Les patrons québécois moins voleurs que les Ricains !

tobinComment les patrons québécois et américains célèbrent-ils la fête du Travail ? En respectant leurs travailleurs ? Et si oui, jusqu’à quel point?

Cet épisode de la série « Temps dur pour les détracteurs du modèle québécois » compte parmi les textes de société les plus durs, les plus tristes, les plus décourageants que j’aie écrits.

Oui, il démontre que le Québec s’en tire mieux que les États-Unis. Mais il illustre cependant avec force le sans-gêne avec lequel des centaines de milliers de patrons sur le continent n’hésitent pas à spolier le travail des salariés non syndiqués.

Le tableau qui suit est tiré de deux  études menées depuis 2005 : une dans trois grandes villes américaines réalisée par un groupe d’universitaires, l’autre au Québec par la Commission des normes du travail.

Taux de non-respect des droits
des travailleurs non syndiqués

Au cours du dernier mois, pourcentage de salariés affirmant :

Québec

États-Unis

Avoir été payés moins que le salaire minimum

2 %

26 %

Avoir travaillé certaines heures non rémunérées

37 %

70 %

Avoir eu leurs heures supplémentaires payées en temps simple

31 %

76 %

Avoir dû travailler pendant les pauses repas

29 %

58 %

PERTE SALARIALE

13 millions $ par mois pour le seul temps supplémentaire impayé

15% de rémunération en moins au total

Quelques précisions :

Salaire minimum. Aux États-Unis, les 26% des salariés affirmant avoir reçu moins que le minimum affirme que la baisse était de 1$ de moins l’heure dans la plupart des cas. Sur un salaire minimum alors de $5,15).  Un vol de près de 20% de ce qui leur était légalement dû.

Temps supplémentaire. Aux États-Unis, où le temps supplémentaire est dans le tiers des cas non désiré, le temps payé sans majoration équivaut à une moyenne de 11 heures par semaine.

Vacances. Pour les travailleurs permanents, au Québec, des patrons empêchent 13% des salariés de prendre la totalité de leurs vacances. De cette proportion, la moitié ne peuvent prendre un seul jour ! Parmi ceux qui ont eu des vacances, 6% n’ont pas reçu de paie de vacance du tout. Cela fait 52 000 Québécois. Aux États-Unis ? Impossible de le dire, la loi ne prévoit pas de temps de vacances minimal.

Le coût du non-syndicalisme ?

Cela commence à faire des sous en moins dans les poches des salariés, et en plus dans ceux des patrons. Combien ? La Commission québécoise a fait le calcul. Pour le seul temps supplémentaire en moins : 13 millions de dollars. Par mois !

Dans les grandes villes américaines, la perte par travailleur est évaluée à 2600 $ pour un salaire annuel de 17 500 $. « Cela, estiment les chercheurs, équivaut à un vol salarial de 15 % du revenu ».

Évidemment, là-bas comme ici, les victimes habituelles sont particulièrement visées : femmes, immigrants, jeunes, travailleurs atypiques. Mais on trouve des salariés brimés dans toutes les catégories, de toutes les couleurs et de tous les niveaux d’éducation. L’absence de respect pour les salariés est, en un sens, non-discriminatoire. On est crapules envers tous.

Que conclure de ces chiffres affligeants ? Que le patronat québécois est moins fautif que l’américain ? Certes.

Pourquoi ? Donnons leur le bénéfice du doute en acceptant qu’ils soient plus honnêtes et plus respectueux de leurs salariés. Admettons que le taux de roulement nettement moins fort du personnel leur donne moins d’occasion de truander que leurs voisins du sud. Ajoutons que le taux d’immigrants illégaux qu’on peut traiter comme des sous-personnes est moins élevé au Québec, donc que la tentation est moins forte.

Il y a cependant une donnée forte, incontournable, qui aiguillonne le comportement patronal.

Au Québec, 39 % des salariés sont syndiqués. Aux États-Unis, 12 %.

Mécaniquement, une plus grande partie des salariés québécois est protégée par son syndicat contre des pratiques illégales. Puis il y a le rayonnement. La recherche indique que lorsqu’une filière industrielle ou commerciale est syndiquée à environ 40 %, le reste des patrons de la filière améliorent les conditions de travail de leurs salariés, dans l’espoir qu’ils ne se syndiquent pas. Parfois, comme naguère dans le cas des brasseries de Montréal, l’usine non syndiquée appliquait à la lettre la convention ide l’usine syndiquée.

Les salariés américains, anti-syndicaux ?

Les chiffres du tableau sont sans équivoque: laissés aux forces du marché, sans organisation de défense et/ou sans une volonté de l’État de faire appliquer ses normes minimales du travail, les salariés se font escroquer à moyenne échelle au Québec, à grande échelle aux États-Unis. Au XXIe siècle.

On croit souvent que les salariés américains, ces individualistes forcenés, sont réfractaires au syndicalisme en soi. C’est faux.

En 1980, lors de l’arrivée de Ronald Reagan, ils étaient 30 % à affirmer par sondage désirer être syndiqués, 40 % disaient de même au milieu des années 1990. Puis 53 % en 2005, en plein ère de George Bush. Leur volonté de syndicalisation a cru de façon inversement proportionnelle à la dégradation de leurs protections sociales. Pourquoi ne prennent-ils pas leur carte ? (source, pdf)

La campagne patronale anti-syndicalisation, ayant bénéficié d’un appui sans borne de l’État américain, a bien frappé les esprits. Lors de tentatives de syndicalisation, les employés sont personnellement menacés par les employeurs dans 54% des cas. Les salariés impliqués dans la syndicalisation sont mis à la porte dans 37% des cas. Parmi ceux qui réussissent tout de même à se syndiquer, le tiers n’a toujours pas de contrat de travail deux ans après la formation du syndicat.

Depuis les années 90 jusqu’à aujourd’hui, les employeurs sont devenus deux fois plus enclins à utiliser ce genre de tactique. Il y a totale désinhibition.

L’administration Obama a renversé certaines des politiques antisyndicales les plus odieuses de l’ère Bush et propose des modifications visant une syndicalisation plus facile. Modifications évidemment — violemment  contestées par le patronat pour que ce serait «la fin de la civilisation». (Voir Obama contre Wal-Mart.) Un vote est prévu sous peu. Mais on est en bas d’une côte très abrupte.

Résumons nous.

Chaque mois qui passe, au Québec, des patrons volent à leurs travailleurs l’équivalent de 13 millions de dollars en refusant de majorer leurs heures supplémentaires. Un hold-up quotidien, hebdomadaire, mensuel. Des milliers de bullies, des milliers de victimes. Et pas une seule première page au Journal de Montréal, pourtant friand de crimes.

Chaque année, aux États-Unis, des patrons imposent une réduction illégale moyenne de 15 % au salaire déjà miséreux auxquels leurs salariés auraient droit.

Bonne fête du Travail.

Note en petits caractères :

Les billets « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, tant s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses et importantes visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.