Jean Charest et le fantôme de Jean Lesage

260px-Assemblée_nationale_-_Statue_Jean_Lesage21Avez-vous entendu Jean Charest vanter, dans un discours, le Plan Nord ? Allez-y, il est excellent. Il peut en parler pendant 50 minutes, sans la moindre note. Avec verve et passion. On le sent habité par ce « dossier d’une génération ». Son enthousiasme devrait être communicatif.

Devant la Chambre de commerce de Montréal, l’an dernier, son discours fut accueilli par un tonnerre d’applaudissement, plus de mille convives l’acclamant, debout.

Mais on me rapporte qu’à deux occasions depuis le début 2012, quand il met le point final à sa présentation, même devant des auditoires de gens d’affaires, l’accueil qu’il reçoit est… poli. Nous qui sommes les champions mondiaux de l’ovation debout restons réservés sur ce sujet-là, devant ce vendeur-là. Pire, depuis que Charest fait du Plan Nord son sujet principal, les électeurs du Nord du Québec répètent aux sondeurs qu’ils voteront résolument pour ses adversaires du PQ. Il y a un truc qui cloche.

Jean Charest est peut-être hanté par le fantôme de Jean Lesage. Il y a 50 ans le Premier ministre libéral annonçait dans un discours historique le déclenchement d’une élection qui porterait sur un thème : la nationalisation de l’électricité. Mais lorsqu’on relit la chose aujourd’hui, on est davantage frappé par le procès qu’il fait du régime précédent que par le bien qu’il dit de sa propre version du « projet d’une génération ».

« On ne pourra jamais rien réussir de durable au Québec si, une fois pour toutes, on ne s’attaque à la racine du mal, entonne-t-il. Et la racine du mal, c’est que notre économie ne nous appartient pas. C’est aussi simple que cela, mais c’est aussi grave que cela. »

La verve de Lesage vrille sur le nerf du problème : la propriété étrangère de l’exploitation des ressources naturelles :

« Serons-nous toujours victimes de cet état d’esprit qui nous condamne à ne toucher toujours que les miettes qui tombent de la table à laquelle mangent ceux qui viennent d’ailleurs ? Certes ces miettes peuvent en certains moments paraître être très abondantes, mais elles ne seront toujours que des miettes. N’en avons-nous pas assez d’être perçus comme un peuple de quêteux dont les richesses sont exploitées par tous excepté nous-mêmes ? Comme sicela était le mieux dont on peut d’attendre ? »

A 50 ans de distance, c’est comme si une partie du peuple québécois était habité par cet état d’esprit. Devant les milliards de dollars présentés par Jean Charest comme le grand pactole du Plan Nord, l’électorat voit des miettes. Abondantes, certes, mais des miettes. Et il veut savoir pourquoi il ne peut pas posséder une plus grande part du gâteau, comme le proposent de concert l’ex-libéral Yvan Allaire, l’ancien premier ministre Jacques Parizeau et, unanimement, tous les partis d’opposition.

Le refus du gouvernement Charest d’ouvrir un débat, ne serait-ce que parlementaire, sur les paramètres de ce que devraient être les retombées du Plan Nord ne pousse personne à applaudir debout.

Le fantôme de Lesage est plus dur encore avec la crédibilité de ses lointains descendants. Car il en avait beaucoup à dire, dans son discours fondateur, sur ceux qui ont vendu la ressource aux étrangers.

S’attaquant à l’Union nationale qui avait, cinq ans avant, en 1957, privatisé les activités de fabrication et de distribution gazière d’Hydro-Québec, Lesage parlait d’un « crime odieux que notre population ne pourra jamais leur pardonner ». Or si, à 50 ans de distance, on peut comprendre que le gouvernement Charest ait vendu à très petit prix les concessions gazières sur tout le sud du Québec, car leur valeur réelle était – et reste à ce jour – douteuse, on reste pantois devant la vente des droits pétroliers dans la vallée du Saint-Laurent. D’autant qu’à ce jour, le prix de la vente reste un secret bien gardé, le gouvernement plaidant le « secret commercial ». Les milliards de bénéfices potentiels pour l’acheteur, par contre, ne resteront un secret pour personne.

Lesage n’avait pas de termes assez durs pour cette spoliation des ressources québécoises.

« De cela, notre peuple en a assez ! Des partis comme celui de l’Union nationale, il en a assez ! Des politicailleurs, il en a assez ! Des gens qui se moquent de lui, il en a assez ! Il veut qu’on s’attaque enfin aux véritables problèmes, celui de la LIBÉRATION ÉCONOMIQUE»

Un mois après qu’il ait prononcé ce discours, salué par une longue ovation debout, les Québécois ont donné à Lesage le mandat de mener à bien son projet d’une génération.

Et encore : Jean Charest a déclaré au journal Les Affaires qu’il envisageait de vendre à 3c le KW des blocs d’électricité pour la transformation minière, plutôt que les 7c que coûte la production nouvelle. Qu’en aurait dit Lesage?