Le Déserteur: La NON-croisade anti-corruption de François Legault

Ainsi, Jacques Duchesneau a pensé qu’en tant que futur vice-premier ministre d’un gouvernement de François Legault, il lui reviendrait de désigner les ministres impliqués dans les questions de corruption: transport, sécurité publique, quelques autres.

Son chef  l’a fait rentrer dans le rang, mais j’ai ma propre théorie sur la raison pour laquelle M. Duchesneau a pensé qu’il serait préférable que ce soit lui, plutôt que M. Legault, qui prenne les choses en main: parce que si on avait écouté François Legault depuis deux ans, il n’y aurait eu ni rapport Duchesneau, ni Commission d’enquête sur la corruption, ni… candidat vedette Duchesneau.

Le fil des événements*

Remontons simplement le fil des événements:

Duchesneau-Roy-Legault1

 

 

 

À droite, ceux qui se sont acharnés sur le dossier de la corruption, Duchesneau et la députée Sylvie Roy. À gauche, celui qui ne voulait pas en parler, François Legault.

1) Depuis 2008, les partis d’opposition, en particulier mais pas seulement le Parti québécois, ainsi que les journalistes d’enquête, accumulent preuve sur preuve de l’existence d’un vaste réseau de corruption et de collusion ;

2) En février 2010, mis sur la défensive par toutes ces révélations, le gouvernement Charest décide en catastrophe de donner à Jacques Duchesneau un mandat précis et restreint  d’enquête sur la collusion chez les contracteurs du ministère des transports;

3) En septembre 2011, Duchesneau remet son rapport, explosif, au ministre libéral Sam Hamad, qui ne veut même pas le prendre dans ses mains. Duchesneau décide de couler le rapport à la presse;

4) Mis sur la défensive, Jean Charest décide de créer une commission d’enquête, mais sans pouvoirs réels;

5) Les médias critiquent la faiblesse de la commission, qualifiée par le député péquiste Stéphane Bergeron de « patente à gosse ». Contraint et forcé, Jean Charest donne de vrais pouvoirs à la commission.

On voit donc comment cet enchaînement d’événement dépendait, en début de séquence, de la résilience et de la patience de tous ceux, au PQ, à l’ADQ, à QS et dans les médias, qui n’ont pas cessé de marteler la nécessité d’agir contre la corruption.

L’exemple Legault

Voyons maintenant ce qui se serait passé si tous avaient suivi le leadership alors proposé par François Legault.

Député du PQ, François Legault posait en 2008 des questions pointues sur les copinages libéraux dans les FIERs, les fonds d’investissements régionaux. Il relayait en cela les informations dénichées par l’équipe de recherche, très compétente, du Parti québécois. Mais il était de moins en moins en l’aise dans ce rôle d’Eliot Ness.

En juin 2009, il démissionne de son poste de député en cours de mandat et déclare aux journalistes:

« les gens qui me connaissent savent que la patience, ce n’est pas ma première qualité, là. Tous ceux qui ont travaillé avec moi savent que juste critiquer, moi […]. Oui, je me rends compte que j’ai de la difficulté à être à l’opposition, à critiquer. Moi, j’aime mieux construire. Je suis un gars d’action. Donc, j’ai de la difficulté avec l’opposition. Mais je vous note quand même que j’ai fait six ans, là, sur 10 ans et demi, j’en ai fait six ans dans l’opposition, puis ce n’est pas toujours facile, être dans l’opposition. »

Legault parti, le PQ, l’ADQ et QS continuent de critiquer, d’être patients, d’être résilients. Les journalistes québécois aussi, qui fouinent partout, posent des questions. Le PQ fait éclater toute la question des garderies privés et des copains libéraux, entre autres. QS fait des calculs sur les contributions des firmes d’ingénieries. Mis sur la défensive, Charest nomme Duchesneau, puis crée l’opération Marteau. Mais il refuse toujours de créer la grande commission d’enquête d’abord demandée par Sylvie Roy de l’ADQ, puis par Pauline Marois. Les députés péquistes font circuler une pétition pour réclamer la commission et récoltent activement des noms. L’opération n’a pas un grand succès. Mais ils sont patients, ils persistent. Ils sont critiqués pour être trop négatifs par beaucoup de gens… dont François Legault:

« Le style d’opposition au Québec, c’est plus de la critique, le niveau est rendu bas, on se traite de corrompu, vous vous êtes des incompétents  C’est pas un grand niveau de débat que l’on retrouve à l’Assemblée nationale, »  dit-il en entrevue à Dutrizac en février 2011.

Comme le rappelle la journaliste Jocelyne Richer de la Presse canadienne, lorsque Legault publie son premier manifeste, en février 2011, la lutte contre la corruption n’apparaît nulle part.

Alors que cette question occupe toute la place dans le débat politique et les médias au Québec (et ailleurs) il faut attendre une entrevue d’août 2011 puis une déclaration de  septembre 2011 pour trouver les premières déclarations où François Legault se dit favorable à la création d’une commission d’enquête publique.

Bref, il a fallu à François Legault 9 mois de plus que la FTQ-Construction pour se résoudre à demander une commission d’enquête.

Duchesneau était-il à l’écoute ?

ftq-300x201La chose est donc nette. Si la société québécoise avait suivi les conseils de François Legault pendant toute la période allant de sa démission en juin 2009 à sa première déclaration favorable à une commission d’enquête en août 2012… les corrupteurs auraient eu le champ libre.

Au moment où il fallait être patient, résilient, persistent, prêt à assumer la critique pour faire triompher le bien commun, mettre Charest sur la défensive et obtenir les miettes qui allaient, petit à petit, le pousser à ouvrir la commission, François Legault, lui, était dans les estrades, affirmant que tout cela était bien négatif, qu’il fallait arrêter de critiquer et parler des « vraies affaires » qui n’incluaient pas l’affaire la plus vraie et la plus urgente de toutes, le cancer de la corruption.

Jacques Duchesneau est peut-être un peu vague sur les détails, comme le lui reproche le procureur de la Commission Charbonneau et quelques autres. Mais il semble saisir l’essentiel. Et l’essentiel est que, dans la période cruciale, François Legault n’était pas un allié dans la lutte contre la corruption. C’est peut-être pourquoi la nouvelle recrue Duchesneau a pensé utile de bien examiner les livres de la CAQ, de faire virer un de ses organisateurs essentiels, puis de s’attribuer, à lui, le rôle de grand manitou de la lutte à la corruption dans un futur gouvernement caquiste.

Peut-être a-t-il tiré la bonne conclusion de son observation de M. Legault. Lorsque ça comptait, Legault était aux abonnés absents. Pire, alors qu’il était, dans le PQ, aux premières lignes du combat, il a quitté le champ de bataille. Il est devenu le premier et plus important déserteur dans la guerre à la corruption. Il veut se présenter aujourd’hui à la tête de l’assaut final, comme le général qui court au secours de la victoire.

Demain, au pouvoir, on va passer à la « vraie affaire » de la vraie lutte contre la corruption. . Cela va compter. Il faudra être patient, résilient. Et si le passé récent est garant de l’avenir proche, Duchesneau pense peut-être qu’il est sage de ne pas trop se fier à la patience de François Legault.

*J’ai modifié ce billet depuis sa première publication 1) parce que j’avais erré sur la date de la première déclaration de M. Legault. Un internaute a attiré mon attention sur la déclaration de septembre 2011 de François. 1) parce que j’étais trop gentil avec François sur le fait qu’il a quitté le champ de bataille