Le Festival de l’autopeluredebananisation

BananaPeels-150x150Il existe au Québec un très petit nombre de personnes qui croient qu’en cas de prise de pouvoir par le Parti québécois, le Québec pourrait devenir souverain, contre toute attente, avant la fin de son premier mandat. Je suis une de ces personnes.

Il existe au Québec un très grand nombre de personnes — environ 100% — qui croient que si le Parti québécois ne prend pas le pouvoir lors du prochain scrutin, la souveraineté ne se fera pas dans l’avenir prévisible. Je suis, aussi, une de ces personnes.

Or le sort électoral du PQ pourrait se jouer au cours des cinq prochains jours. Pas complètement tapi sous le débat entourant le futur amphithéâtre de Québec, on trouve le résultat d’un festival de l’autopeluredebananisation — selon le beau terme de mon ancien patron Jacques Parizeau — qui pourrait faire tomber le pot au lait, mettant à risque, pour Pauline et les siens, veau, vache, cochon, couvée.

L’état du jeu, début juin 2011

Faisons d’abord un portrait de la conjoncture politique:

1. Depuis bientôt deux ans, les sondages indiquent qu’une élection porterait le PQ au pouvoir, contre des Libéraux dont la marque de commerce semble durablement discréditée.

2. L’élection fédérale du 2 mai, bien évidemment, nous met en garde contre toute prédiction fondée sur la non-volatilité de l’électorat.

3. Le maintien de fortes intentions de vote pour la Coalition Legault nous rappelle que le goût de l’électorat pour le changement, en soi, reste un ressort encore comprimé, et dont le PQ ne semble pas pouvoir bénéficier.  Un Legault transformé en parti, alllié ou non à une ADQ ressucitée par Gérard Delteil, s’appropriera dans un premier temps un grand nombre d’indécis, les soustrayant au PQ et au PLQ.

4. Le printemps politique phénoménal d’Amir Khadir, qui attire sur son action solitaire autant d’intérêt que ne le faisaient en 1970 les sept premiers députés péquistes, doublé de l’arrivée dans 59 comtés de personnel néo-démocrate proches de son parti, lui garantit une progression électorale au prochain scrutin. Progression qui ne pourra se faire qu’au détriment du PQ.

Pour l’heure, le Parti québécois de Pauline Marois constitue toujours le navire amiral de la flottille de l’opposition. Mais dans la meilleure des hypothèses, la prise du pouvoir, majoritaire, du parti souverainiste s’érige comme un défi contre le fractionnement de l’électorat. Malgré l’obtention d’un vote de confiance par 93% de ses militants — plus éclatant donc que ceux obtenus par Landry, Bouchard ou Parizeau — Mme Marois n’arrive pour l’instant qu’à consolider ses appuis dans l’opinion, pas à les augmenter.

Si, demain (ou, littéralement, après-demain), elle devait perdre quelques députés, a fortiori des députés de haut profil, le navire amiral frapperait un iceberg qui, sans doute, ne le ferait pas couler, mais qui le rendrait vraisemblablement inapte à se rendre au port du pouvoir, donc à celui du pays.

La prise de risque

Vous avez lu comme moi, dans Le Devoir de ce samedi, que ma grande et chère amie Louise Beaudoin songe à démissionner du caucus péquiste pour cause de projet de loi sur l’amphithéâtre. Sa collègue de Crémazie, Lisette Lapointe, épouse du leader historique du PQ, se refuse aussi à voter pour ce projet de loi. Pierre Curzi y est également opposé, comme le député Jean-Martin Aussant. Or un mot d’ordre a été donné à tous les députés de se présenter pour voter, sur la ligne de parti et sans tolérance pour les absences. D’où le clash.

J’en viens au rôle de la banane dans l’histoire politique du Québec contemporain. Le maire de Québec, Régis Labeaume, et le co-commanditaire du projet d’amphithéâtre, le gouvernement Charest, se sont d’abord autopeluredebananisés en omettant de se rendre compte, avant la date limite de dépôt des projets de loi réguliers, de la nécessité de faire avaliser par les élus l’entente intervenue avec Quebecor.

Convaincue par la chef de sa députation de la Capitale Nationale, Agnès Maltais, Pauline Marois a choisi de se saisir de cette faute politique Labeaume-Charest et de mettre le PQ en pointe dans la sécurisation d’un amphithéâtre qui est devenu cause célèbre à Québec et, par conséquent, gisement électoral propre à assurer des gains électoraux (d’autant que l’ADQ, autre puissance locale à Québec, est tétanisée sur la question, ne pouvant se résoudre à appuyer une telle intervention de l’État).

La décision de Pauline Marois est signifiante. La dame donne l’impression d’une grande prudente. Mais force est de constater qu’elle ne recule pas devant la prise de risque. Elle l’avait montré en prenant de front, quelques mois avant le Congrès où se jouait son avenir politique, sa député Lisette Lapointe et son mari sur la question de la souveraineté. Elle l’avait montré en misant le tout pour le tout dans la partielle de Kamouraska-Témiscouata, puis en remportant la mise. Elle le signale encore en mettant son parti en pointe sur un sujet très controversé, en en espérant un dividende politique, local, certes, mais peut-être crucial le soir où les comtés seront comptés. Cette acceptation de la prise de risque nous dit également quelque chose sur la posture qu’elle adoptera lorsqu’il sera question de diriger son gouvernement dans une trajectoire souverainiste.

Son autopeluredebananisation est d’avoir mis son caucus des députés devant le fait accompli. Le contre-argument, avancé me dit-on par plusieurs, fut le risque posé par cette tactique de politique locale sur la marque de commerce éthique que le Parti s’était construite depuis l’arrivée de Pauline Marois. Les jours passants, et alors que s’amplifia le crédit politique pris par Amir Khadir enfourchant, lui, le cheval des grands principes, mirent les députés montréalais déjà vulnérables à la popularité nouvelle du héros de Québec Solidaire, comme Louise Beaudoin et Lisette Lapointe, encore plus pressées de se dissocier de la mesure.

Pas un prétexte, mais un exutoire

charest-hilare-150x150Jean Charest est évidemment mort de rire et obligera cette semaine la députation péquiste à un vote nominal, et sur le projet de loi privé promis à une mort certaine, courtoisie d’Amir, et sur le projet de loi omnibus qui en reprendra les termes et dont l’adoption ne fait aucun doute.

Les mauvaises humeurs combinées des Aussant, Beaudoin, Curzi et Lapointe se cristallisent autour de ces votes qu’on veut leur imposer contre leur intime conviction et, dans le cas de Beaudoin et Lapointe, contre leur intérêt électoral local.  Mais elles s’ajoutent à d’autres frustrations portant, on le sait pour Mme Lapointe, sur la stratégie souverainiste elle-même. Sa proposition de création d’un comité de suivi de la souveraineté qui ferait rapport, non à la chef, mais à une instance du parti, fut combattue et battue par la direction. Le cas de Pierre Curzi est complètement différent, lui qui a emporté toutes ses batailles linguistiques au Congrès.

Mais nous sommes en fin de session — période où les nerfs sont toujours à vifs. Mais plus encore à la fin d’une année où les combats entourant la tenue de Congrès ont réclamé leur dû en stress et affrontements. Le députés sont dans une bulle, dans un concentré de politique, d’épuisement, de menaces de bâillon. Ils ont trop vu le gouvernement. Ils se sont trop vus les uns les autres. Ils sont à cran, alors même que le reste des Québécois sont en mode décrochage, attentifs plutôt aux séries éliminatoires, aux BBQ et aux terrasses.

Règle générale, la fin de session est toujours la plus mauvaise des conseillères. Aucune décision majeure ne devrait être prise dans ce climat. Aux portes du gouvernement comme des oppositions, le personnel de l’Assemblée devrait afficher, chaque début juin, une grande affiche: « Il est urgent d’attendre ».

Il y a plus. Les membres du caucus péquistes sont à la fin d’une année qui a vu s’effondrer le parti frère, le Bloc québécois. Ce n’est pas banal en soi, ce l’est encore moins car la fin de l’histoire d’amour entre l’électorat et le Bloc rend, dans tous les esprits, plus incertain la réalisation du rêve souverainiste.

Or, au sein d’un Parti où les têtes sont bien faites, les opinions fortes et les égos en excellente santé, l’horizon souverainiste offre l’indispensable ingrédient de la solidarité: la colle. Lorsqu’elle faiblit. les dissensions ont moins de raison de se taire.

La mère de toutes les autopeluredebananisation

Le mouvement souverainiste pourrait s’offrir, dans les cinq jours qui viennent, une de ses plus mémorables chutes.

Dans la pire des hypothèses, Louise Beaudoin, pilier des relations internationales du parti, Lisette Lapointe, remarquable dans sa défense des aînés et victorieuse dans un comté difficile à tenir, Pierre Curzi, la voix linguistique du parti et, par la force de son émotion, porteur d’une partie de son âme, et Jean-Martin Aussant, un des plus brillants représentants de la relève et une partie de son savoir économique, quitteraient le parti.

Dans la pire des hypothèses, Pauline Marois les laisserait partir — comme elle l’avait fait naguère avec Diane Lemieux, inexplicablement.

Ce faisant, ces cinq personnes feraient pour les Québécois la démonstration que l’avenir du Parti québécois est derrière lui. Que les nouvelles forces vives s’appellent Québec Solidaire et Coalition Legault. Ce faisant, ces cinq personnes rendraient plus étroit encore le corridor qui peut mener à la double victoire souhaitée: électorale et référendaire.

Ces cinq personnes détiennent, dans les cinq jours qui viennent, une partie de notre avenir. La pelure de banane est là, devant elles, gigantesque. Sauront-elles l’éviter ?

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