Les Sudistes votent plus blanc

18 novembre 2008, Libération et Le Devoir

Seulement 43 % des Américains blancs ont voté pour le nouveau président, contre 95 % des Américains noirs. C’est peu ? Je vous laisse juge. Disons d’abord que la majorité des Blancs votent traditionnellement pour les républicains. « Voilà le Sud perdu pour une génération », avait déclaré le président démocrate, texan, Lyndon B. Johnson, le jour où il a signé la loi phare garantissant aux Noirs leurs droits civiques, notamment ce droit effectif de voter que les autorités blanches du Sud tentaient par mille moyens de leur retirer. Johnson savait que les Blancs conservateurs du Sud, massivement démocrates jusque-là, se sentiraient trahis et se tourneraient vers les républicains. Il avait raison mais avait mal jugé l’ampleur du mal. Il y a maintenant deux générations que la majorité blanche sudiste tourne le dos aux démocrates.

Alors quel est « l’effet Obama », dans la distribution du vote racial. A 43 %, le 4 novembre, sur l’ensemble des Etats-Unis, le candidat noir a obtenu 2 % de votes blancs de plus que John Kerry en 2004, 1 % de plus qu’Al Gore en 2000 et le même niveau que Bill Clinton en 1996. C’est donc dire que le premier candidat présidentiel noir, loin d’avoir repoussé l’électorat blanc, en a attiré davantage que ses deux prédécesseurs démocrates. C’est vrai en pourcentage, c’est encore plus vrai en chiffres absolus, car le niveau de participation a augmenté. En détail et par rapport à Kerry, Obama a fait mieux : chez les femmes blanches (+ 2 %) ; chez les hommes blancs (+ 4 %) ; chez les Blancs qui ont une éducation postsecondaire (+ 11 %).

Mais le Sud ? L’ancienne confédération ? Le paysage y est plus contrasté. En descendant la côte Est, Obama a triomphé en Virginie, siège de la capitale des anciens Etats sécessionnistes. Il y a augmenté de 7 % le vote blanc démocrate, le portant à 39 %. Mais cela est surtout dû aux professionnels qui peuplent la banlieue sud de Washington. On voit mieux le comportement des « vrais Virginiens », comme les avaient diplomatiquement désignés Sarah Palin, lorsqu’on observe la Virginie occidentale, non polluée par les yuppies de Washington. Le vote blanc pro-Kerry était en 2004 de 42 %, celui d’Obama de 41 %. Rien de grave. En Caroline du Nord, le Président élu peut sabler le champagne : il a tiré 8 points de pourcentage de plus chez les Blancs, à 35 %, ce qui est un bond considérable. En Caroline du Sud, il n’a pris que 4 points de plus, mais il pousse la proportion de 22 à 26 %, donc on voit que la barre est bien bas. En Géorgie : calme plat. Le plus-blanc-que-blanc Kerry avait eu 23 % du vote blanc, Obama aussi. D’autres anciens Etats confédérés n’ont pas bronché devant l’arrivée d’Obama : au Texas, au Tennessee, en Floride, Kerry et Obama ont fait scores égaux.

Mais tournant vers le « Sud profond », en Alabama, la position d’Obama se dégrade. Il perd 10 points par rapport à Kerry. Le vote démocrate blanc, déjà malingre à 19 %, chute à 10 %. Une misère. Au Mississippi, l’affaissement est moins cruel mais il choit aussi de bas, passant de 13 à 10 %. En Arkansas, il perd 6 points, à 30 %. En Louisiane, finalement, c’est la chute libre. Kerry avait eu 24 %, Obama n’a que 14, dans cet Etat pourtant abandonné par les républicains avant, pendant et après l’ouragan Katrina. Pris tous ensemble, les Blancs de l’ancienne confédération sudiste ont augmenté d’un maigre 0,2 %, mais augmenté tout de même, le vote démocrate. Le mur du refus circonscrit un Sud conservateur – Alabama, Mississippi, Arkansas, Louisiane – dans lequel Obama avait la double tare d’être démocrate et noir. On ne le lui a pas pardonné. Cela illustre combien sa victoire n’est pas partout en Amérique le début de la fin du racisme mais, dans ces quatre Etats, pas même la fin du début.

Le contraste est d’ailleurs frappant avec l’attitude des habitants du Midwest, le cœur du pays, loin des côtes, de ses dépravations et de ses dérives, peuplé plutôt de ces small town hard-working Americans dont McCain et Palin ont chanté les louanges et se sont fait les représentants. Qu’on juge des progrès d’Obama dans le vote blanc : Minnesota (+ 3), Idaho, Dakota du Sud, Wisconsin (+ 4), Kansas, Montana, Nebraska (+ 6), Utah, Dakota du Nord, Wyoming (+ 7), la palme revenant à l’Indiana (+ 11).

C’est là, plus que dans le Nord-Est ou sur la côte Ouest où Obama a dominé, que deux questions des sondages de sortie des urnes ont éloquemment parlé. Ils ont indiqué que parmi ceux qui croyaient importante la question de la couleur de la peau d’Obama, ce facteur les a plutôt porté à voter pour lui. Et parmi ceux qui ne voyaient pas dans l’élection d’enjeu racial, il a également tiré les votes vers lui. Bref, au total et malgré l’aversion provoqué dans le vieux Sud, la question raciale a joué plutôt pour lui et non contre lui.

Même dans l’Amérique religieuse, Obama a attiré les ouailles, peut-être à cause du caractère un peu messianique de sa personne, de la qualité de son éloquence aux cadences de preacher ou parce qu’une publicité républicaine l’a ironiquement comparé à Moïse ouvrant la mer Rouge. Il a non seulement tiré vers lui davantage d’évangélistes blancs que Kerry (+ 3 %), de catholiques blancs (+ 4 %) et de juifs (+ 4 %). Mais a réussi le tour de force d’accumuler davantage de fidèles qui vont à l’église chaque semaine (+ 8 %) et davantage d’infidèles qui n’y mettent jamais les pieds (+ 5 %).

Evidemment, les grandes sources de victoire d’Obama se trouvent à l’extérieur de la majorité blanche. Il a fait exploser le niveau d’appui démocrate chez les Latinos (de 53 % pour Kerry à 66 % pour Obama, dans un groupe qui représente 8 % de l’électorat). Puis, et peut-être surtout, il a fait augmenter le poids relatif du vote noir dans l’ensemble de l’électorat (passé de 11 à 13 % de l’ensemble). A l’intérieur de ce groupe maintenant plus lourd, il a poussé son avantage, faisant passer le vote démocrate de 88 % sous Kerry à 95 % selon les sondages de sortie des urnes. Une proportion à l’albanaise jugée sous estimée par la firme Gallup, qui affirme de son côté que la vraie proportion est de, tenez-vous bien, 99 %.