Les funérailles prochaines de l’État providence américain

Pendant l’été, quelques billets de blogue choisis, en rappel.

L’ acteur Craig T. Nelson (notamment de la série de films Poltergeist) a avoué au journaliste de Fox Glenn Beck il y a deux ans avoir déjà eu une période de grande pauvreté. « J’étais sur l’aide sociale et aux Food Stamps», disait-il, faisant référence au programme social américain qui distribue des coupons d’alimentation aux déshérités.

« Est-ce que quelqu’un m’a aidé », a-t-il demandé ? « Non! », a-t-il ajouté, usant de son exemple pour critiquer l’essentiel de l’intervention gouvernementale.

Glenn Beck, n’a évidemment pas relevé que, oui, quelqu’un était venu au secours de l’acteur dans sa grande détresse: l’État américain, en lui donnant des coupons d’alimentation et des chèques d’aide sociale.

L’attitude de l’acteur est l’un de nombreux signes qui pointent dans une direction : nous vivons les dernières années de l’État providence aux États-Unis.

Le phénomène est, disons, phénoménal : 25% de ceux qui touchent ces bons alimentaires ne savent pas qu’ils viennent de l’État, 30% des retraités qui reçoivent des soins de santé couverts par l’État ignorent qu’ils sont payés par… l’État. Mieux, 43% des prestataires d’assurance-emploi ne peuvent identifier la provenance de leur chèque et 44% de ceux qui touchent, chaque mois, leur chèque de pension de retraite de l’État sont également ignorants de l’identité du payeur

Le politologue américain Charles Noble (transparence totale : un ami) a signé récemment, dans la revue en ligne Logos, un texte d’une terrible lucidité intitulé : « Un au revoir ? L’avenir très incertain de l’État providence américain ».

Il y explique pourquoi les programmes sociaux américains sont victimes d’une tempête parfaite. Les moteurs du changement social — les syndicats, le mouvement pour les droits sociaux — sont en perte de vitesse. La proportion d’Américains qui se définissent comme « conservateurs » est deux fois plus importante que celle qui se définissent comme « progressistes » (libéral, dans le sens américain, de centre-gauche).

« Il est difficile de nier, écrit Noble, que beaucoup d’Américains ont au sujet du gouvernement des idées qui sont propices à la montée de la droite et qui remettent en cause toute proposition fondée sur les notions de communauté, de coopération ou d’égalité sociale. »

On a en effet assisté, ces dernières années, à une mise en accusation de Barack Obama parce qu’il avait proposé de « répartir un peu la richesse »; sa réforme de la santé, pourtant totalement fondée sur le secteur privé, est considérée comme du « socialisme » l’idée de taxer les millionnaires au niveau qui était le leur sous Bill Clinton, dans les années 1990, est vue comme un assaut contre « les créateurs d’emplois ».

La tendance américaine à voir le gouvernement comme «le problème», selon Noble, « facilite la tâche des conservateurs qui réussissent à démoniser les programmes sociaux dont dépendent pourtant beaucoup de gens ».

Noble, qui admet être à gauche du parti démocrate, note avec raison que des sujets hier tabous sont aujourd’hui au centre du débat, comme la privatisation du régime public de retraite américain.

Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle de 2012, il estime avec plusieurs autres que le compas politique pointera fermement vers la droite, ce qui signifie aujourd’hui à droite de Ronald Reagan et de George W. Bush.

Si, comme c’est fort possible, un Républicain est élu président en novembre 2012, c’en sera fini de la réforme de la santé d’Obama, ce qui retirera à un Américain sur sept toute assurance maladie.

Noble affirme qu’avec le recul du temps, on se rendra compte que « les 30 ans de paix sociale et de croissance économique que le capitalisme a connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale » avec, pour corollaire, la construction de l’état providence, « apparaîtra comme une période vertueuse assez brève, simple intermède à l’intérieur d’une époque caractérisée par l’insécurité, l’inégalité et le conflit entre les classes. »

Cela ne sera pas sans conséquence sur les orientations de nos propres conservateurs canadiens et rendra la société québécoise plus distincte, et plus originale, que jamais.

Billet d’abord publié en novembre 2011.