Les idées de droite montent-elles dans les têtes des Québécois?

position-des-quebecois-sur-l-echiquier-politiqueY a-t-il illusion d’optique ? Les thèmes de droite sont-ils vraiment en progression dans la pensée politique des Québécois ? Nous avons vu dans le précédent billet que la droite dispose aujourd’hui de davantage de porte-voix médiatiques qu’il y a, disons, cinq ans, mais que cela ne se traduit nullement par une montée des intentions de vote de droite, au contraire.

Depuis quelques semaines, des coups de sonde impressionnistes sont venus alimenter le débat. On apprenait par exemple ce samedi dans Le Devoir que 31% des Québécois s’auto-identifiaient de gauche, 27% de droite et 35% ne le savaient pas.

C’est une photographie — avec une pluralité à gauche, une concentration massive au centre,  un tiers d’indécis — mais ce n’est pas un film. Cela ne nous dit absolument rien sur la « montée » de quoi que ce soit.

Et avec 31% d’autoidentification à gauche, nous sommes à risque de nous faire expulser du continent par le Tea Party, si son égérie Sarah Palin devenait présidente.

Testant des thèmes de droite et de gauche, le sondage nous apprend que les Québécois mettent en tête des choix effectués (44% de mention) la réduction de la taille de l’État. Indubitablement de droite. La distribution des autres réponses rend cependant perplexe. 29% veulent davantage de privé en santé (une position présente dans l’opinion depuis au moins 10 ans), 23% en veulent moins.

Un vrai recul: le respect pour l’entreprise privée

Ce qui est plus notable est la régression apparente de la confiance envers l’entreprise privée. 23% veulent réduire la latitude de l’entreprise dans le domaine des ressources naturelles (donc, avoir plus d’État) et seulement 5% épousent la position de droite de leur laisser davantage de latitude.

Lorsqu’on mesure l’évolution de l’opinion sur une plus longue période, on est d’ailleurs frappé par le désenchantement québécois envers le patronat. Un autre sondage de l’automne (Léger, septembre ici en pdf) sur la perception des professions a montré que les « gens d’affaires » n’avaient plus la confiance que de 36% des Québécois.

On est loin de la fierté que nous inspirait la garde montante dans les années 1980 et 1990. Nos concitoyens ont davantage confiance aux enseignants (syndiqués) 85%, aux facteurs, aux artistes, aux plombiers et même aux chiropraticiens qu’à ceux qui constituent, pour la droite, les véritables créateurs de toutes les richesses. Les syndicalistes, il est vrai, ne sont qu’à 19% – mais en surprenante hausse de 6 points depuis l’année précédente ! Ils sont donc, eux, en montée, mais partent de très bas !

Une amirkhadirisation du Québec?

Amir-affiche-noir-orange-Internet_1Dans un billet du mois dernier, Les Québécois en rogne contre l’entreprise privée?, mon collègue blogueur, Pierre Duhamel, de droite classique, parle d’amirkhadirisation du Québec, pas de montée de la droite. Et ce n’est pas pour s’en féliciter.

Il est d’ailleurs étonnant qu’on puisse diagnostiquer une montée des idées de droite dans une nation qui choisit l’ex-syndicaliste des artistes Pierre Curzi et le député socialisant Amir Khadir comme les deux figures politiques les plus populaires de l’heure.

Vous avez dit montée ? En décembre 2009, 42% des Québécois avaient une « bonne opinion » d’Amir. Cinq mois plus tard, en juin 2010 (dernière mesure disponible), il avait pris 8 points, à 50%, contre seulement 17% de mauvaise opinion!

Lire l’opinion des Québécois avec des lunettes de droite

L’Institut économique de Montréal a commandé son propre sondage le mois dernier sur l’équilibre budgétaire et la taille de l’État. Concluant ce sondage ? Oui, selon le JdeM qui titre « Des contribuables Lucides ». Et oui, selon le vice-président de l’Institut, Jasmin Guénette, sautant sur la majorité de 51% qui dit souhaiter un retour à l’équilibre budgétaire dès l’an prochain, plutôt qu’en 2013, comme le prévoit Québec. Il affirme: « Ça montre que les gens veulent avoir des finances saines et le plus rapidement possible. L’échéancier fixé par le gouvernement est donc trop long ».

Mon collègue Duhamel a été moins tendre envers la lucidité présumée des Québécois:

Selon ce sondage, nous serions une majorité à souhaiter un retour à l’équilibre budgétaire dès 2011. Comment effacer ce déficit tout de même prévu de [4,5] milliards de dollars ? Rien ne serait plus simple. Il suffit de réduire les dépenses, répondent 81 % des répondants. Je trouve ça vraiment bête que le gouvernement n’y ait pas pensé avant.

Comment réduire ses dépenses ? Pas en coupant les salaires dans la fonction publique car il y a 50% des répondants qui trouvent acceptables les hausses de salaires de 7 % sur cinq ans accordées aux employés de l’État […]  Il faudrait par contre diminuer les impôts, disent souhaiter 48 % des répondants. Les réductions d’impôts ont de grandes vertus, mais pas de réduire à court terme les déficits de l’État.

Pire, un groupe aussi nombreux (45 % des Québécois) veulent de nouveaux investissements publics pour créer de l’emploi. […]

Récapitulons. Il faut couper [4,5] milliards de dépenses en un an. Tout en augmentant les salaires des employés de l’État et en réduisant les impôts ou en augmentant les dépenses publiques pour stimuler l’économie. Ce n’est pas d’un ministre des Finances que le Québec a besoin, mais d’un magicien ! Alain Choquette, où êtes-vous ?

J’ajouterais: idées de droite, où êtes-vous ?

Une indication plus concrète

Mais puisque l’opinion nous envoie des signaux si contradictoires (comme les manifestants de la ville de Québec, manifestant un temps pour le rapetissement de l’État puis peu après pour l’investissement public dans un amphithéâtre), y aurait-il une autre façon de tester concrètement un changement de comportement québécois pour saisir une dérive vers la droite?

S’il y a un clou sur lequel toute la droite tape, c’est bien celui du syndicalisme. Rien ne lui est épargné, et avec les Cols bleus de Montréal et la FTQ-Construction, le mouvement syndical contribue lui-même à sa publicité négative.

Si ce message perce, on devrait pouvoir observer une baisse de la syndicalisation au Québec au cours de la dernière décennie. Voici ce que ça donne:

syndicalisation

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette remarquable stabilité du taux, très élevé, de syndicalisme au Québec est d’autant remarquable qu’il se déroule alors que baisse l’emploi manufacturier — très  syndiqué — et que monte dans le privé le secteur des services, qui l’est beaucoup moins, et alors qu’augmente le taux d’activité, donc le nombre d’individus qu’il faut syndiquer pour maintenir le taux de syndicalisation.

Cela signifie que les Québécois choisissent de demeurer syndiqués et de le devenir dans le redéploiement que connaît l’économie, et à contre-courant des signaux anti-syndicaux émis par toute la droite québécoise.

Par comparaison, sur la même période, le taux a chuté de 35,7 à 31% en Colombie-Britannique, ce qui démontre bien que la chose est possible. Le taux est resté stable en Ontario. (Je ne parle pas des États-Unis car la chute du taux, là, est due à une honteuse campagne patronale contre le droit d’association.)*

Ce graphique québécois est à lui seul le témoin d’un échec total de la droite québécoise dans le Québec qui travaille.

Mais de quoi parle-t-on ?

Il ne faut pas en vouloir aux Québécois de ne pas bien distinguer ce que les termes droite et gauche signifient, surtout qu’il y a bien des gauches et bien des droites.

Tout est bien sûr question de degré. La droite libertarienne, très forte dans le Tea Party américain, présente dans le Parti conservateur et dans l’ADQ,  souhaite le démantèlement de l’État providence, la réduction de l’État à sa plus simple expression. Elle estime que libérés de la « tyrannie » de l’État, les individus, essentiellement laissés à eux-mêmes, seront plus heureux et plus prospères. Aucune expérience historique ne soutient cette thèse mais, comme les marxistes-léninistes, les libertariens répondent que c’est parce qu’aucun État n’a correctement appliqué leurs thèses.

La gauche social-démocrate (la seule qui compte au Québec, Québec Solidaire se montrant d’ailleurs remarquablement modéré depuis sa création) croit au contraire à la nécessité d’un État fort pour assurer au plus grand nombre l’égalité des chances, la qualité de vie et la correction des inégalités et de la pauvreté induites par le marché. Toute l’expérience occidentale, de l’après-guerre jusqu’à la fin des années 1970, atteste des succès de cette approche.

Ne pas confondre droite et saine gestion

Ma lecture du débat politique québécois actuel est qu’il n’existe probablement pas plus de 10% de nos concitoyens qui souhaitent un démantèlement de l’État providence, comme le souhaite la vraie droite, celle du Réseau Liberté-Québec et d’une partie de l’Institut économique de Montréal.

L’essentiel du débat se déroule entre, d’une part, ceux, au PLQ, à l’ADQ et les Joseph Facal, Lucien Bouchard, Alain Dubuc, qui estiment que cet État providence devrait faire une place plus grande au secteur privé, sans toutefois s’effondrer;

Et, d’autre part, les socio-démocrates, dont je suis, qui souhaitent réformer  l’État providence pour le rendre plus efficace, plus souple, plus innovant, donc plus solide et porteur d’encore plus de justice sociale.

(Il y a bien sur des fossiles qui ne veulent rien changer. Ils ne représentent qu’eux-mêmes.)

J’estime que l’immense majorité des Québécois se retrouvent dans ces deux corridors et qu’on interprète comme des signaux de droite de simples impatiences face à un appareil d’État jugé (parfois à tort, parfois à raison) trop rigide et trop dépensier. Les Québécois réclament de la saine gestion, pas une contre-révolution tranquille.

Je crois qu’il n’en tient qu’aux socio-démocrates de démontrer leur capacité d’innovation et d’efficacité pour remporter ce débat dans l’opinion. J’y reviendrai.

(*J’ai étoffé ce passage depuis la première publication du billet.)

(Demain: la droite et les souverainistes.)