Harel a gagné… dans le Montréal pré-fusions

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Rien ne fait plus mal, en politique, que les boomerangs qui vous fracassent le crâne. Vous regrettez de les avoir lancés avec autant de force. Si Louise Harel avait été, dimanche, candidate dans la ville de Montréal telle qu’elle existait avant les fusions qu’elle a elle-même menées, elle serait aujourd’hui mairesse. Selon mes calculs, elle aurait triomphé dimanche avec 39% des voix, contre 33,5% à Gérald Tremblay et 27,5 % à Richard Bergeron.

Montréal aurait la première femme, ouvertement souverainiste, pas complètement bilingue, à diriger la ville. Comme mairesse de la principale ville de la région, elle présiderait la Communauté urbaine de Montréal, l’organisme supra-municipal qui dirigeait, cahin-caha, la métropole. Le calcul est simple:Il suffit de prendre le total des voix obtenues par les trois principaux candidats et d’en soustraire celles comptabilisées dans les arrondissements qui n’étaient pas montréalais en 2001. Tremblay perd près de 70 000 votes, et sa majorité. Harel et Bergeron en perdent chacun 35 000. Au final: Harel a une majorité de 13 500 voix sur Tremblay. Comment cela s’explique-t-il ? L’argent ? Des votes ethniques?

La corrélation avec la langue est majeure. Dans l’ex-Montréal, je l’ai dit, Harel a fait 39%. Elle n’atteint cette proportion dans aucune des anciennes villes fusionnées. Dans presque tous les nouveaux arrondissements massivement francophones, elle fait tout de même bonne figure.

Jugez vous même.

Voici les nouveaux arrondissements, leur taux de francophones, puis leur taux d’appui à Harel

Anjou, 90% franco: 35% Harel
Montréal-Nord,  82% franco: 35% Harel
Outremont, 80% franco: 34% Harel
Verdun, 74% franco: 34% Harel
Ste-Geneviève/Bizard: 72% franco: 27% Harel
St-Léonard, 56% franco: 18% Harel
Lasalle, 52% franco: 26% Harel
St-Laurent, 42% franco: 18% Harel
Pierrefonds/Roxboro, 40% franco: 17% Harel

Le seul résultat qui n’est pas sur cette courbe descendante est Lachine, francophone à 71%, mais qui n’a donné que 17% à Harel. Le paradoxe est que Louise Harel (que j’adore, soit dit en passant) aurait passé une encore plus mauvaise soirée dimanche soir si son rêve initial d’une île une ville s’était réalisé. Imaginez l’hécatombe qu’elle aurait subi à Westmount, Kirkland, Hampstead, Beaconsfield et les autres villes défusionnées grâce à Jean Charest.

Ceux qui s’attendent à ce que je ne critique jamais le Parti québécois dans ce blogue en seront pour leurs frais. J’ai toujours pensé et pense encore que l’opération fusion fut, à Montréal, une faute politique majeure. Lorsqu’on dirige une nation dont la majorité est minoritaire sur le continent, dont la proportion se marginalise dans la fédération, dont le poids linguistique se fragilise dans sa métropole, on n’introduit pas de réformes institutionnelles qui affaiblissent son pouvoir dans sa principale ville.

Pour la petite histoire, quand j’ai quitté le cabinet du premier ministre en septembre 1999, il n’était pas question d’appuyer une île une ville, mais de maintenir les villes existantes en renforçant les pouvoirs d’équité fiscale et de planification industrielle, de la communauté urbaine. Ce n’était pas mon dossier, mais je considérais que cette proposition gardait intacte la ville de Montréal, où les francophones étaient nettement majoritaires. Elle préservait aussi, ce que je considérais non négligeable, l’identité municipale des villes anglophones et bilingues. Il faut être cohérent. Ou bien on est sensible aux questions identitaires, et alors on reconnaît son importance dans les institutions de nos minorités, ou bien on ne l’est pas. Lorsque le gouvernement s’est engagé sur la voie de la fusion de toute l’île, j’ai demandé directement pourquoi un gouvernement du Parti québécois oeuvrait pour miner le pouvoir politique des francophones dans la métropole. Je n’ai jamais eu de réponse convaincante.

Dimanche soir, le boomerang est revenu. C’est triste pour Louise. Mais pas seulement…

Manif anti-fusions (photo PC)