Étudiants : les victoires de la grève

manifÀ mon avis, la grande grève étudiante de 2012 aura été couronnée de victoires. Enfin, pas de « la » victoire, en ce sens que rien n’indique encore que le gouvernement cédera sur la revendication centrale : l’annulation de la hausse des droits de scolarité de 75 % en cinq ans.

Mais je compte au moins cinq avantages collatéraux au mouvement qui vient de déferler sur le Québec.

Une super-pub pour l’éducation supérieure. L’université doit être un outil de mobilité sociale. Mais contrairement à nos voisins de tradition protestante, le Québec catholique, méfiant des élites, a mis longtemps avant que ses classes laborieuses intègrent l’importance de l’éducation supérieure. Et les moins nantis d’entre nous surestiment encore les coûts de l’université et en sous-estiment les bénéfices. Voilà pourquoi il est imprudent d’alourdir les barrières tarifaires à l’entrée. (À mon avis, on ne devrait rien payer pendant ses études, puis rembourser les deux tiers du coût réel de sa formation lorsque — et seulement si — on devient un haut salarié, comme je l’explique ici.)

Quel message les centaines de milliers d’étudiants — et tous les acteurs publics québécois, quelle qu’ait été leur position dans ce débat — ont-ils envoyé au reste de la société depuis 10 semaines ?

Celui-ci : l’éducation supérieure est un bien précieux, à préserver, à financer. Elle a été valorisée pendant toute une saison. C’est déjà ça de pris.

Des leaders modèles. Vous les avez entendus cent fois, les leaders de la CLASSE, de la FEUQ et de la FECQ. Rien à voir avec la langue pâteuse et relâchée du tsé-veux-dire. Leur langage est clair, précis, grammaticalement et syntaxiquement correct. Ils ont l’attitude de ceux qui savent ce qu’ils font, où ils vont, comment s’y prendre. Il y a du théâtre dans tout ça, évidemment.

Mais il y a surtout, pour les centaines de milliers d’étudiants, des modèles. Voilà comment on se tient quand on est un leader étudiant. Voilà comment on parle. Voilà qui on choisit. Voilà ce que notre école peut produire.

Et puisque les leaders étudiants d’aujourd’hui sont toujours nos ministres de demain, on sent là une relève qui promet.

L’école de la démocratie. Réfléchissez un instant au degré d’organisation nécessaire pour mobiliser ces troupes, les déplacer, les informer, les coordonner. Au travail, mais aussi à la pensée stratégique et tactique nécessaire pour tenir les assemblées générales dans chaque établissement, argumenter pour ou contre la grève, savoir jusqu’où aller. Savoir quand monter le ton, quand le baisser. Gérer l’enthousiasme, puis la déception.

Combien de « compétences transversales » ont mises à contribution les quelques milliers de nouveaux militants étudiants formés dans le feu de cette action ? Et chez les 200 000 autres qui y participent d’une façon ou d’une autre et qui sont — pour la première et souvent la seule fois — immergés dans une action collective ?

Ils étaient étudiants, ils sont devenus citoyens. Collectivement, ils sont descendus dans la rue, ont attiré l’attention, ont modulé le réel. Ils sont devenus quelqu’un dans la cité. Et même s’ils devaient retourner, penauds, à leurs cours et à leurs droits de scolarité majorés, bon nombre d’entre eux auront été marqués à vie par cet engagement et seront — c’est mon espoir — moins prompts à de désengager à l’avenir.

Une victoire esthétique. Le mouvement étudiant de 2012 a procédé à une expropriation, celle de la couleur rouge. Elle était jusqu’ici associée, chez nous, au Canada et aux libéraux. Tout un exploit que de prendre la teinte de l’adversaire, qui se retrouve ainsi décoloré, affadi, vaincu, au moins sur le terrain esthétique.

Les citoyens québécois du monde. Ils ont manifesté à Trois-Rivières et à Sherbrooke, mais leur mouvement s’est voulu frère de combats plus larges. Le savoureux jeu de mots « printemps érable » (attention alertinternautes : quelqu’un connaît la première utilisation de l’expression ?)  incarne cette fusion du mondial et du local (le glocal, en anglais).

Charest n’est pas Assad, loin s’en faut. Mais les grandes manifs participent de la volonté d’être entendu par les puissants, de devenir puissant soi-même. Plus : dans le sillon du mouvement Occupy de l’automne, et additionné à la vague humaine du Jour de la Terre, le combat sur les droits de scolarité est l’expression d’un refus de la marchandisation de la société.

Un « ça va faire ! » à l’omniprésence du signe de piastre. Une volonté de respirer autre chose que des colonnes de chiffres. Il n’y a pas que de la naïveté dans ce sentiment. Il y a une saine résistance à l’aplatissement des valeurs sous le rouleau compresseur des gestionnaires.

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