Journal du ministre: Dans les coulisses du NYTimes

Cher Journal,

Ce n’est vraiment pas de la tarte de placer un article dans le New York Times. Je l’avais fait une fois lorsque j’étais correspondant à Washington et le processus de révision avait été assez simple: une éditrice, quelques appels, quelques corrections mineures, puis bonjour la visite.

Mais au XXIe siècle, pas la même chanson.

Cela commence évidemment le 12 novembre, lorsque le NYT publie un texte du journaliste québécois Martin Patriquin décrivant le projet de charte des valeurs comme une régression sociale digne du Tea Party américain.

Nous demandons le droit de répliquer et je prépare, avec Bernard Drainville, une réplique en bonne et due forme. On nous explique au NYT qu’il n’y a pas de réplique possible, car le texte de Patriquin a subi le processus de révision et de vérification. On peut tout au plus écrire une brève lettre qui émet une opinion, sans être une réplique.

C’est le bref texte, Quebec’s Jefferson moment, publié le 20 novembre. (Ici avec traduction.)

Évidemment, le texte de Patriquin comporte de nombreuses faussetés, comme l’a très bien recensé Stéphane Gobeil dans son billet A beau médire qui vient de loin. J’ai fait valoir plusieurs de ces inexactitudes à un des responsable du quotidien Newyorkais qui a tenu son bout avec zèle mais a proposé que je produise un autre texte, aussi long que celui de Patriquin. Il avait noté dans notre texte d’origine la référence au déclin du multiculturalisme et a suggéré de faire de cet aspect l’angle principal du nouveau texte. Très bien.

Quelques jours plus tard, je ponds une nouvelle version, qu’on retrouve, disons, à 90% dans le texte publié vendredi dernier. J’ajoute une liste de liens pour vérification des faits sur chaque point.

Pas de nouvelles pendant quelques temps puis, le 4 décembre, on m’indique que le texte est accepté. Le 16, on me dit que le travail est commencé. Le 17, alors que je suis en mission économique en Europe, je reçois une version annotée du texte qui me demande, en une vingtaine de questions, de donner des explications sur l’histoire démo-linguistique du Québec et de Montréal, sur la constitution canadienne et son application au Québec, les termes de la clause sur le multiculturalisme, l’État du débat en France, les arguments et contre-arguments sur la Charte, la position des Musulmans.

On me dit que c’est pressé car ils veulent publier avant Noël.

De 950 mots — la limite permise — je ne vois pas comment on peut tout faire ça si on en ajoute 2000 ! Après un moment de découragement, en fin d’une journée remplie de rencontres à Rome, je m’accroche à mon Ipad, fais chauffer le Wi-fi et réponds à toutes les questions.

Le 19 et le 20, entre deux achats de cadeaux, je suis sur le téléphone à expliquer encore des détails et des nuances, puis on m’annonce que le tout sera reporté après les fêtes. Bien, on peut respirer un peu.

Pour la première fois depuis mon élection, je décide de donner un numéro d’urgence au bureau mais de ne pas regarder courriels et messages jusqu’à mon retour le 6 janvier.

C’est ainsi que je manque les courriels du 3 et 4 qui m’annoncent la publication imminente et réclament d’urgence mon approbation pour les révisions. Je les découvre à l’aéroport (notre avion est retardé de 24 heures qu’on passe en famille dans la chic salle d’attente de Varadéro) et m’empresse de relire le texte.

Il est revenu à 950 mots mais beaucoup de nuances ont sauté, quelques informations que j’estime essentielles ont disparu et plusieurs glissements de sens ont été introduits.

La partie de ping-pong journalistique commence. Je comprends qu’on m’a fait parvenir la 8e version interne de mon texte et qu’en plus du très aimable correcteur que j’ai au bout de l’internet, 7 autres personnes sont impliquées dans la révision et l’approbation.

Nous ferons encore 4 versions. Des corrections que je propose se perdent, des ajouts apparaissent, des permutations de paragraphe viennent et reviennent. Un membre du club des 7 demande de préciser ceci, d’ajouter telle explication. On travaille en particulier sur les signes du déclin du multiculturalisme au Canada anglais et sur la différence entre les Anglo-Montréalais, plus réfractaires, et les Anglos hors-Québec, plus enthousiastes. Des paragraphes sont commandés, écrits, approuvés puis… coupés faute de place !

J’essaie d’enlever le mot `national` pour désigner `fédéral`. Il revient ailleurs dans le texte. In extremis, il faut réexpliquer la différence entre hijab et niqab.

Alors que dans les premières étapes on insistait pour que je sois très factuel et très explicatif des positions des uns et des autres, dans la dernière étape on me rappelle que c’est un texte d’opinion et que je dois être clair sur ma position ! (soupirs…)

C’est au téléphone, dans le stationnement de l’épicerie où on fait les courses du retour, mercredi soir dernier, qu’on ajuste les derniers mots.

Une correction se perd: j’avais noté l’interdiction pour les citoyens québécois d’interagir avec l’État à visage couvert, le texte dit que cette interdiction s’applique aux seuls employés de l’État. Bon. Rien n’est parfait.

Qu’en est-il du titre ? J’ai proposé depuis le début: At multiculturalism’s deathbed: The Québec Charter of values. (Au chevet du multiculturalisme mourant: La Charte des valeurs du Québec)

Le début du texte porte sur la mort du multiculturalisme en Europe, la fin parle de son déclin au Canada, ça me semble approprié. Mais les titres sont, toujours, la prérogative des éditeurs et une membre décisionnelle du club des 7 estime que le texte est trop équilibré pour un titre aussi fort. Elle préfère le très timide: Multiculturalism at the crossroads : The Québec Case (Le multiculturalisme à la croisée des chemins: Le cas du Québec).

D’où ma surprise de voir le texte en ligne vendredi matin avec le titre: Québec’s Last Stand, modifié plus tard dans la journée par Québec’s Latest Stand. Cela n’aurait pas été, disons, parmi mes 50 premiers choix.

Mais l’essentiel est dit. Je voulais inscrire la démarche gouvernementale québécoise dans deux contextes: 1) le contexte occidental de remise en cause du multiculturalisme; 2) le contexte d’innovation de politique publique québécois sur tous les plans.

Aux lecteurs de juger si la mission est accomplie.

Jean-François

6 avis sur « Journal du ministre: Dans les coulisses du NYTimes »

  1. Je serais bien curieux de savoir si le N.Y. Times a créé autant de difficultés à M. Patriquin avant de publier son texte biaisé et mensonger…
    Je parierais qu’on l’a publié en 24 heures, ce qui ne serait pas étonnant, dès qu’on tape sur le Québec et les Québécois.

  2. TEXTE REVISÉ:

    Le titre « proposé depuis le début » par son auteur en dit long : « Au chevet du multiculturalisme mourant : La Charte des valeurs du Québec. » Effectivement, votre texte est un plaidoyer pour la mort du multiculturalisme tant européen que canadien. Deux fantasmes irrationnels.

    Que veut dire « enterrer le multiculturalisme » dans une société multiethnique et multicuturelle telle qu’elle existe au Québec (tout particulièrement à Montréal qui constitue plus de la moitié de la société québécoise) et au Canada soi-disant « anglais » ? Cela veut dire qu’on doit neutraliser sinon bannir la culture de l’immigrant. Une petite question toute simple : comment ? La réponse apportée par le Parti Québécois : bannir les signes religieux ostentatoires dans la fonction publique. C’est vraiment prendre les Canadiens pour des simples d’esprit et profiter de la crédulité des Québécois à tendance séparatiste.

    Étant fier d’être parfaitement bilingue, aux Canadiens anglophones et aux lecteurs du New York Times je dis ceci : « Lisée discredits Canadian society and the readers of the New York Times by assuming they are gullible. »

  3. M.le Ministre,
    J’ai de la difficulté a accepter que vous parliez en mon nom ,le peuple Québécois n’est pas dupe ,vouloir en arriver a un référendum sur l’indépendance avec une foutaise comme la charte c’est prendre ce peuple pour des valises .Pourquoi n’osez-vous pas parler de l’après OUI à un référendum …Pas une bande Innu ou Innuite n’acceptera de se séparer du Canada le Québec perdra presque 40% de son territoire avec les richesse naturelles dont nous profitons a ce jour.Que vous ayez oser dire que les Anglophones Québécois devraient cesser d’essayer de l’être ne fait que démontrer la petitesse de votre esprit et le non respect en tant qu’élu de ceux que vous représentez .Mes salutations respectueuses M.Le Ministre.
    Richard Coté

  4. Bonjour!
    Merci pour votre excellent travail……oh que je ne voudrais pas votre job!
    Heureusement que le Québec peut compter sur des gens comme vous pour se tenir debout!
    Christiane Belle-Isle (Une enseignante qui adore son travail)

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