Être vert dans un pays brun

(La question du pétrole albertain étant d’actualité, je republie cette semaine une série de billets à ce sujet.)

iranian_oil_euro-150x150Les Québécois doivent se rendre à l’évidence. Ils vivent dans un pays qui se transforme, sous leurs yeux, en grande puissance pétrolière.

D’ici 10 ans, la production canadienne d’hydrocarbures va doubler. Le Canada sera un des quatre pays pétroliers les plus importants du globe. Combiné à l’augmentation inéluctable du prix du pétrole, cela va pousser le pouvoir économique du pays vers l’Ouest comme jamais.

Or le Québec ne produit pas de pétrole. Au contraire, il en importe, essentiellement de l’étranger. C’est d’ailleurs son importation principale et l’argent qu’il y consacre ne lui rapporte rien. En 2007, les Québécois ont acheté pour 13 milliards de dollars de pétrole. Si, dans dix ans, le baril devait être à 150$, ce qui est vraisemblable, la facture sera de 21,5 milliards.

Bref, l’intérêt stratégique du Québec est de réduire le plus rapidement possible la part du pétrole dans sa consommation, donc de décourager ses citoyens d’utiliser les produits pétroliers. L’intérêt stratégique du Canada est de favoriser de tous les moyens possibles les produits pétroliers. Pour utiliser une image (et j’invite les internautes à m’en suggérer d’autres) le Québec vert dans un Canada brun, c’est un peu comme si un séminariste avait loué une chambre dans un hôtel de passes et tentait de convaincre le propriétaire d’imposer un couvre-feu. Voyons comment cela se traduit concrètement:

1. Des politiques publiques à contresens des intérêts québécois

La meilleure illustration vient d’être faite. Dans les plans de relance économique de l’an dernier, plusieurs pays importateurs nets de pétrole ont rivalisé d’ingéniosité pour financer des projets ayant un impact environnemental positif, notamment de réduction de la consommation d’énergie. Selon le relevé établi par la banque HSBC, la Chine l’a fait à la hauteur de 38%, l’Union européenne à 59%, la Corée du Sud, à 80% ! Le Canada n’y a consacré que 8% de ses investissements, ce qui même est en retrait de l’effort américain (10 à 12%, mais sur des sommes colossales).

On aimerait pouvoir dire que le Québec a mis son propre plan de relance au service de son environnement. Comme je l’ai déjà écrit ici, ce n’est pas (encore) le cas. Reste qu’il est engoncé dans un pays qui va dans le sens inverse de son intérêt. Lorsqu’on nage dans le pétrole et dans les profits du pétrole, on ne concentre pas son énergie sur les façons de s’en débarrasser.

2. Une menace de sanctions internationales

On le sait, le Québec est, en Amérique du nord, le seul endroit qui aura respecté, en 2012, les objectifs fixés à Kyoto pour la réduction de ses gaz à effet de serre et le seul endroit qui se soit engagé à réduire de 20% ses émissions d’ici 2020, soit l’objectif européen.

Pourtant, parce qu’il fait partie d’un État voyou sur la question de l’environnement, il pourrait être puni par… les Européens. Paradoxe des paradoxes, il serait ainsi davantage puni que l’Alberta.

Au lendemain de l’échec de Copenhague, les Européens ont repris leur débat sur l’opportunité d’imposer une taxe carbone aux produits provenant de pays qui ne font pas d’effort conséquent pour le climat. «Si certains pays parmi les plus grands émetteurs au monde continuent de faire obstacle à l’adoption d’objectifs contraignants de réduction des émissions, l’Union européenne doit envisager, comme le permet le rapport de l’OMC du 26 juin, une taxe carbone sur les produits importés de ces pays qui font une concurrence déloyale à nos entreprises» a par exemple affirmé fin décembre le ministre belge de l’Environnement. On sait que la France et l’Allemagne voient cette mesure d’un bon oeil. Plutôt qu’une taxe à l’importation, il pourrait s’agir de l’obligation faite à la compagnie exportatrice (par exemple, Bombardier) d’acheter un permis de polluer sur le marché européen du carbone. Quelle que soit la méthode, cela rendrait le produit importé plus cher, donc moins compétitif.

Or, au Canada brun, le Québec vert est le principal exportateur vers l’Europe (25% du total canadien). On y vend pour 8,5 milliards de produits, en forte progression depuis 2004. L’Alberta ? 1,7 milliards.

Bref, le Québec, qui n’y est pour rien, serait cinq fois plus puni par l’Europe que l’Alberta, grande responsable de la politique polluante du Canada. Et ils voudraient qu’on applaudisse.

6 avis sur « Être vert dans un pays brun »

  1. Bien qu’il soit impératif que le Québec diminue sa consommation de pétrole pour une consommation d’énergie plus verte en pensant aux prochaines générations de citoyens, je crois tout de même qu’entre temps, nous devrions tout d’abord importer du pétrole de l’Alberta à un prix compétitif et non de pays étrangers. Un exercice continu de relations publiques pourrait sans doute aussi aider le Québec à se démarquer du reste du Canada en matière d’environnement.

  2. Les pétrolières dépensent des millions de dollars en publicité aux Canada chantant, la main sur le coeur, leurs engagements envers la protection de l’environnement, pendant qu’en privé elles s’opposent à toute nouvelle règle en matière de réduction des GES…

    Et pour Couillard, la protection de l’environnement du Québec est devenu une nuisance aux «vraies affaires»…celles de ses petits amis.
    Le silence de Heurtel en dit long sur son incapacité d’être performant en tant que ministre de la Lutte contre les changements climatiques. On voit que c’est pas lui le champion du Développement durable et de l’Environnement au Québec!
    Y serait plus à sa place comme ministre des Pétrolières et des Autorisations bidons.

    Et pour «l’acceptabilité sociale» de ces mauvais projets pétrocratiques Albertains, on peut compter sur plus de 50 lobbyistes inscrits pour aider à faire avaler la pilule miracle du bonheur « Made in Alberta » auprès de ministère, de municipalités et de sociétés d’État. Et c’est sans parler des «Sans inscrits» de LaPresse…

    Pour ce qui est de TransCanada à Cacouna, c’est le loup mal déguisé en petit mouton dans la bergerie. On a eu la preuve avec ces débuts de travaux en broches à foin qu’on ne pourra jamais leur faire confiance. Cannon junior n’a sciemment pas dit toute la vérité; ils ont déjà renier leurs engagements environnementaux à Cacouna.
    Ils voudraient éliminer la présence des bélugas du Saint-Laurent qu’ils ne s’y prendraient pas autrement!
    Pour Cannon junior, l’espèce menacée c’est d’abord les billets verts de ses patrons.

  3. Les arguments de Monsieur Lisée deviennent de plus en plus farfelu. « Lorsqu’on nage dans le pétrole et dans les profits du pétrole, on ne concentre pas son énergie sur les façons de s’en débarrasser. » Une simple opinion parfaitement simpliste, un principe concocté dans la tête de Lisée, le philosophe.

    Puis on y lit:  » l’intérêt stratégique du Québec est de réduire le plus rapidement possible la part du pétrole dans sa consommation, donc de décourager ses citoyens d’utiliser les produits pétroliers. » C’est l’Alberta qui empêche le Québec de réduire sa consommation de pétrole actuellement? Comment peut-on vous prendre au sérieux?

    « L’intérêt stratégique du Canada est de favoriser de tous les moyens possibles les produits pétroliers. » Une autre opinion personnelle qui n’a absolument aucune valeur pratique. L’Alberta oblige le Québec à avaler du pétrole. Avec l’indépendance, le Québec ne sera plus obligé par l’Alberta d’avaler du pétrole.

    On rit ou on pleure? Je trouve tout cela bien pathétique et enfantin.

    • Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, tout empêtré dans ses préjugés. Moi, je boycotte, autant que faire se peut, les produits pétroliers. Mais que fera le Gouvernement du Québec de Couillard quand l’oléoduc de l’Ouest (Alberta) traversera le Québec, comme un lasso stangulatoire ???

  4. Il faudra bien s’y résoudre. Le Canada doit devenir une République…

  5. Monsieur Lisée,

    Je lis avec intérêt vos publications de ces derniers jours qui touchent sur l’impact de l’économie canadienne mais je dirais avec sarcasme «économie albertaine de Harper» sur l’économie québécoise. Je ne peux vérifier vos données mais j’apprécie qu’enfin on nous donne des chiffres sur ce que vaut «notre maison québécoise dans ce quartier canadien» et ce qu’il nous en coûtera comme hypothèque future dans un marché mondial.
    A vos données pourraient s’ajouter les impacts financiers sur l’environnement qui résultent des changements climatiques et de toute cette pollution.
    Combien donnons-nous et devrons-nous donner dans les 10 prochaines années comme aide financière aux zones touchées par des catastrophes environnementales dont beaucoup se produisent dans des pays et des populations défavorisées? Sans doute mucho, mucho…
    Merci de votre attention.

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