Laïcité, mode d’emploi : 3) Conclusion

laicite-cover-150x150Je vous soumets un brouillon de politique qui pourrait inspirer, demain, un gouvernement qui veut vraiment agir pour tracer un chemin clair, mais le plus consensuel possible pour une nouvelle étape de la marche du Québec vers sa laïcité.

Je l’écris au Nous car en plus de vos commentaires, suggestions et objections, je demanderai à ceux d’entre vous qui adhèrent à cette approche de le signifier en signant ce texte.

J’ai voulu aborder dans les deux parties précédentes quels principes, puis quelle méthode, pourraient guider une politique québécoise de la laïcité. Dans cette dernière partie, j’aborde la question des écoles religieuses et l’épineux problème du crucifix.

La question des écoles religieuses

Le Québec vit aujourd’hui une situation paradoxale. D’une part, par l’introduction du cours Éthique et culture religieuse, l’État a mis fin à la pratique antérieure où il finançait, à l’intérieur des écoles, des cours d’instruction religieuse catholique et protestante, donc la religion de la majorité québécoise.

De même, la plupart des écoles privées subventionnées qui ont une origine catholique ou protestante (Notre-Dame, Saint-Nom-de-Marie, etc.) suivent à la lettre le régime pédagogique et n’offrent aucune instruction religieuse aux élèves.

De plus, le gouvernement a récemment décidé que les garderies québécoises ne pourraient dorénavant transmettre d’enseignement religieux.

Cependant, l’État continue à financer un petit nombre d’écoles privées dans lesquels est prodigué un enseignement religieux très conséquent. C’est le cas en particulier, mais pas seulement, d’écoles hassidiques.

Les Québécois estiment à bon droit qu’il y a là une inégalité qui n’a pas sa raison d’être. Si l’État ne finance plus l’enseignement religieux de la majorité, pourquoi le ferait-il pour une minorité, quelle qu’elle soit ?

Ce double régime paraît incongru à un grand nombre d’intervenants dans le débat en cours, autant de la part des porte-parole laïques que de personnalités favorables au régime actuel d’accommodements raisonnables telles le philosophe Daniel Weinstock ou l’avocat Julius Grey.

Cependant, là comme ailleurs, une solution abrupte n’est ni nécessaire, ni souhaitable. Une orientation claire doit être donnée – la fin progressive de ce financement – puis une transition raisonnable doit être aménagée.

Permettons aux familles très croyantes de ces communautés et à leurs institutions d’avoir le temps nécessaire pour s’adapter au retrait de l’État de leur financement. Affirmons que dans cinq ans (le temps que les enfants déjà nés atteignent la maternelle), l’État cessera de financer les écoles religieuses au niveau de la maternelle. L’année suivante, le financement de la première année cessera. Ainsi de suite jusqu’à ce que, dans 17 ans, le financement ait complètement cessé.

Le droit aux écoles religieuses privées non subventionnées est, lui, protégé par des traités internationaux. Il faut le respecter, l’encadrer sérieusement, s’assurer que la liberté de conscience des enfants y est protégée, mais il n’est en aucun cas du ressort de l’État de les encourager.

Les signes et pratiques religieux dans les lieux de pouvoir

Nous l’avons dit, l’histoire religieuse du Québec a laissé sa marque dans le paysage québécois et ces signes font partie du patrimoine historique du Québec. Il n’est pas question de gommer le paysage québécois de son héritage religieux ou d’ailleurs de toute autre marque de son passé éloigné ou récent, qu’il soit social, économique ou architectural, qu’il exprime le labeur et le vécu de la majorité ou de ses minorités — linguistiques, ethniques ou religieuses.

Cependant le statut des signes et pratiques religieux présents dans les lieux où s’exerce le pouvoir civil – tribunaux, postes de police, salles de conseils municipaux – ont été proscrits par la jurisprudence récente. La prière, par exemple, est remplacée par un moment de recueillement.

Se pose avec davantage d’acuité la question du dernier mais du plus visible des signes religieux dans un lieu de pouvoir : le crucifix de l’Assemblée nationale, placé là par Maurice Duplessis. Devrait-il rester, comme un signe du patrimoine historique québécois, ou devrait-il être retiré, dans le lieu le plus important, donc en principe le plus rassembleur, de la souveraineté politique de la nation ?

Il nous apparaît que le refus, relevé par les enquêtes d’opinion, d’une majorité (58%) de Québécois de tous âges, francophones et non-francophones, de retirer ce crucifix est une réaction à la réintroduction du fait religieux minoritaire dans l’espace public ces dernières années, plutôt qu’une réelle volonté d’afficher un attachement religieux chrétien qui, dans les faits, s’étiole dans leur vie quotidienne.

Notre hypothèse est donc qu’à mesure que la majorité québécoise, de tradition chrétienne, sera satisfaite de l’application générale d’une politique de la laïcité, elle sera plus disposée à afficher sa propre laïcité dans le principal lieu de l’exercice du pouvoir.

Puisque notre approche n’impose pas de changement immédiat aux citoyens qui tiennent à leurs signes religieux, puisque nous proposons une période de transition qui s’étend, au total, sur une vingtaine d’années pour compléter la sécularisation du secteur public québécois, rien n’oblige les législateurs québécois à déterminer immédiatement le statut du crucifix.

Il nous paraît préférable de demander aux législateurs de voter en conscience, donc hors des lignes de parti, dans cinq ans, sur le statut du crucifix, puis de reprendre ce vote tous les cinq ans jusqu’à ce qu’une majorité se dégage en faveur de son retrait, ce qui symboliserait le chemin parcouru par la société dans son ensemble.

Une exception : l’intégration

 

Nous avons suivi avec intérêt les débats concernant le voile intégral et son port par des citoyennes qui ont eu accès aux cours de français prodigués par l’État pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants.

Nous approuvons la décision prise en ce qui concerne le cas du Cégep Saint-Laurent. En l’espèce, l’étudiante souhaitait que le groupe entier se soumette à ses exigences religieuses, ce qui n’est pas acceptable.

Nous croyons cependant qu’une plus grande flexibilité doit être allouée pour les personnes portant des signes religieux ostentatoires, y compris le voile intégral, et qui souhaitent participer à des activités d’intégration.

Dans ces cas, une assez grande latitude devrait être donnée à l’institution et au formateur. Leur objectif doit être d’intégrer la personne dans le groupe et, dans le cas du voile intégral, de la conduire à le retirer pendant la formation. Mais il nous semble que cette condition ne doit pas être imposée au point d’entrée. L’étudiante doit être informée qu’on s’attend à ce qu’elle le retire pendant sa formation, dans un délai raisonnable mais qui devrait être laissé à l’appréciation du formateur.

Conclusion

 

La plupart des grands changements qu’a connus le Québec se sont étalés dans le temps. Pour le français comme pour la sécurité routière ou le tabagisme, les citoyens furent invités à modifier leur comportement par la persuasion, puis par l’introduction graduelle de balises légales ou réglementaires. Dans chaque cas, cependant, le citoyen connaissait l’orientation générale que l’Assemblée nationale avait décidée de donner à son action.

Nous pensons que cette approche, qui allie volonté politique et souplesse dans la mise en œuvre, est encore davantage de mise pour des comportements qui touchent à la foi et aux convictions de nos concitoyens.

Nous estimons aussi que les réticences exprimées face à l’introduction d’une plus grande sécularisation du secteur public québécois sont parfois ancrées dans la crainte que ce changement soit imposé au pas de course, en bousculant les individus et les institutions.

L’approche proposée ici ne dissipera pas toutes les oppositions et toutes les appréhensions, loin s’en faut. Mais nous sommes convaincus qu’elle maximisera les chances de succès de nouveaux progrès de la sécularisation et de l’égalité des sexes, tout en minimisant les occasions de conflit et de refus du changement.

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Chers internautes, si vous êtes généralement d’accord avec cette approche, merci de le signaler en indiquant, comme ceci, votre nom, votre fonction, votre ville:

Jean-François Lisée
Blogueur
Montréal