Le discours impossible de Barack Obama

obamairak-150x150Il a fait de son mieux, c’est sûr. Il s’applique. C’est un studieux. Ce n’est donc pas surtout un «peut mieux faire» mais un «rien n’y fait» et un «rien à faire» qu’il faut écrire sur sa copie — son discours de bureau ovale de fin d’engagement militaire en Irak.

Discours impossible, car comment celui qui était, presque seul parmi les démocrates de renom, opposé à l’entrée dans la guerre peut-il aujourd’hui célébrer une mission accomplie, sans se dédire ? Comment le candidat à la présidence opposé à la seule décision stratégique compétente de son prédécesseur dans cette guerre — the surge, la montée en puissance de 2008 qui, combinée au retournement des sunnites en faveur de la paix, a significativement calmé le jeu — peut-il tirer vers lui le moindre crédit de la fin des combats par les GI ?

Chef d’un État en guerre, commandant en chef des armées, consacrant l’essentiel de son allocution à vanter les troupes, leur courage, leur ténacité, leurs sacrifices, leurs résultats, Obama ne pouvait qu’effleurer le sujet. «Cet après-midi, j’ai parlé à l’ancien président George W. Bush. Chacun sait que lui et moi étions en désaccord sur la guerre depuis le début.» Mais, a-t-il ajouté dans le leitmotiv de l’allocution, «il est temps de tourner la page».

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W avait raison !

Qui avait raison, qui avait tort ? Pour tout auditeur ou lecteur du texte, la réponse est nette: W ! Lisez plutôt:

« Les Américains qui ont servi en Irak ont accompli la mission qui leur avait été confiée. Ils ont infligé la défaite à un régime qui terrorisait son peuple. Avec les Irakiens et les partenaires de la coalition, ils ont fait d’immenses sacrifices. Nos troupes ont combattu pâté de maison après pâté de maison pour aider les Irakiens à avoir une chance d’avenir meilleur. […]

Nous avons persévéré car nous partageons avec le peuple irakien une croyance : celle qu’un nouveau début peut sortir des ruines de la guerre dans ce berceau de la civilisation. Dans ce chapitre remarquable de l’histoire des Etats-Unis et de l’Irak, nous avons assumé nos responsabilités. Il est désormais temps de tourner la page. »

C’est clair. C’était dur, mais ça valait le coup. Dur pour les Américains et leurs alliés, mais pas un chiffre avancé sur le nombre de pertes civiles. Obama ne s’est pas cru permis de dire que, même pour les partisans de la guerre, l’insondable incompétence de la gestion de la victoire initiale par l’équipe Bush-Cheney-Rumsfeld a coûté la vie à des dizaines de milliers d’irakiens, en pure, pure, perte.

Devoir faire un discours dont le message intrinsèque est la célébration de l’enjeu dominant — et hier damnant — de l’ère Bush est une catastrophe de premier ordre pour Obama. Le président est à deux mois d’élections de mi-mandat qui s’annoncent dévastatrices, comme le montre le coup de sonde de Gallup de ce lundi:

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Un écart de 10 points, un record historique pour les Républicains

Sentant la force de l’impact, les porte-paroles démocrates s’étaient depuis un mois résignés à critiquer l’ex-administration Bush pour sa mauvaise gestion économique, tentant de déporter sur lui et les Républicains un peu de la colère générée par la dégradation de la situation de l’emploi. Comme on peut le voir ici dans cette pub qui met en pièce le président de la campagne républicaine, Pete Sessions :

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Alors devoir consacrer une adresse à la nation implicitement pro-Bush ne pouvait plus mal tomber.

C’est l’économie, idiot

Obama sait très bien que la question irakienne ne pèsera pas d’un iota dans les bureaux de scrutin, en novembre. Il n’y a que la piètre qualité de l’économie qui compte. Et peut-être aussi le fait que 18% des Américains croient Obama musulman et que, c’est pire, 42% disent ne pas connaître sa religion ! (Alors que le principal problème de sa campagne présidentielle fut ses rapports avec son pasteur protestant, le flamboyant et politiquement incorrect Jeremiah Right.)

Les tentatives du président, dans le discours, de faire un parallèle entre la résilience des soldats américains et la nécessité de traverser la crise économique en gardant espoir n’étaient pas du meilleur effet.

« Au moment où nous concluons la guerre en Irak, nous devons relever les défis domestiques avec autant d’énergie et de résilience, et un sens d’un objectif commun similaire à celui qui animait nos hommes et femmes en uniforme qui ont servi en Irak. Ils ont remporté tous les défis qu’ils ont rencontré. A notre tour. »

Équivalence, donc, entre les deux missions: libérer l’Irak et sortir de la récession. Fallait-il insister ainsi sur la justesse de l’objectif fixé par son prédécesseur républicain ? Misère…

Il y revient même en finale:

« Nos troupes constituent l’acier du navire de l’État. Et même si notre nation traverse des eaux agitées, elles nous inspirent confiance dans le cap suivi, et dans le certitude qu’au-delà des matins sombres, il existe des jours meilleurs. »

On comprend qu’Obama et ses rédacteurs ont voulu coller au sujet imposé par l’événement historique — le retrait des troupes et l’Irak — et ne pas aborder l’économie dans une portion distincte du discours, ce qui aurait pu sembler opportuniste.

Obama avait été critiqué pour avoir trop parlé de sa réforme de l’énergie en finale de son discours à la nation sur le désastre pétrolier dans le golfe.

Mais peut-être écoute-t-il trop les critiques ?

Et peut-être, puisque l’économie est la principale préoccupation de ses électeurs, aurait-il pu annoncer un discours sur l’Irak et sur l’économie. Moitié moitié? Peut-être aurait-il pu dire que les sommes investies en Irak, beaucoup trop importantes pour la mission à cause de l’incompétence des Républicains, auraient mieux servi l’économie américaine? Peut-être aurait-il pu affirmer qu’enfin, les démocrates fermaient ce robinet pour mieux irriguer, à la place, un marché du travail asséché.

Il a fait de son mieux. Il s’est appliqué. Mais avec la probabilité d’un raz-de-marée républicain en novembre et la perte des deux chambres, peut-être aurait-il du être non seulement à la hauteur de sa fonction, ce qu’il fut, mais au diapason de la bagarre politique qu’il doit mener pour sauver son programme de réforme, ce qu’il ne fut hélas pas.