Langue : la prophétie Stéphane Dion se réalise

L’actualité

samedi 24 octobre 2009

Ça ne peut-être plus clair. Côté jardin (jardin de l’Assemblée nationale), les élus québécois, unanimes, ont voulu réaffirmer le principe-clé de la loi 101 : seuls les fils et filles de personnes ayant fait leurs études primaires en anglais pourront aller à l’école anglaise. Côté cour (suprême), les juristes désignés par le premier ministre fédéral, unanimes, ont donné le signal inverse : pourront aller à l’école anglaise tous ceux qui ont assez de sous pour envoyer leurs enfants dans des écoles primaires anglaises non-subventionnées.

L’importance du principe québécois ainsi piétiné ne peut-être minimisée. La Cour suprême de 2009 va plus loin que ce dont rêvait Pierre Trudeau dans son combat contre la législation linguistique québécoise. La Cour suprême, représentant une tradition juridique que le Québec réprouve, interprétant de façon évolutive une constitution que le Québec n’a jamais entérinée, est sur une trajectoire contraire à celle que veulent emprunter les élus québécois. C’est la prophétie Dion, en action. Alors qu’il n’était encore que prof se Science Po à l’Université de Montréal, Stéphane Dion avait écrit ceci, en 1992 :

On peut penser que, puisque la Cour suprême s’est déjà prononcée, les politiques québécoises actuelles sont en sécurité. En fait, rien n’est moins certain. Les décisions d’un groupe de juges peuvent être renversées plus tard par leurs successeurs. Une Cour suprême pourrait décider un jour que l’interdiction faite [par la loi 101] à un nouvel immigrant ou à un francophone de s’inscrire à l’école anglaise, alors que les anglophones ont ce droit, est contraire à la charte des droits.

Le professeur Dion pensait que la Cour allait utiliser l’article 15, sur l’égalité des citoyens, pour zigouiller la loi 101. Elle a plutôt utilisé l’article 1, sur le caractère raisonnable de la restriction d’un droit. Le résultat est le même. Dion poursuivait :

Un tel jugement semble improbable aujourd’hui, mais qui sait ce qui attend la prochaine génération, quand la présence francophone va se réduire en tant que réalité démographique à l’extérieur du Québec et que le poids du Québec va décliner dans le Canada ?

Dion en tirait une conclusion, qui prend aujourd’hui toute son actualité. Il proposait un amendement constitutionnel qui reconnaîtrait à l’Assemblée nationale du Québec “le devoir de protéger le caractère francophone de la province”. M’est avis que cela ne serait pas suffisant. Sur leur lancée unanime, les juges de la Cour suprême n’auraient qu’à conclure que la français est suffisamment protégé, à leurs yeux, par le Québec, et ouvrir des brêches comme ils viennent de le faire. La solution, outre la souveraineté, bien sûr, est de reconnaître la prédominance législative au Québec en matière de langue (et j’ajouterais, d’éducation, de culture et d’identité), puis de lui permettre d’utiliser la clause nonobstant pour court-circuiter la Cour suprême lorsqu’elle se met le nez dans ce dossier.