement Landry pendant l’hiver. On n’est pas près de voir l’équivalent de ce dénouement à Ottawa. Ces mesures sont arrivées trop tard pour avoir un impact sur le vote aux partielles et rien ne pouvait, à ce stade, endiguer la vague adéquiste. Mais à moyen terme, c’est là qu’on doit trouver une partie de la solution. Le simple retrenchement péquiste sur ses terres souverainistes et progressistes ne suffira pas. Il y a des choses à ne pas faire. Il y a des choses à mieux faire. Il y a des choses à faire.

À ne pas faire
+ Ne pas céder à la panique

Pendant la phase de flirt, rien ne sert d’ailleurs de critiquer à l’excès le nouveau prétendant. Lorsque Lucien Bouchard fut désigné négociateur en chef pendant la campagne référendaire, le camp du Non avait mesuré cette imperméabilité à la critique. Montrant à un groupe d’indécis le texte d’une déclaration malhabile de M. Bouchard sur les coûts de la souveraineté, les électeurs répondaient : « il n’a pas dit ça ». Après avoir fait visionner le vidéo confirmant hors de tout doute l’existence de la citation, les électeurs affirmaient : « ce n’est pas ce qu’il voulait dire ». Mario Dumont est dans cette phase. Elle durera plusieurs mois. Elle n’est pas éternelle. (Il semble que Jean Charest soit victime du phénomène inverse. Rien de ce qu’il fait ne l’aide. Et lorsqu’il répète 22 fois en une heure « déclenchez des élections générales », il faut décoder : «élisez-moi ou achevez-moi, mais qu’on en finisse ! »)

L’acharnement sur le programme adéquiste est également peu productif pour l’instant. Parmi ceux qui en connaissent des éléments, certains adhèrent à ses aspects racoleurs. Ils sont contre « l’emploi à vie » des fonctionnaires, vieux thème populiste un peu démago. Il y a un marché pour des propositions de droite, comme la santé à deux vitesses, même si la chose est en fait illégale en vertu de la loi canadienne sur la santé –un détail. Et pour ceux que les propositions adéquistes pourraient choquer, il y a un antidote : Mario Dumont lui-même. On le voit lancer joyeusement un pavé dans la mare et tout le monde rigole de voir les notables éclaboussés. Mais on sait Dumont foncièrement prudent. Il ne se jettera pas à l’eau, ni nous avec lui. Rebelle, il est le contraire d’un radical. Si le programme est trop audacieux, le chef a les deux pieds sur terre. En recul déjà sur la réduction de la fonction publique, on le verra bientôt promettre projets pilote, consultations, études de faisabilité et autres coussins gonflables pour amortir les chocs, gommer les aspérités de ses propositions. Il en restera l’impression de l’audace, sans l’odeur.

+ Ne pas toucher à l’article 1

Il faut éviter l’énorme gaspillage de temps et d’énergie que serait la réécriture du programme du Parti québécois. Ce document n’a jamais empêché la publication ponctuelle de manifestes du Parti, modernisant et adaptant la vision aux nécessités du jour. Ces manifestes sont un peu plus lus que le programme, c’est-à-dire presque pas.

Il est impératif de ne pas toucher à l’article 1 du programme . Faire du Québec un pays aussi indépendant que la France l’est en Europe, dans un marché commercial unique avec le voisin canadien, était, est et sera la meilleure proposition pour le Québec. Les souverainistes savent que cet excellent projet n’est pas, aujourd’hui, à l’ordre du jour. Il faut que les choses changent, percolent, se présentent autrement, dans l’électorat québécois et à Ottawa, pour que le projet souverainiste reprenne son essor. Lorsqu’il le fera, il sera préférable que les souverainistes soient au pouvoir. En certaines conjonctures, un gouvernement péquiste peut tenter de réunir une majorité de Québécois sur un projet de réforme de la fédération susceptible de faire progresser le Québec, ou dont l’échec pourrait mener à la souveraineté. Une telle Sortie de secours était jouable en 2000, car on aurait pu compter sur la crédibilité rassembleuse de Lucien Bouchard et une élection fédérale imminente nous aurait donné la réponse du Canada. Ces conditions ne sont plus réunies. Espérons qu’elles le seront encore un jour. En attendant, il ne sert à rien d’introduire ces scénarios dans un programme et de se déchirer sur des hypothèses. Et il ne faut jamais confondre l’objectif indépendantiste avec le gain, bienvenu mais incomplet, d’une autonomie accrue au sein de la fédération.

À mieux faire
+ Défendre la social-démocratie existante

Il ne faut pas espérer que la promotion de la social-démocratie devienne, en soi, mobilisatrice chez les contribuables (c’est-à-dire la moitié des citoyens qui paient des impôts au Québec). Beaucoup de Québécois sont aujourd’hui convaincus qu’ils paient plus d’impôts que les autres Nord-américains (c’est vrai) et qu’ils n’ont rien en retour (c’est faux). Ainsi désinformés, la perspective de davantage de social-démocratie peut être vue, non comme une promesse, mais comme une menace.

Cette vision néo-libérale, portée par le PLQ et l’ADQ, est devenue dominante au Québec en partie parce qu’elle n’a pas trouvé de contradicteurs conséquents chez les leaders du Parti Québécois eux-mêmes, mais a été au contraire partiellement relayée, dans le discours et dans l’action, par le gouvernement péquiste.

Qu’on me comprenne bien : l’élimination du déficit, la gestion plus serrée de la performance de nos services publics, une baisse raisonnée des impôts des particuliers, tout cela était, dans l’ordre, indispensable, nécessaire et utile. La réduction constante, amorcée dès 1995 et poursuivie chaque année depuis sous différentes formes, du fardeau fiscal des PME et des entreprises en expansion (fardeau qui frôle désormais, pour dire vrai, l’impôt zéro), contribuent à ce que le PIB par habitant ait progressé plus rapidement au Québec qu’au Canada-anglais depuis 1998, et même qu’en Ontario en 2000, 2001, 2002 et pour l’avenir prévisible.

L’application de ces politiques a permis au gouvernement péquiste de ravir aux libéraux, pour la première fois, la palme de la bonne gestion de l’économie. Cependant en termes de perception, cette approche qui n’était pas traditionnellement de gauche aurait à elle seule suffi à brouiller l’image social-démocrate du PQ.

Le discours gouvernemental a ajouté à cette confusion. Tout en critiquant les politiques sociales de la droite ontarienne, on a, par exemple, cautionné l’idée que l’impôt québécois devrait être ramené au niveau de l’impôt ontarien. La rengaine des « contribuable les plus taxés du continent» sans contrepartie apparente est devenue dogme. La table fut ainsi mise pour la promesse du « moins d’État » de Mario Dumont.

L’écart de fardeau fiscal entre l’Ontario et le Québec est de cinq milliards par an. Or qu’est ce que les Québécois obtiennent, avec cet argent, que les Ontariens n’ont pas ? La réponse est simple : Il suffit d’additionner les budgets des garderies à cinq dollars, le financement des établissements scolaires privés, les bourses aux étudiants et les coûts induits par le maintien des droits de scolarité les plus faibles du continent, l’aide à la culture (toutes ces dépenses profitant essentiellement à la classe moyenne, grande bénéficiaire du modèle québécois, contrairement aux idées reçues); y ajouter les budgets de développement local, l’aide juridique et les logements sociaux, et on comble — au million près — l’écart entre les deux provinces. Et on n’a pas encore épuisé la liste des services disponibles au Québec et non en Ontario. Les Ontariens de la classe moyenne ne font que payer, au privé, et parfois plus cher, les services que les Québécois reçoivent de l’État. Et lorsqu’on ajoute la subvention permanente et universelle que l’État accorde à chaque Québécois en vendant son électricité 38% moins cher qu’en Ontario, le fardeau bascule allègrement sur l’épaule de l’Ontarien, pauvre, moyen ou riche. Il est donc paradoxal que des membres éminents du PQ s’évertuent aujourd’hui à faire croire à la classe moyenne qu’elle ne profite pas de l’État québécois.

Dans les faits, le niveau de vie du Québécois, à tous les niveaux de revenu, est supérieur à celui de l’Ontarien. Quoiqu’en disent les palmarès souvent cités et qui ne calculent que les coûts de la social-démocratie québécoise sans en quantifier les bénéfices, le niveau de vie québécois est comparable à celui de nos voisins américains, dès lors qu’on tient compte du nombre d’heures travaillées. Les Américains travaillent désormais davantage que les Japonais. Les Québécois, non. Comme les Français et les Allemands, ils profitent du temps : pour la famille, les amis, les loisirs. Chaque semaine, le salarié québécois dispose d’une heure de plus que les Ontariens, de trois heures de plus que les États-Uniens. Une richesse que les néo-libéraux, stakhanovistes de l’accumulation brute de PIB, ne calculent jamais et qui fait pourtant partie de la qualité de la vie.

Bref, plutôt que de participer à la diabolisation de l’impôt (que Tony Blair vient d’augmenter pour financer ses services de santé), il aurait fallu – il faudrait – dire aux Québécois qu’ils en ont pour leur argent. Voilà pour l’intérêt, disons, égoïste, du contribuable. Il aurait fallu – il faudrait – en appeler également à son altruisme. On n’a pas fait savoir qu’avec leurs impôts et leurs institutions, les Québécois obtiennent une société plus juste. Le taux de pauvreté au Québec est plus faible qu’en Ontario et qu’aux États-Unis et il est en baisse, comme l’indiquait une récente étude de l’Institut de la Statistique du Québec passée inaperçue et celle du Fraser Institute de l’an dernier. Sur tout le continent, c’est au Québec que les inégalités sociales sont les plus faibles, c’est au Québec qu’elles ont le moins progressé depuis 10 ans. Voilà une grande réalisation social-démocrate, un grand succès de la solidarité québécoise. Qui le sait ? Qui en a félicité le Québec ? Qui a dit qu’il faudrait en faire un objectif ?

Payant davantage d’impôt, nous avons davantage de services et davantage de justice. Tant que ce message n’est pas correctement assumé, véhiculé et compris, on ne peut pas être crédible pour la suite. On ne peut pas dire avec force : « Si vous voulez moins de services et moins de justice, allez frapper à la porte adéquiste ou libérale. » Tout de même, un sondage publié par La Presse fin juin démontrait que les Québécois en sont partiellement conscients, 53% d’entre eux refusant le troc « moins d’impôts pour moins de services ». Un chiffre étonnant, compte-tenu du matraquage idéologique des dernières années, mais en retrait par rapport aux résultats obtenus en 1996 ou 1997. Comme quoi le message néo-libéral progresse, sans encore triompher. Il faut s’appuyer sur cette conscience de l’utilité de l’État et la renforcer, plutôt que la fragiliser.

L’augmentation des inégalités de revenus est la résultante directe des changements technologiques dans l’économie (les travailleurs qualifiés prennent de la valeur, les non qualifiés en perdent) et de l’intensification du commerce international (les travailleurs non qualifiés du sud font baisser la valeur des nôtres). Nous sommes donc entrés dans une période où les écarts vont se creuser, générant davantage d’injustice sociale. Pour maintenir le niveau actuel d’inégalités, donc le niveau actuel de cohésion sociale, il ne faudra pas moins de transferts, mais plus.

Sur sa gauche, le Parti québécois doit, à mon avis, assumer ses succès passés et annoncer sa détermination future à lutter contre l’accroissement des inégalités sociales. Il doit également se porter garant de la solidarité et de services publics dont les Québécois bénéficient. Il devrait abandonner à ses adversaires de droite la surenchère des promesses de réduction de l’impôt des particuliers. Il faut les laisser nager dans leur contradiction : ou bien le Québec souffre de déséquilibre fiscal face à Ottawa et n’a pas l’argent nécessaire pour la santé, ou bien il en souffre si peu qu’il peut renoncer à une partie de l’impôt. Le PQ devrait s’extraire de cette contradiction et annoncer plutôt qu’il va maintenir le niveau d’imposition pour le prochain mandat et utiliser les revenus supplémentaires en santé, en éducation et contre la pauvreté. S’il le peut, il réduira la dette.

Dans l’année qui vient, le gouvernement Landry doit dépenser beaucoup d’énergie sur le chantier qu’il vient d’ouvrir sur la pauvreté. S’il le mène bien, il contribuera à définir l’identité sociale du parti pour les batailles électorales à venir. Les décisions qui seront prises pour l’extension des droits des travailleurs non syndiqués, qui forment les deux-tiers des travailleurs du secteur privé, dans la réforme des normes minimales du travail sont également cruciales. En ces temps de prospérité retrouvée, il est temps de donner leur part à ces citoyens qui ne peuvent compter sur aucun corporatisme.

À faire
+ Une vraie synthèse entre l’entreprenariat et la solidarité

Il est normal que les sociaux-démocrates québécois, ayant pour la première fois de leur histoire assumé les tâches de rigueur budgétaire et de relance de l’économie, ayant pour la première fois tissé des liens avec les milieux d’affaires et la PME, n’aient encore qu’imparfaitement fait la jonction entre leur vieille pratique du cœur et leur nouvel entendement du portefeuille.

On peut cependant dessiner les contours d’un pacte québécois entre les deux. Le Québec est, pour l’instant, l’endroit où les coûts de production sont les plus bas en Occident. La faiblesse du dollar y est pour beaucoup, comme la structure des coûts. L’allégement fiscal québécois pour les entreprises, qui ont payé l’an dernier 1,4 milliard $ de moins que si elles avaient été en Ontario, fait le reste. Le Parti Québécois devrait prendre l’engagement de maintenir, voire de creuser cet avantage. La réduction programmée de la taxe sur le capital doit se poursuivre, la réglementation administrative doit encore considérablement s’alléger. Une nation qui, comme le Québec, exporte 60% de sa production hors de ses frontières doit s’astreindre à la compétitivité de ses entreprises et de ses produits.

Partout, le gouvernement québécois doit encourager l’entrepreneuriat, la création d’entreprises et de richesses, le succès individuel. Une façon supplémentaire d’y arriver pour les individus serait de défiscaliser le revenu personnel ou familial consacré à l’investissement direct dans une petite entreprise, par le biais d’un Régime d’épargne entreprenariat, s’apparentant aux REER.

De même, puisqu’il canalise davantage de richesse collective dans la livraison de services publics plutôt que privé, le modèle québécois doit devenir exemplaire dans l’efficacité de ses services publics. Les contrats de performance et les plans de réussite instaurés par le ministre François Legault en éducation, qu’il veut maintenant appliquer en santé — où Pauline Marois avait enclenché le mouvement —, doivent marquer, non la fin, mais le début d’un virage. S’il veut se distinguer comme le seul véritable défenseur du service public, comme il le devrait, le PQ doit devenir encore plus exigeant pour en accroître la qualité, la rapidité, l’efficacité et la souplesse.

Le modèle québécois doit s’appuyer sur ses deux pieds. D’une part, faire mieux que ses voisins pour libérer le capital nécessaire à l’investissement productif et à la création de richesse. En contrepartie, exiger plus que ses voisins en termes de droits et normes minimales pour ses travailleurs, continuer à redistribuer davantage la richesse collective ainsi créée et offrir des services de qualité.

+ L’environnement et la langue

Moins exigeant sur les coûts de production, le modèle québécois doit être plus exigeant également pour l’environnement. Le ministre André Boisclair est en train de redonner au ministère de l’Environnement un tonus qui lui a trop longtemps manqué. Là encore, l’engouement du Parti Québécois pour le développement économique lui a fait, un temps, perdre son engagement environnemental. Il est temps de lui redonner sa place, en agriculture comme en forêt et en gestion de l’eau. Qu’on laisse le ministre franchir encore les pas nécessaires à la reconstruction de la réputation verte du PQ, il en résultera un développement politique durable.

Une dernière tâche : l’équilibre linguistique. D’ici quelques mois, Statistique Canada nous dira si le recensement de 2001 confirme, tempère ou infirme les prévisions du Conseil de la langue française sur la mise en minorité des francophones sur l’île de Montréal d’ici 14 ans. Si la tendance se maintient, comme c’est probable, le gouvernement du Parti Québécois, ayant créé la nouvelle entité politique « une Île/une Ville », aura contribué à ce que ce déséquilibrage linguistique prévisible se traduise en un clivage politique lourd de conséquences entre la nouvelle et puissante municipalité majoritairement non-francophone et le reste du Québec. Responsable d’avoir introduit cette bombe à retardement dans notre système politique, il incombe au PQ d’agir vite et bien pour la désamorcer à temps. L’étalement urbain étant essentiellement dû à des francophones (à 82%) et majoritairement à des jeunes familles achetant un logis en banlieue, on peut freiner le phénomène en rendant le logement sur l’île plus attrayant et en épaulant spécifiquement l’accès des jeunes parents à la première propriété sur l’île. Il faut cesser d’avoir peur des édiles municipaux de la couronne montréalaise lorsqu’on veut atteindre un objectif national raisonnable, celui d’empêcher une coupure linguistique et culturelle entre le cœur de la métropole et le reste du Québec.

+ Penser au moyen terme

Il se peut fort bien qu’il soit déjà trop tard pour faire marche arrière et que l’échec du PQ aux urnes soit déjà programmé. Il se peut que rien de ce que je propose ne soit suffisant pour conserver une pluralité de sièges, l’élection venue. Que les Québécois préfèrent aller voir ailleurs, pour quatre ou huit ans, ne serait-ce que pour changer d’air. Mais la direction péquiste doit penser aussi à moyen terme. En ces matières, la persévérance paie. Un gouvernement adéquiste ou libéral qui démantèlerait des pans du modèle québécois sans se soucier de l’impact sur les inégalités sociales se heurterait à de graves difficultés. Cela ne rendrait que plus nécessaire le retour au pouvoir d’un Parti Québécois resté fidèle à ses convictions. De même, on sait que la ligne de fracture entre le Québec et le Canada s’aggrave, ce que l’arrivée d’un Paul Martin plus diplomate que son prédécesseur ne pourrait occulter que temporairement. C’est en restant résolument souverainiste que le PQ pourra crever l’abcès, le temps venu.