Le Pacte universitaire: Casting désastreux / Bon point de départ

tuitionMême les conseillers en communication les plus incompétents de Mirador n’auraient pas laissé passer l’erreur. Ce mardi, 16 personnalités ont déposé une proposition de réforme du financement des universités.

C’était certain, leur Pacte pour le financement concurrentiel des universités (déjà, le titre est rébarbatif) allait être favorablement accueilli par les libéraux, l’ADQ, le patronat, les recteurs. Qui d’autre devaient-ils convaincre ? Les gens que Lucien Bouchard avait antagonisés la semaine précédente: les progressistes qui sont, pour la plupart, des souverainistes. Qui ont-ils choisi comme porte-parole ? Lucien Bouchard.

Je vous jure: la présence à sa place de Jean Chrétien, Justin Trudeau et Stéphane Dion n’aurait pu avoir pire impact. Quelqu’un n’a-t-il pas songé, pour cet événement prévu de longue date, retirer Lucien Bouchard du portrait ? Oui, m’assure un des membres du groupe. Dans un moment de lucidité, M. Bouchard lui-même a offert de s’effacer. On aurait dû, pour cette fois, l’écouter.

Bref, lorsqu’on est, comme moi, progressiste et souverainiste, il faut prendre sur soi pour aborder la proposition au mérite et lui trouver, oui, du mérite. La présence de l’ex-pm a d’ailleurs occulté la participation de plusieurs anciens leaders étudiants dans le groupe.

De quoi s’agit-il ? A grands traits:
1. Laisser aux universités la liberté d’augmenter les frais de scolarité, en différenciant par secteur: moins cher pour les théologiens et les sociologues, plus cher pour les médecins et les administrateurs.

2. Si, ce faisant, les universités tendaient vers la moyenne canadienne pour ces frais, elles empocheraient 585 millions de dollars de plus par an, donc davantage que la somme jugée aujourd’hui manquante pour leur financement (500 millions).

3. En retour, les universités seraient forcées d’utiliser le tiers de l’argent ainsi récolté pour financer des prêts et des bourses pour assurer l’accessibilité des moins nantis. Les sommes disponibles pour les prêts et bourses au Québec bondiraient ainsi de presque 50%, car 170 millions seraient ajoutées aux 380 millions actuels.

4. Les étudiants bénéficiant de ces prêts n’auraient à rembourser qu’une fois sur le marché du travail, et en proportion de leurs futurs revenus. Les auteurs n’ont pas donné d’autres détails, mais on comprend que si un diplômé de droit passe sa vie dans un MacDonald, il ne remboursera jamais ses frais.

5. Le gouvernement du Québec s’engagerait, pour sa part, à prolonger le financement des universités à son niveau actuel, en tenant compte de l’augmentation régulière des coûts.

6. Puisque le gouvernement n’aurait pas à décaisser les 500 millions qu’on lui demande, et qui seraient maintenant payés par les étudiants, les auteurs proposent que le «coût évité» pour l’État soit investi ailleurs en éducation, notamment au secondaire.

Évidemment, toutes ces sommes sont purement indicatives, car personne ne peut prédire ce que feront les universités, une fois devenues autonomes sur le plan des frais de scolarité.

Mon avis ?

La proposition atteint plusieurs objectifs
* Elle règle le problème du sous-financement des universités québécoises.
* Compte tenu de l’importance de la somme (30%) réinvestie en prêts et bourses ciblés vers les moins fortunés, l’impact sur l’accessibilité pourrait être nul, voire favorable à une meilleure mobilité sociale
* Pour ces moins fortunés, l’assurance de ne rembourser que lorsque, salariés, ils en auront les moyens, serait une excellente nouvelle.

La proposition introduit cependant un problème important
* Les frais de scolarité vont augmenter pour tous les enfants de classe moyenne. Cela va augmenter leur endettement, en début de vie, de façon très considérable.

Surtout, elle ne règle pas d’autres problèmes
* Celui de la rétention des diplômés au Québec. Même en demandant de payer la moyenne canadienne des frais de scolarité en médecine, par exemple, le Québec n’empocherait qu’une fraction de la somme nécessaire pour former un médecin. Rien n’empêche, avec le Pacte, le diplômé de quitter le territoire.
* Celui de l’attractivité pour les étudiants étrangers. Je suis de ceux qui croient que la principale réponse au défi démographique québécois réside dans l’attraction et la rétention d’étudiants universitaires étrangers.

Mes lecteurs réguliers savent où je vais en venir. Je défends depuis plusieurs années une proposition plus ambitieuse que celle déposée par les auteurs du Pacte. Avec elle:

Tous les étudiants qui le désirent, donc non seulement les plus démunis, pourraient rembourser des frais de scolarité majorés (aux deux tiers du coût réel), mais seulement lorsqu’ils auront des revenus conséquents. Pour obtenir ce droit, ils devraient s’engager à oeuvrer au Québec pendant 12 des premières 20 années de leur activité professionnelle. Cette proposition serait étendue aux étudiants étrangers. Dans ce scénario, l’étudiant a bien une «dette» envers l’État, mais il ne s’agit pas d’une dette bancaire écrasante et remboursable quelle que soit la situation pécuniaire du futur diplômé, comme dans la situation proposée par le Pacte. Dans ma version, les enfants de classe moyenne sont aussi protégés contre le spectre de l’endettement bancaire.

Les étudiants qui ne souhaitent pas entrer dans cette filière devraient, eux, débourser le coût réel de leur formation. S’ils restent au Québec par la suite, pendant les 12 de leurs 20 premières années d’activité professionnelle, c’est l’État qui leur rembourserait graduellement le tiers du coût réel de leurs études.

On voit que la somme ultimement payée par ceux qui auraient les moyens de le faire — les deux tiers du coût réel des études — est supérieure à ce que les auteurs du Pacte proposent. Elles permettraient non seulement de combler le retard de financement de nos universités, mais de faire mieux qu’ailleurs et de déporter peut-être une partie des sommes vers les paliers inférieurs d’éducation. Dans le Pacte, ce n’est qu’un vœu pieux.

Bref, j’estime que le Pacte permet l’atteinte de plusieurs objectifs importants, mais manque d’ambition et fragilise la situation financière des enfants de classe moyenne. C’est cependant un bon point de départ. De son côté, la Fédération étudiante universitaire du Québec réclame un débat ouvert sur la question. Le dialogue me semble possible. La balle est dans le camp du gouvernement.

gaetanUn dernier mot, sur le casting. Il existe aujourd’hui un personnage public qui constitue une publicité ambulante pour le remboursement, par les diplômés devenus hauts salariés, de leurs frais de scolarité. Il s’appelle Gaétan Barrette. Même les conseillers en communication les plus incompétents de Mirador seraient d’accord.

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Pour les mordus de cette question.

Écouter le résumé que j’en ai fait pour le CNJ-PQ en 2009: