Francos: « on n’a jamais tant entendu parler anglais à Mtl »

70%

Le chiffre est massif. Et il vient d’une source sûre. Appelés à déclarer s’ils sont en accord avec la phrase « je n’ai jamais entendu autant parler anglais à Montréal« , 70% des francophones disent OUI. (Même le quart des anglophones et 29% des allophones sont d’accord !) Autre révélation:

36%

Plus du tiers des francophones (36%) affirment qu’il « est difficile de se faire servir en français à Montréal« . Imaginez, un sur trois, dans une ville francophone ou les anglophones affirment à 80% pouvoir tenir une conversation significative en français. C’est quand même bizarre !

Shocking ! Ces données viennent d’un sondage commandé à Léger par le très fédéraliste directeur de l’Association d’études canadiennes Jack Jedwab, et payé par… The Gazette, pour démontrer combien le sondage de L’actualité sur les Anglos était — comment dire? — excessif !

Avant d’aller plus loin, quelques remarques ludiques. On a reproché à notre sondage CROP/L’actualité/98,5FM de fonder nos conclusions sur un échantillon de 560 anglos. Jack en consulte… 250. On a reproché à CROP d’avoir utilisé un panel web, plutôt qu’un sondage téléphonique (j’y reviens plus loin en réponse à Charles Castonguay). Léger utilise pour Jack… un panel web.

Surtout, on nous a accusé d’avoir traité les Anglos en « ennemis » — accusation ridicule. Mais quelle aurait été la taille des rochers avec lesquels on nous aurait lapidés si nous avions osé poser la question suivante, présente dans le sondage Jedwab/Gazette:

Croyez vous que les Anglophones constituent la menace principale à la langue française à Montréal ?
Ouf ! Question dure !
51% des francophones répondent non et 44% oui.

Objectif, nous contredire. Verdict ?

Le but du sondage était évidemment de contredire nos propres conclusions. Jack/Gazette y arrive-t-il ?

En posant quelques questions différemment, on trouve en effet des différences significatives.

Test # 1: L’avenir du travail en anglais à Montréal

Question L’actualité: Compte tenu de la mondialisation et du pouvoir de la langue anglaise, ce n’est qu’une question de temps avant que l’essentiel du travail soit réalisé en anglais à Montréal.

Réponse: 54% des Anglos sont d’accord, 46% sont en désaccord

Question Jedwab/Gazette: Éventuellement, la majorité des Montréalais travailleront en anglais

Réponse: 25% des Anglos d’accord, 75% en désaccord

Quelle conclusion en tirer ? Je postule que les deux sondages sont valides, sinon ni CROP ni Léger n’aurait accepté de les faire. Donc, on ne peut conclure qu’une chose. Hors contexte, à froid, 75% des Anglos pensent que le travail ne se fera pas, un jour, majoritairement en anglais. Mais il suffit de mentionner « le pouvoir de la mondialisation et de l’anglais » pour faire doubler le nombre de répondants qui estiment que, oui, cela va arriver. Ce n’est donc pas une opinion, à froid, très solide.

Mais c’est une question de prédiction, pas de vœu. La suivante est plus signifiante car elle tient du vœu, ou de l’acceptation d’une situation.

Test # 2: L’avenir de la vie en anglais à Montréal

Question L’actualité: Je suis en paix avec l’idée que Montréal deviendra une ville où l’anglais prédominera, alors que le reste de la province conservera son charme francophone.

Réponse: 59% des Anglos sont d’accord, 41% sont en désaccord

Question Jedwab/Gazette: Je n’aime pas l’idée que Montréal deviendrait une ville principalement anglophone.

Réponse: 55 % des Anglos sont d’accord, 38 % sont en désaccord

Qu’en conclure ? D’abord, un dénominateur commun: un minimum de 38% d’Anglos aiment l’idée que Montréal va devenir principalement anglophone. Ce n’est pas rien. Pour passer de ce 38 à notre 59% que s’est-il produit ? Votre jugement vaut le mien. On demandait d’adhérer positivement à l’idée — « Je suis en paix » –, alors que Jack oblige le répondant à contredire — « Je n’aime pas ». C’est plus difficile et cela entraîne davantage de confusion (vous n’aimez pas la lèpre, d’accord ou pas d’accord?). De notre côté, nous ajoutons que le Montréal anglo serait toujours entouré d’une province au charme francophone, ce qui a pu dorer la pilule à certains.

Test # 3: Il n’y en a pas !

Nos questions les plus signifiantes portaient sur l’acceptation, par une majorité d’Anglos, du droit de compagnies montréalaises à embaucher des cadres supérieurs unilingues, même si cela signifiait d’imposer l’anglais aux salariés francophones. Jack/Gazette n’offre aucune reformulation à cette question précise.

Une majorité affirmait aussi que la ville de Montréal ne perdrait pas son âme si le français n’y était plus prédominant. Une question forte qui allait au cœur de la perception qu’ont les Anglos de l’originalité de Montréal. Pas de nouvelle tentative ici non plus. Dommage

Le regard critique de Charles Castonguay

Rien ne s’écrit sur la langue au Québec sans subir le regard perçant de Charles Castonguay, et c’est bien ainsi. Dans un récent article de L’Aut’Journal, Charles nous reproche trois choses.

D’abord, d’avoir utilisé un Panel Web pour notre sondage CROP. « Pareil panel ne représente que lui-même », écrit-il, reprenant des arguments très sérieux utilisés contre les sondages par Panel Web dont j’avais moi-même discuté avec la sociologue Claire Durand dans une entrevue de mars 2011.  Cependant, depuis, même Claire a dû admettre que les sondages web réalisés avant la campagne électorale de mai 2011 avaient été aussi précis que les sondages par téléphone — dont on sait qu’ils ont du mal à suivre les seuls abonnés des cellulaires. Léger affirme de son côté que ses sondages web était de 2% plus précis que les sondages téléphoniques. Voilà l’état du débat.

Ensuite, Charles nous reproche d’avoir « pris soin d’écarter tous les métissés anglais-français de type anglophone francisé ou francophone anglicisé, pour ne retenir qu’un noyau dur d’anglophones (langue maternelle) persistants, qui continuent à parler surtout ou exclusivement l’anglais à la maison, additionné d’allophones (langue maternelle) anglicisés, qui ont choisi l’anglais – et non le français – comme leur nouvelle langue d’usage. »

Nous plaidons coupable. Nous n’avons pas eu l’idée saugrenue de considérer comme « Anglo » un allophone francisé. Nous avons pensé aussi que ce serait bizarre de juger de la qualité de l’enseignement du français dans les écoles en demandant à des Anglos de langue maternelle française s’ils pouvaient parler… leur langue maternelle.

Mais qu’a cela ne tienne, et que Charles se rassure, les écarts sont très faibles. À la question de savoir si les entreprises devraient avoir le droit d’embaucher des cadres unilingues anglais, l’échantillon qui inclut les Anglos de langue maternelle française est d’accord à 59% (et 63% sur l’ile de Montréal) et l’échantillon qui les exclut est d’accord à 63% (et 64% sur l’île de Montréal). Chez les jeunes, la proportion passe de 70% avec les Anglos de langue maternelle française à 74% sans eux. Donc, les tendances sont très lourdes, quelle que soit la découpe.

Charles, toujours prêt à rendre service, a raison de m’indiquer que je suis trop enthousiaste avec les couples. Je note qu’un anglophone sur deux qui vit en couple le fait maintenant avec un francophone. Il me fait remarquer que c’est un sur trois, car celui qui est en couple avec un autre Anglo est, disons, deux. Je note donc pour la suite: un Anglo sur trois est en couple avec un franco. Un couple sur deux qui contient un Anglo contient aussi un franco. Dans tous les cas, c’est une situation en forte progression.

Merci Charles.