« Indécent et immoral » : De la différence entre le lobby et la politique

De mon poste d’observation comme ministre de la Métropole, je m’intéresse aux positionnements des uns et des autres face au nouveau gouvernement.

Le monde des affaires montréalais est, comme chacun sait, de fort méchante humeur depuis l’annonce le 22 septembre d’une hausse rétroactive des taux d’imposition des plus fortunés d’entre nous, hausse destinée à offrir une baisse de fardeau fiscal à 5 millions de Québécois.

À la sortie du Conseil des ministres mercredi 26 septembre, mon collègue des Finances Nicolas Marceau a indiqué que le gouvernement était « ferme sur les principes, mais souple sur les moyens ». Il était prêt à revoir plusieurs éléments du dispositif, y compris la rétroactivité et l’application de la hausse sur les gains de capitaux et les dividendes. Le refus, patent, des deux partis d’opposition d’appuyer une hausse rétroactive (technique employée, il faut le rappeler, par le libéral Gérard D. Levesque), ajoutait une raison de plus de refaire les calculs.

Je précise ce fait important car il nous permet de jauger la réaction de divers lobbies patronaux dont le rôle bien compris est d’influencer la décision gouvernementale en faveur des intérêts de leurs membres.

Dès mercredi soir, le ministre des Finances se dit « souple sur les moyens », donc réceptif à des solutions de rechange.

Avant mercredi, la Fédération des Chambres de commerce du Québec avait émis un communiqué strident, dénonçant le « ton belliqueux de certains ministres » et des mesures s’apparentant « à un acte d’hostilité à l’encontre d’une catégorie de contribuables ».

Après mercredi, la Fédération, restant ferme sur son opposition de principe, se montrait plus souple dans le ton, appelant le gouvernement à « engager un dialogue ouvert avec la communauté d’affaires au profit du développement économique » et rappelant que ce dialogue avait eu lieu, auparavant, avec des gouvernements péquistes.

Au Conseil du Patronat, l’émission de communiqués ne permet pas de faire de comparaisons avant/après. Mais le président Yves-Thomas Dorval semble avoir évité l’hyperbole dans ses entrevues et invitait dès mardi « le gouvernement du Québec à clarifier rapidement ses intentions en ce sens, à éviter une application rétroactive, et à préciser du même souffle ce qu’il entend faire au sujet des impôts pour les entreprises ».

Ce qui nous mène au remarquable texte publié vendredi matin dans des quotidiens montréalais et à la non moins remarquable vidéo diffusée dans la journée de vendredi par Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).

L’intérêt de la lettre et de la vidéo ne réside pas dans la ferme opposition de la Chambre aux mesures annoncées, opposition parfaitement légitime, mais plutôt au ton choisi, très offensif, alors même que le gouvernement est, lui, en mode solutions. Cette phrase, placée en début de texte, n’est pas anodine:

Passons rapidement sur l’aspect rétroactif des mesures proposées. C’est tout simplement immoral et indécent.

Je ne doute pas qu’une majorité des membres de la chambre soient d’accord, sur le fond, avec cette affirmation. Mais puisque l’objectif de la CCMM est de convaincre le gouvernement d’assouplir sa position, et que ces assouplissements sont en discussion, on peut se demander si la force de la charge, et le choix du moment, ont été bien choisis pour atteindre le but visé.

D’autant que la CCMM tente d’inviter la Première ministre à s’adresser à ses membres d’ici Noël, sans compter la demande d’une rencontre imminente avec votre humble serviteur.

Chacun peut être gauche, donc contreproductif, dans ses interventions, c’est certain. Cela arrive à tous les acteurs publics, et privés.

Mais, même dans le débat vif, il faut savoir quand monter à la barricade, et quand induire un cessez-le-feu. Le Conseil du Patronat et la Fédération des Chambres de Commerce semblent l’avoir saisi.

Et on pensera peut-être un jour — à cause de la coïncidence de date, de contenu et de dureté — que la vidéo de M. Leblanc était la première pub de la campagne de Raymond Bachand au leadership du Parti libéral du Québec.

Ce serait, évidemment, une erreur. Mais comme je le disais plus haut, tout le monde peut se tromper.

14 avis sur « « Indécent et immoral » : De la différence entre le lobby et la politique »

  1. « À la sortie du Conseil des ministres mercredi 26 septembre, mon collègue des Finances,Nicolas Marceau a indiqué que le gouvernement était « ferme sur les principes, mais souple sur les moyens ». Il était prêt à revoir plusieurs éléments du dispositif, y compris la rétroactivité et l’application de la hausse sur les gains de capitaux et les dividendes. Le refus, patent, des deux partis d’opposition d’appuyer une hausse rétroactive (technique employée, il faut le rappeler, par le libéral Gérard D. Levesque), ajoutait une raison de plus de refaire les calculs.

    Je précise ce fait important car il nous permet de jauger la réaction de divers lobbies patronaux dont le rôle bien compris est d’influencer la décision gouvernementale en faveur des intérêts de leurs membres. »

    1. « Il était prêt à revoir plusieurs éléments du dispositif, y compris la rétroactivité et l’application de la hausse sur les gains de capitaux et les dividendes. »
    a. Aucune innovation dans cette façon de faire, pour lancer un processus de discussion/négociation. Relation publique 101 :
    i. Le gouvernement impose une proposition inacceptable à l’autre partie en sachant très bien quelle sera sa réaction, car les membres du gouvernement auraient la même.
    ii. Ensuite le gouvernement recule sur la partie inacceptable et passe pour conciliant, par contre le gouvernement tient à son objectif principal sans faiblir.
    iii. Si l’autre partie tente de faire reculer le gouvernement sur son objectif principal, alors le gouvernement à le droit de crier au manque de bonne foi de l’autre partie.
    iv. À la finale le gouvernement impose sa vision en se justifiant par le manque d’ouverture de l’autre partie
    v. L’opinion publique l’appui d’autant que l’autre partie est composée de méchants riches.
    2. « …une hausse rétroactive (technique employée, il faut le rappeler, par le libéral Gérard D. Levesque) »
    a. Un argumentaire plutôt faible. L’autre là fait j’ai le droit de le faire même si ce n’est pas correct.
    3. « … jauger la réaction de divers lobbies patronaux dont le rôle bien compris est d’influencer la décision gouvernementale en faveur des intérêts de leurs membres. »
    a. Jauger la réaction de lobbyiste, est une tache facile. Leur définition, leur mission et leur raison d’être est de faire connaître les intérêts de ceux qu’ils représentent.

  2. Nous ne sommes pas en position de force puisque nous formons un gouvernement minoritaire. Nous devons donc négocier, trouver des compromis. L’avenir de ce gouvernement dépendra de son habileté à contourner les récifs contre lesquels il pourrait s’abîmer. Dans un autre ordre d’idée…je ne crois pas que nous puissions vraiment compter sur la bonne foi de l’opposition néolibérale. Les écueils risquent de se multiplier. Le chef intérimaire du parti libéral nous tenait un discours plutôt révélateur relativement à leur calendrier: « Nous sommes en « septembre », nous n’allons pas défaire le gouvernement ». D’autant plus plausible que même dans un scénario de couronnement, déguisé en course à la chefferie, comme celui qui aura vraisemblablement lieu avec le retour « impromptu » de l’ancien ministre de la santé, quelques mois seraient nécessaires pour produire et réaliser la mise-en-scène des Productions Libérales Inc.

    Cette hypothèse conjoncturelle nous amène au printemps…aux alentours de la présentation du premier budget de notre nouveau gouvernement… En attendant, les néolibéraux ne nous en passeront pas une seule! Tous les gains que nous pourrons réaliser, se feront à l’arraché.

    Merci pour l’excellent travail, je vous accompagne au quotidien.

  3. Heureusement qu’on peut compter sur l’objectivité des autres médias et celle des nouveaux élus qui marchaient dans la rue au printemps. Un dur moment à passer, mais ça va aller tellement mieux. Vous allez voir! Avec ou sans casserolles.

  4. D’abord, est-ce que cette hausse n’est pas rétroactive à… 2012? Pourquoi est-ce que personne ne le dit, si c’est le cas? Je peux comprendre que des ajustements soient nécessaires à la mesure annoncée dans le cas des gains en capital (l’argent peut déjà être gelé quelque part au moment où j’écris ceci et il faudrait faire des acrobaties pour payer l’impôt), mais pas pour le reste.

    Et puis, y en a marre des discours de peur et de menaces…

  5. Et sainte Françoise David-priez-pour-nous va continuer à dire que le PQ n’est « que » social-démocrate, pas assez progressiste.
    Misère.

  6. Depuis de mois c’est une mauvaise habitude des fédéralistes ou nationalistes de critiquer trop tout ce qui vient ou concerne le PQ. Moi, je propose que maintenant que nous sommes au pouvoir (minoritaire ou majoritaire rien n’aurait changé aux critiques négatives à mon avis) faire simplement de conférence de presse pour annoncer d’avis, mesures, etc. avec toutes les données possibles et quand ils se font poser questions en dehors de ça simplement ne pas répondre, parce que ça ne sert a rien. Les journalistes, même si on parle d’oranges ils vont poser de questions sur de pommes ou des bananes. Il faut être ouvert, bien sûr, mais il n’y a plus des journalistes pour informer, il y a surtout des chroniqueurs qui donnent trop leur avis personnel ou de celui pour qui ils travaillent. Dommage, mais il faut protéger nos politiciens de tan d’abus d’agressions verbales autant à la télévision qu’à la radio.

  7. Les nantis ont profité de baisses d’impôts sous le régime Charest. C’est ça qui est indécent et immoral. Il est bon de revenir à un régime d’impôts plus respectueux des différentes classes sociales, plus égalitaire. Si on considère que les étudiants doivent payer leur part, il faut aussi considérer que les nantis doivent payer leur part. Il est temps qu’ils paient leur part. Ils profitent de tellement de déductions d’impôts diverses que leur revenu imposable devient ridicule.

  8. On parle de ce 4% de Québécois qui paierait tantôt 25% tantôt 28% et là nous sommes rendus à 33% de l’impôt québécois. Une question demeure sans réponse, quel serait en proportion la masse salariale de ce dit 4% au Québec ?……….Le taux ou la charge fiscale des entreprises au Québec demeure somme toute avantageuse et l’on prétend qu’une hausse d’imposition au gain en capital et dividendes pourrrait décourager la prise de risque de certains investisseurs pouvant affecter la création d’emplois et de richesse mais, il y a un mais, par la condition d’étranglement actuelle de la classe moyenne qui elle s’avère réellement et prioritairement la vache à lait gouvernementale, il est permis je crois d’étudier, de questionner cette façon de faire institutionnalisée, parfois surboursonnalisée, de faire les choses, de créer cette fameuse richesse PLUS COLLECTIVE……sans vouloir se lancer à la Harry Potter dans une chasse aux sorcières puérile…….
    Sans parler des services publics et parapublics, les conditions et avantages particulièrement du secteur privé manufacturier au Québec directement exposé à la compétition des pays émergents et à la mondialisation, se sont émoussés ces 10 dernières années. Les salaires stagnent et les fonds de pension fondent comme neige au soleil ou disparaissent tout simplement et si la tendance persiste, un déséquilibre sociétal pourrait à moyen terme se produire………Serait-ce vraiment cela en fait créer de la richesse, de la richesse collective pour aujourd’hui bien sûr mais surtout, surtout, sans oublier demain ?………
    Sans être parfaits, il existe de beaux modèles dans le monde, avons-nous le courage collectivement d’au moins nous poser la question ?…..Je crois que peut-être, c’est ce que tente de faire le PQ non ?……….

  9. Délibéraliser le Québec.
    Comme s’il fallait s’attendre à ce que les Chambres de commerce ou les représentants des municipalités, clubs école du parti libéral, soient toujours d’accord avec le P.Q…
    Avec les médias employant des Martineau, Lapierre et compagnie, l’avenir s’annonce sombre pour un parti qui n’est pas libéral au Québec

  10. Bizarre ils se rencontrent se mobilise mettent de la pression sur le gouvernement défendent leur cause veulent dialoguer avec le gouvernement ils sont peut être a veille de porter un rectangle brun (100$) et tapez dans la rue sur leur luxueuse batterie de cuisine lagostina. La différence avec le conflit étudiant si on peut comparer ?? de 3 a 7 % de hausse si je ne me trompe par rapport a une hausse de 82 % des frais de scolarité pour des étudiants qui gagne presque rien !! C’est que le gouvernement actuel est prêt a discuter différente solution contrairement au mépris et a l’arogance de Charest a l’époque ??

  11. Lorsque la poche de quelqu’un est visée, l’émotion l’emporte souvent sur la raison. Cela se vérifie tant pour les étudiants que pour les hommes d’affaires!

    Je pense que mon ancien professeur d’économie publique a encore des cartes dans son jeu pour résoudre ce problème. Il pourrait augmenter la TVQ et augmenter l’impôt des entreprises qui est assez bas il me semble. Une combinaison de ses mesures pourrait sans doute compenser la hausse de l’impôt sur le revenu et sur le gain en capital (et le crédit d’impôt sur le dividende). La rétroactivité passe très mal en effet mais il devrait insister davantage sur le trou surprise de 800 millions laissé par Bachand au lieu de s’obstiner à nous faire croire que le monde aurait du prévoir cette rétroactivité (exactement le genre de choses qui rebute les gens de la politique). La hausse du gain en capital est probablement ce qui peut faire le plus mal à tous ceux qui investissent dans l’immobilier (entre autre) pour assurer leurs vieux jours. Les gens préfèrent payer plus maintenant qu’avoir une incertitude pour plus tard à mon humble opinion.

    • Monsieur Yves Capuano écrit:
      «La hausse du gain en capital est probablement ce qui peut faire le plus mal à tous ceux qui investissent dans l’immobilier (entre autre) pour assurer leurs vieux jours.»

      Il a raison. On pourrait éviter ce mal en imposant le gain en capital selon la durée de l’investissement. Il me semble (on me corrigera si j’ai tort) que l’imposition sur 50% seulement des gains en capital se justifie dans la mesure où il s’est agi d’un véritable investissement de capital, que ce soit dans l’immobilier ou dans le capital-action. Si l’exemption fiscale finit par favoriser la spéculation tant immobilière que boursière, alors elle rate son objectif qui est de favoriser l’investissement dans l’économie réelle. Pourrait-on alors songer à moduler l’exemption fiscale en fonction du temps mis à réaliser le gain? Il me semble que faire un profit en vendant un duplex trente ans après son acquisition, ce n’est pas la même chose que faire un gros coup d’argent en revendant en octobre des actions acquises en septembre.

  12. Merci pour cette analyse subtile des discours lancés sur la place publique. Il est à souhaiter que l’opposition au gouvernement adopte la même façon stratégique de communiquer de façon courtoise, rationnelle, limpide et transparente. Votre intervention comporte un appel au calme et laisse entendre que les opposants auraient avantage à négocier respectueusement au lieu de créer un affrontement avec le gouvernement. Un tel message ressemble à une offre de négociation laquelle implique préalablement un cessez-le-feu. Cela pourrait indiquer qu’il y a des discussions à l’intérieur du gouvernement et que certaines parties essaient d’éviter un braquage des positions qui pourrait survenir si le gouvernement était poussé dans ses retranchements. La position du Ministre des finances laisse entrevoir la possibilité d’un compromis portant sur la question de la rétroactivité de l’impôt proposé. Cependant il y a un autre élément assez regrettable du discours ministériel qui devrait être remis en question et c’est l’affirmation de l’existence d’un seuil de revenu au-delà duquel on qualifie un contribuable péjorativement de « nanti », c’est-à dire dans une interprétation populaire, la création d’une nouvelle catégorie de Québécois coupable d’un abus de revenu qui mérite d’être sanctionné. Ce qu’on tente de faire jouer là n’est pas très joli. Cet argument contribue à diviser d’une nouvelle façon la société québécoise et particulièrement le mouvement indépendantiste qui attend beaucoup de ce gouvernement et dont ce gouvernement a aussi besoin pour sa réélection majoritaire éventuelle et la concrétisation du projet de pays. Je suggère qu’il serait peut-être avantageux aussi d’éviter qu’à l’avenir, un ministre fasse d’une proposition controversée un combat personnel au nom de sa vision minoritaire de l’économie. Il faut garder en tête la façon dont le précédent gouvernement s’est retranché dans une position d’échec lorsqu’il a adopté des mesures basées sur des principes, un modèle ou une idéologie controversée ou contestable. Quand on attaque une catégorie, fut-elle minoritaire, on ouvre un champ de bataille même si cela flatte un autre groupe minoritaire surtout quand il s’agit d’un parti adverse duquel le parti Québécois ne devrait pas trop attendre grand chose en cas de tempête.

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