La faute « colossale » de Bastarache

PC_100929michel_bastarache_8-150x150Oui ou Non, le Premier ministre Jean Charest a-t-il directement ordonné à son ministre de la Justice de procéder aux nominations de juges réclamées par les collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec ?

Les contribuables québécois ont dépensé six millions de dollars pour avoir une réponse à cette question. Le juge Bastarache refuse d’y répondre. Il affirme que la question est superflue. Et il ne veut surtout pas influencer les poursuites en diffamation croisées en Cour supérieure  entre les deux hommes !

Je propose qu’il nous rembourse.

Des trous dans l’échappatoire

À partir d’une reconstitution de la chronologie, Bastarache tire la conclusion que l’ex-ministre Bellemarre a pris en toute connaissance de cause et en parfaite sérénité la décision de nommer les trois candidats proches des milieux libéraux: Marc Bisson, Michel Simard et Line-Gosselin Després.

Et puisque Bastarache est satisfait de sa démonstration, il n’a pas à se prononcer sur l’existence des deux rencontres, de septembre 2003 et janvier 2004, où la pression maximale, celle de Jean Charest, aurait emporté la décision.

L’ex-juge de la Cour suprême laisse clairement entendre que les deux témoins à charge, Bellemare et son ex-sous-ministre associé George Lalande, ont fabriqué, ou du moins trafiqué, leurs preuves écrites documentant les pressions indues des collecteurs Franco Fava et Charles Rondeau.

Certes, sa démonstration relève des erreurs de date et des comportements inexplicables chez l’ex-ministre Bellemare. Si la pression est « colossale » pour nommer Marc Bisson, pourquoi demande-t-il à ce qu’on lui présente d’autres candidats, pourquoi attend-il si longtemps avant de le nommer ? Il y a aussi des bizarreries dans la chronologie conduisant à la nomination de Michel Simard.

Bonnes questions. Bellemare fait-il preuve de mauvaise humeur, de mauvaise foi dans l’application des directives du PM, a-t-il un comportement brouillon, recherche-t-il des prétextes, des portes de sortie ? Avec Bellemare, tout est possible. Bastarache, lui, ne retient qu’une conclusion: l’ex-ministre a tout inventé. Lalande a inventé lui aussi pour soutenir son ami. (Ce n’est pas écrit en ces termes, mais c’est transparent à la lecture du rapport.)

Cette démonstration permet à Bastarache de s’engouffrer dans l’échappatoire. Il n’a pas à se prononcer sur la tenue des rencontres Bellemare/Charest. C’est une façon polie de nous dire qu’il ne croit pas à leur existence.

Les questions à la Colombo

Le commissaire-de-six-millions ne peut cependant pas être aussi formel. D’abord parce qu’il doit avouer que son témoin expert a confirmé l’authenticité de la disquette trouvée par Mme Bellemare et qui indique que la rencontre fatale du 2 septembre entre Charest et Bellemare est bien inscrite à l’agenda de l’ex-ministre. S’il a tout inventé, comment ce petit morceau de preuve a-t-il pu se retrouver là ?

C’est le genre de petit détail que l’inspecteur Colombo vous renvoie, dans le cadre de porte, alors qu’il était en train de sortir et que vous pensiez vous en être débarrassé.

Et puis il y a la beaucoup trop brève apparition du juge Chicoine dans le rapport Bastarache. Chicoine ? C’était l’homme choisi par Bellemare pour le poste de juge en chef adjoint, à la place du libéral Simard.

Cette portion du témoignage de Bellemare n’apparaît pas dans le rapport:

Alors, j’avais rencontré Claude Chicoine pendant deux heures à Montréal dans un restaurant et je l’avais écouté et il m’apparaissait bien au fait d’une problématique de délai qui avait cours dans la région de Montréal au niveau de la Chambre civile, ce qui n’était pas nécessairement le cas devant les autres divisions de la Cour du Québec.

Alors, monsieur le juge Chicoine m’avait expliqué qu’il avait mis en place des projets ou des procédures dans le but d’accélérer le traitement des dossiers à la Chambre civile, il m’avait convaincu de la qualité de sa candidature; également, il était plus jeune que le juge Simard, ce qui est quand même quelque chose à considérer quand c’est une nomination sur sept ans; il était de la région de Montréal et c’était mon choix.

En aucun autre cas l’ex-ministre Bellemare ne s’est aussi montré intéressé à une nomination. Dans sa version, il insiste le 2 septembre auprès de Jean Charest sur la qualité de cette nomination. Et il affirme avoir dû, après que le PM lui ait enjoint de suivre les ordres de Fava et Rondeau, rappeler Chicoine pour lui annoncer que « Bien, désolé, ce sera pas vous ».

Qu’en dit le juge Chicoine ? Confirme-t-il ? Nie-t-il ? Google m’informe à l’instant qu’il a pris sa retraite en juillet dernier. Une soirée en son honneur fut organisée par ses collègues reconnaissants le 17 septembre dernier, à 17h30, au Club de golf de Saint-Bruno. Coût d’admission: $72.

Donc qu’il était bien vivant, au Québec, pendant les audiences de la commission. Pourtant, il n’est pas sur la liste des témoins. Le commissaire n’évoque son nom qu’au passage, sans insister. Il évite complètement de signaler l’essentiel: le fait qu’il y a un avant et un après.

Avant, Bellemare voulait Chicoine. Après, il nomme Simard. Que se passe-t-il entre l’avant et l’après ?

Colossal

Vrai, Bellemare affirme que les pressions de Fava deviennent « colossales » en août 2003, donc avant sa rencontre présumée du 2 septembre avec Charest. Mais pourquoi sont-elles colossales ? Parce que Fava se réclame de sa relation avec Charest. Parce qu’il se dit appuyé par Charest. La rencontre du 3, selon Bellemare, confirme le caractère colossal de la pression, car, toujours selon lui, Charest confirme le rôle clé de Fava dans les nominations.

J’ai écrit ici que j’estimais que Bellemare embellissait la réalité et rapportait, de la part de Charest, des propos trop tranchés. Je prête au premier ministre plus de finesse dans ses instructions aux ministres juniors comme Bellemare.

Mais le refus de Bastarache de se pencher sur l’existence de la rencontre du 2 septembre 2003 est une déception, une faute, colossale.