Lire: Éclairant/Épeurant voyage chez les Guerriers de la justice sociale

Les contraires s’attirent. Ou du moins ils m’attirent. D’où cet aveu:

C’est parce que j’ai lu et fait la recension du dernier livre de Mathieu Bock-Côté (L’Empire du politiquement correct) la semaine dernière que j’ai décidé de lire et de rendre compte du livre qui en est son exact opposé, et qui aurait pu s’appeler « Apologie du politiquement correct », par Judith Lussier.

Je ne m’égarais pas complètement, car Lussier s’amuse à mettre Bock-Côté dans ses remerciements. On soupçonne ici l’ironie, Bock-Côté lui servant d’utile repoussoir. (L’inverse n’est pas vrai, cependant).

Judith Lussier, chroniqueuse au journal Métro, assume sa position de féministe, lesbienne et « guerrière ». Elle s’identifie au mouvement qu’elle décrit avec beaucoup de soin dans son ouvrage, les Social Justice Warriors. Traduisons par les « Guerriers de la justice sociale », qui se donnent pour tâche de débusquer et dénoncer toute manifestation de sexisme, de racisme, de transphobie, d’appropriation culturelle, entre autres.

Le livre est utile à plusieurs égards. D’abord, pédagogique. L’auteur explique patiemment et clairement d’où vient ce mouvement, quelles en sont les tendances. Elle livre de brefs portraits de plusieurs « guerriers et guerrières » du Québec. Elle ouvre aussi avec un lexique des termes, très majoritairement anglophones, utilisés par ces brigades de la rectitude.

J’en connaissais plusieurs mais, parmi les trouvailles que je suis heureux de relayer, on trouve:

  • Brocialist: Un Bro, pour brother, donc homme, qui ne voit les problèmes sociaux qu’à travers la lorgnette des inégalités sociales, plutôt que du sexisme, du racisme etc.
  • Neurodiversité: Nos concitoyens frappés de troubles mentaux ne sont plus, avec ce terme, stigmatisés. Ils font partie de la Neurodiversité. Même si leur trouble est diagnostiqué médicalement.
  • Homonationalisme: La raison pour laquelle nous, du Nord occidental ayant fait franchir des étapes majeures dans l’acceptation de l’homosexualité, ne devrions pas être condescendants envers des pays du sud qui, comme l’Ouganda, criminalisent l’homosexualité. (eh ben !)
  • Slumfie: Touristes blancs prenant des photos devant des bidonvilles.
  • Tonepolicing: C’est, lorsqu’on vous traite de raciste à pleins poumons, répondre de « baisser le ton » plutôt que de discuter du fond de la question.
  • Killjoy : Puisqu’on accuse les guerriers de manquer d’humour et de tout prendre au pied de la lettre, certains revendiquent l’étiquette de « killjoy », donc de « rabat- joie ».
  • Value Signaling: Se dit de quelqu’un qui appuie les causes des Guerriers mais seulement pour se rendre intéressant, alors que le reste de son comportement est sujet à caution. La version guerrier du « greenwashing ».

Des mots comme ça, il y en a plein et c’est en évolution. Ma fille vient de m’apprendre l’existence du concept « cancelled ». Lorsqu’une personnalité publique dit quelque chose de choquant, les Guerriers annoncent qu’elles sont « cancelled » (annulés) et alors on dénonce et on boycotte ces personnes. Ils n’existent plus.

Entre revendication et harcèlement

Lussier utilise une excellente citation de Pierre Falardeau pour tempérer ceux, nombreux, qui critiquent l’action des Guerriers: « On va toujours trop loin pour les gens qui ne vont nulle part! »

Il est vrai qu’il faut distinguer les causes et les méthodes. Qui peut mettre en doute que le mouvement « Black lives matter » (Les vies noires ont de la valeur) est une réaction parfaitement saine et nécessaire à la prolifération des actes de violence, de policiers et de vigilantes, contre des noirs américains ? Actes qui se traduisent trop souvent par l’acquittement des responsables.

Judith Lussier, Chronique, Métro

La chronique de la Guerrière Lussier, dans le quotidien Métro

Comment rester sourd à la claire sous-représentation des femmes et des membres de la diversité dans les lieux de pouvoir et de création ? Aux écarts de richesse ?

J’ai participé, comme parlementaire, à l’effort québécois pour permettre aux personnes trans de naviguer dans l’univers administratif sans devoir renier leur identité. Comment ne pas être touché par leur détresse ?

Mais en quoi, au-delà de la justesse des causes, les « Guerriers » dérangent-ils tant ?

Lussier, et c’est un des grands mérites de son ouvrage, résume bien ce qu’on leur reproche :

« Appétit insatiable pour l’indignation, un manichéisme primaire, une utilisation auto-référentielle de concepts à des fins de performance, un goût de vengeance et une arrogance hypothéquée par un sévère manque de rigueur intellectuelle. […] Ces pommes pourries responsables des aspects les plus embarrassants de la justice sociale impriment toutefois leur marque dans l’imaginaire collectif. Elles sont fort probablement à l’origine de la mauvaise réputation des guerriers et d’une grande partie des parodies qui leur sont consacrées. »

Mais cela ne peut être la seule réponse. L’auteur en donne d’autres : les guerriers dérangent d’abord parce que leurs questions posées crûment remettent en cause des privilèges bien ancrés et suscitent des réactions vives chez ceux qui profitent de ces privilèges. Ensuite parce que les réseaux sociaux décuplent leur présence.

Se comparer aux luttes précédentes

Une bonne façon de faire la part des choses est de comparer ces réactions avec ce qui s’est produit à une époque antérieure. Quelle fut la réaction de la majorité des blancs du Sud des États-Unis à la volonté de déségrégation ? Un refus glacial, provoquant la violence et la rancœur. Il a fallu des décennies avant que s’installe une acceptation, qui n’est toujours pas unanime.

À distance, on retient de la lutte pour ces droits la figure apaisante de Martin Luther King. Mais il était débordé sur sa gauche par une frange aussi visible que lui, les Black Panthers violents, qui ne faisaient pas dans la dentelle.

Plus près de chez nous, la lutte pour le français ne fut pas une balade dans le parc. Aux figures plus tempérées, comme René Lévesque (accusé tout de même de nazisme par ses opposants) on en trouvait qui réclamaient l’abolition pure et simple de l’école et des institutions anglophones. Débordant le PQ, démocrate, on trouvait le FLQ, qui troublait les chaumières.

Je fais ce parallèle pour qu’on saisisse qu’aujourd’hui comme hier, les forces de changement provoquent, en soi, un malaise dans la société. De plus, ces changements sont portés à la fois par des représentants modérés et des porte-voix plus intransigeants et à plusieurs égards contre-productifs.

La comparaison n’est pas parfaite, les éléments violents accompagnant fréquemment le changement dans les années 1960 sont presque absents de la culture des Guerriers d’aujourd’hui (presque, car il se trouve y compris au Québec des sites anarchistes violents qui se vantent de brûler des voitures, de repeindre des statues, ou de saccager des commerces. Mais admettons que c’est un épiphénomène, que Lussier dénonce d’ailleurs.)

Il y a donc plus de continuité que de rupture dans l’expression du changement et dans sa réception. Mais il y a des distinctions fortes qui sont dans l’angle mort de Lussier.

Pas seulement redresser les torts, mais changer le tout

Il y a, dans cette nouvelle vague de changement, une volonté qui ne se limite pas à dénoncer les injustices pour les faire reculer et, à terme, disparaître, mais une propension à redéfinir le réel à partir de la condition minoritaire.

Par exemple j’ai appris dans ce livre que j’étais une personne « cis » (Ma fille m’a dit que j’étais très en retard de ne pas le savoir). Moi qui croyais être un homme, me voilà « rebrandé » par les guerriers. Voyez, on est cisgenre lorsque l’identité de genre qu’on ressent (je me sens homme) coïncide avec le sexe biologique reçu à la naissance (je suis né homme). Il fallait y penser. (J’attends le film: « Bienvenue chez les cis! »

C’est comme le terme « allochtone » pour désigner tous les citoyens québécois qui ne sont pas membre des premières nations. Ou le terme  »neurodiversité » présenté plus haut.

Il ne suffit pas, dans cette logique, de reconnaître les droits et de faire une place équitable à ceux qui sont membres des minorités quelles quelles soient. Il faut de plus renommer la majorité pour qu’elle se fonde dans un ensemble où elle n’est plus qu’un élément parmi d’autres de la diversité.

C’est le multiculturalisme canadien étendu à l’ensemble de la vie.

C’est là, je crois, qu’on franchit un cap nouveau. Le mouvement américain pour les droits des noirs ne demandait pas à l’Amérique de nier qu’elle était majoritairement blanche, ni le mouvement pour le Québec français ne voulait-il interdire au Canada d’être majoritairement anglophone.

Les Guerriers d’aujourd’hui heurtent de plein fouet la condition majoritaire, l’identité principale, fondatrice, de la plupart des citoyens. Cette tension est particulièrement vive dans l’argument voulant que le droit d’un nombre indéterminé mais assez réduit de femmes musulmanes à garder leurs signes religieux sur leurs heures de travail à l’école publique devrait être le point sur lequel se définit le principe général de séparation de l’église et de l’État, plutôt que la volonté historique et majoritaire de faire de l’État un endroit où ne s’affichent pas les convictions, religieuses ou autres. Ici, la minorité doit imposer son droit à la majorité.

Le fait qu’une femme trans devienne la porte-parole de la  »Fédération des femmes du Québec » symbolise bien cette tendance. Et incarne une contradiction forte. On réclame avec raison que les membres de toutes les diversités soient présents dans les équipes politiques, sportives, artistiques, parce que c’est justice, d’abord, mais aussi parce que cela permet aux membres de ces communautés de se reconnaître dans ces faces visibles de la société. Pourquoi trouver alors farfelu que peu de femmes se sentent correctement représentées par une personne certes remarquable mais dont le parcours de vie est distant de celui de la majorité des femmes ?

Voilà où, à mon avis, on atteint le point de rupture entre les progressistes traditionnels (auxquels je m’identifie) et les Guerriers. L’absence de respect. Un mépris à peine voilé pour ces femmes et ces hommes qui font partie de la majorité, qui ont soit propulsé, soit accompagné, soit subi des changements sociaux importants ces dernières décennies, et qui sont désormais mis en accusation permanente. Pour ce qu’ils sont. Pour où ils sont. Pour ce qu’ils ont accompli.

La pratique nouvelle d’indiquer en début de discours que les villes sont sur des « territoires (insérer le nom de la nation autochtone) non cédés », alors qu’il n’existe aucun consensus historique à ce sujet, ni surtout de consensus sur l’opportunité même de signaler systématiquement cette transhumance-là plutôt que d’autres, participe aussi de ce sentiment de négation identitaire de la majorité. Il y a des façons de reconnaître les premières nations, il me semble, sans accuser régulièrement les autres d’être des intrus.

Voilà donc un premier point de rupture. Il y a un autre : celui de la liberté d’expression.

Du No-Platforming à SLAV

Parmi les termes appris à la lecture de  »On ne peut plus rien dire » se trouve le :

  • No platforming: Refuser de donner une plateforme, c’est-à-dire une présence, à quelqu’un dont on estime qu’il porte un discours offensant. Lussier nous informe que l’Association étudiante de Sciences sociales de l’UQAM s’est dotée d’un mandat de « no-platforming », décrit ainsi: « contre l’instrumentalisation de la liberté d’expression et de la liberté académique lorsque celle-ci sert à tenir des propos oppressifs ». Ce qui permet d’interdire à Bock-Côté de parler à l’UQAM.

Lussier est visiblement mal à l’aise avec cette pratique mais elle monte au combat dans le cas d’autres causes célèbres, notamment celles de SLAV et Kanata.

Elle est très soucieuse de faire la distinction entre, d’une part, les Guerriers qui ont contesté la teneur des pièces, en ont critiqué l’appropriation culturelle, la sous-représentation de la diversité, et, d’autre part, la très petite quantité de gens qui en ont réclamé l’annulation.

Ce ne sont pas les Guerriers qui ont retiré ces pièces de la scène, dit-elle, mais, pour SLAV, le Festival de Jazz et, pour la tournée de Kanata en Amérique du Nord, des producteurs américains frileux.

C’est tout à fait exact et, alors chef du Parti Québécois, j’avais pointé vers cette combinaison Pression des Guerriers/Faiblesse morale des coproducteurs.

Lisée, SLAV, KANATA, liberté artistique

Lussier utilise, croit-elle a contrario, l’évolution du débat sur le Blackface. Elle résume bien l’enjeu comme suit:

« Bien qu’il me soit personnellement difficile, en tant que femme blanche, de comprendre comment le fait de se peindre le visage en noir pour imiter une personnalité publique, le plus souvent avec l’intention de lui rendre hommage, puisse heurter certaines personnes, force est de constater que cela heurte plusieurs personnes. »

Elle affirme avoir elle-même cheminé sur cette question et conclut que, là-dessus, au Québec, « un consensus se dessine ».

Sans prendre position sur le fond, j’estime au contraire qu’il n’existe au Québec aucun consensus sur l’interdit fait aux artisans du Bye Bye de déguiser un acteur de la troupe en noir pour rendre hommage ou rire d’une personnalité publique noire au Québec, d’autant que leur nombre augmente (Dominique Anglade, Lionel Carmant, etc). Un sondage démontrerait que l’immense majorité des Québécois n’y voient toujours pas de problème.

On est plutôt ici au cœur de l’efficacité des Guerriers. Ce n’est pas que Radio-Canada, ou le Festival de Jazz, sont devenus plus sensibles aux questions posées. (On dit « woke », « éveillés » à ces enjeux.) Non. C’est qu’ils font un simple calcul de relations publiques. Ils veulent éviter la controverse. S’ils plient, c’est un peu pour éviter d’avoir à se défendre publiquement d’une accusation qui mécontenterait une frange, même réduite, de leur public. Surtout, ils plient car la controverse ferait écran au message qu’ils tentent de lancer.

C’est exactement ce qui s’est produit lorsque Radio-Can a, en 24 heures, changé l’intitulé de leur émission d’été Pow-Wow, terme autochtone généralement associé à la fête. Une Guerrière innue ayant accusé Rad-Can d’insensibilité, la maison a plié, non par sensibilité, mais par stratégie de vente.

Il y a donc rencontre de deux hyper-sensibilités. Celle des Guerriers, qui traquent la faute partout, puis celle des marchands, qui détestent la controverse. C’est le mariage de la Nitro avec la Glycérine. La victime est la liberté d’expression. S’étend, peu à peu, la « liste noire » des mots à ne pas utiliser, des références à ne pas faire, des sujets à ne pas traiter. Pas par conviction ou évolution des mentalités. Par crainte de la controverse. Par calcul marchand.

Sur la crête du débat

Les Guerriers sont sur la crête de ce débat. Et ont intégré à leur argumentaire l’accusation de censure proférée contre eux.

Lussier choisit son camp et elle dénonce avec aplomb la « panique morale entourant la liberté d’expression ».

Grosso modo: 1) Les dominants ont toutes les plateformes, pas grave qu’on leur en retire; 2) Les arguments des Guerriers sont sous représentés, maintenant on les entend; 3) Ceux à qui on enlève 1% de leur temps de parole n’est rien à côté de l’oppression subie par les opprimés.

Lussier cite avec approbation le sociologue américain William Davies:

« Alors que la santé mentale des étudiants se détériore, la panique entourant la ‘liberté d’expression’ renforce l’idée qu’il y a quelque chose qui cloche avec les jeunes plutôt qu’avec leur environnement. »

 

Je vous laisse ruminer cette thèse.

Je suis sensible à l’argument selon lequel il y a déséquilibre dans la prise de parole. Je constate cependant qu’il est impossible de vivre aujourd’hui en Amérique du Nord sans être constamment informés de ce que disent les Guerriers. C’est quand même le signe d’une réelle présence. Outre le fait qu’il n’existe aucun acteur du débat public qui soit satisfait de sa place dans les médias et l’espace public (c’est systémique, tous se sentent à tort ou à raison sous-représentés, mal cités, marginalisés, y compris les grosses compagnies) on pourrait soutenir que les Guerriers sont surreprésentés, compte tenu de leur poids réel dans la société. Mais c’est vrai de toutes les minorités agissantes et… constamment en quête de publicité. (C’est aussi vrai de La Meute, remarquez !)

Une partie de la caisse de résonance des Guerriers se trouve chez leurs opposants conservateurs. S’il est vrai que certains des Guerriers sont constamment à la recherche du mot de travers prononcé par telle ou telle personnalité pour le dénoncer, il est vrai aussi que les commentateurs Comme Richard Martineau et Bock-Côté ont un radar finement réglé pour débusquer chaque nouvelle manifestation d’hypersensibilité guerrière et nous en rendre compte.

La liberté d’expression, comme toutes les libertés, n’est pas totale. Ancien journaliste, je suis toujours du côté de la plus grande des libertés d’expression. Je m’en étais expliqué ici.

Mais s’il est vrai qu’il est censé d’interdire de crier  »Au feu » sans raison dans un théâtre, est-il censé d’interdire une conférence qui met en cause le principe même de l’existence des transgenres ? Lussier marque presque un point en affirmant que les transgenres, qui existent bel et bien, trouvent fort offensant qu’on mette en cause leur existence et donne cet exemple: Accepterait-on une conférence intitulée « Les Noirs: pour ou contre ? »

Parce que la liberté d’expression est un ressort essentiel de la démocratie et de l’ensemble des rapports humains, parce que les pouvoirs et les lobbies, y compris religieux, ont tous de bonnes raisons de vouloir la circonscrire, la limiter, la biaiser, elle doit être défendue avec la plus grande vigueur.

Et s’il faut parfois errer dans sa défense, il faut errer dans le sens de sa plus grande expression, pas dans le sens de son rétrécissement.

Prenons le cas célèbre de la venue de Benyamin Netanyahou à l’Université Concordia en 2002. Il était parfaitement normal que des étudiants manifestent contre ses politiques, voire contre sa présence. Distribuent des tracts. Donnent des entrevues. Mais leur volonté était de l’empêcher de prendre la parole, ce qu’ils ont réussi. Ils étaient des précurseurs du  »no-platform ». 

On pourrait prendre un pas de recul et accepter que la force montante des Guerriers n’est au fond qu’une des nombreuses variables entourant la liberté d’expression, qui en a vu d’autres. Certes. Mais si on dénonce les autres variables — la présence corporative dans nos institutions d’enseignement, la concentration de la presse, l’incidence des GAFA — pourquoi ne pas avoir des anti-corps aussi vifs envers cette nouvelle variable qu’envers les autres ?

Surtout lorsqu’on perçoit des signes d’institutionnalisation du danger. Lussier rigole des humoristes Nantel et Ward dont le sketch aux Oliviers avait été refusé par la compagnie d’assurance du spectacle. Dans un contre-sketch, un humoriste a affirmé avoir soumis son texte à une série de groupes de défense des droits. Ils se trompent de cible, note-t-elle. Sans doute.

Mais l’affaire Kanata nous a révélé quelque chose de plus grave. Le Conseil des Arts du Canada, qui utilise nos impôts pour financer l’excellence dans les Arts, a admis avoir refusé de financer Kanata spécifiquement à cause de, je cite:

« le manque d’information dans l’énoncé du projet quant à la consultation des Autochtones ainsi qu’à leur intégration dans le processus de création »

Soyons clair: qu’un artiste décide de consulter et d’intégrer qui que ce soit dans son processus de création est son choix. Mais ici l’organisme subventionaire affirme que l’artiste n’a pas le choix. S’il veut être considéré pour une subvention il doit consulter et intégrer. L’affront à la liberté de création est total.

La culture des Guerriers menace la liberté d’expression de trois façons.

D’abord par cette posture assumée que certaines idées ne doivent pas être diffusées, y compris dans les lieux de savoir que sont les universités. Le fait que le débat suscité par cette pratique soit vue comme une « panique » méprisable est un facteur aggravant.

Ensuite par la survalorisation de la sensibilité. Si les gens se sentent « offensés » par un propos, un tableau, ils ont selon cette thèse le droit de faire taire le propos, de faire cacher le tableau. On est là dans un paradigme liberticide qui, s’il avait été appliqué dans le passé, aurait gommé la totalité de la Renaissance et des Lumières, sans parler de Picasso. Ce principe est également voisin, sinon consanguin, avec les appels d’autorités religieuses qui veulent faire interdire le blasphème.

Finalement, parce ces idées sont internalisées par des institutions publiques, donc normalisées. L’exemple du Conseil des Arts est patent.

Pour conclure

Les Guerriers sont avec nous pour longtemps. Une bonne raison pour les connaître et les comprendre. Ils n’arrêteront pas de s’exprimer. Souvent — très souvent –, il vaut la peine de les entendre.

Parfois, parce qu’ils ont raison sur le fond et éclairent des injustices qui tardent à disparaître.

Parfois, parce qu’ils risquent de nous entraîner sur des chemins dangereux pour la démocratie et le vivre-ensemble.

Pour ces raisons, le livre de Judith Lussier est précieux. Le lire en tandem avec celui de Mathieu Bock-Côté est un exercice sans doute intellectuellement un peu périlleux, mais qui nous donne deux puissantes lorgnettes pour examiner l’envers et le revers du phénomène.

Disponible en librairie ici


 

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En voici un extrait:

 

 

6 avis sur « Lire: Éclairant/Épeurant voyage chez les Guerriers de la justice sociale »

  1. «On ne discute pas de recettes de cuisine avec des anthropophages»
    (J.C.)
    Les SJW sont une plaie à combattre.
    Aucun débat posible ni souhaitable avec ces tarés.

  2. Tant qu’à aborder le sujet des SJW, j’aimerai bien un jour en apprendre un peu plus sur leurs impacts (lire ici dommages) fait au PQ lors de la dernière élection. Ils ont quand même réussi à disqualifier au moin 2 candidats péquistes et littéralement scrappé la campagne et la réputation de Michelle Blanc. Du jamais vue. Se peut il que les médias leurs accordent désormais une place trop grandes ?

  3. Il n’est absolument pas question que je perde du temps à lire Judith Lussier. Une fanatique qui dénonce les fanatiques, l’ironie me fait tordre de rire.

  4. Merci pour ce résumé Monsieur Lisée. Et bravo pour votre courage. Il faudrait me payer cher pour que je lise Lussier, bien qu’elle ait raison sur certains aspects. Je tiens à apporter une petite précision. La conférence traitant des trans qui a été annulée à l’université ne visait aucunement à nier l’humanité des personnes trans, personne ne fait cela, malgré ce que les idéologues trans prétendent. La conférence visait à disctuter de l’idéologie trans. Mais comme vous le remarquez aussi, les guerriers sont prêts à tout pour empêcher les gens qui les contredisent de parler, ce qu’ils font actuellement un peu partout en occident. Pas dans un but de plus grande représentativité et diversité, comme ils se plaisent à raconter, mais bien pour faire taire toute critique.

  5. Je n’ai pas lu On peut plus rien dire de Judith Lussier, seulement la présentation qu’en a fait le 20 mai Mario Jodoin sur jeanneemard.

    Ce livre n’est pas disponible à notre bibliothèque municipale à Québec mais sept exemplaires sont déjà en traitement documentaire, à retourner dans les jours qui viennent d’ici deux semaines. Je ne prévois pas ajouter à ma liste de cadeaux de Noël.

    Comment rester aveugle à la sous représentation des femmes dans votre titre !

    C’est sûr qu’y ajouter « les Guerrières et » avant les Guerriers l’allongerait substantiellement mais Guerrier.ères comme fait en texte Mario, moins.

    Sans vouloir partir une guerre, j’écrirais Guerrier.es. Mon correcteur accepte. Est-il téteux ? Je ne crois pas, il n’accepte pas tèteux. Le vôtre accepte-il ?

    Je suis un peu guerrier contre le masculin seulement pour raccourcir un texte ou l’addition du féminin au masculin qui l’allonge.

    Je suis davantage guerrier en justice intergénérationnelle, promoteur de l’exercice du droit vote pour les moins de 18 ans; par procuration à un ou deux parents le temps nécessaire, bien entendu.

  6. Bonne analyse! Mais elle omet l’aspect le plus important: soit l’idéologie qui anime les Guerriers. Ce qui est épeurant chez eux n’est pas tant leur fougue, leur énergie ou leur surreprésentation médiatique. Ce qui dérange est leur zèle idéologique. Car ils confondent courant de pensée et science avérée. Ainsi, ils et elles veulent ordonner au monde de se conformer à ce que 2 ou 3 axiomes, au final plus idéologiques que scientifiques, leur dictent. Et ils sont prêt à la guerre pour y parvenir. Même si maintenant ils recourent à l’assassinat virtuel, leur modus rappelle le marxisme dans les excès maoïstes des Gardes rouges.
    L’identité humaine se conjuguerait selon eux sous les axes « intersectionnalisés » de l’oppression et de la domination. Tout individu se réclamant de l’oppression a de facto le droit de faire taire tout individu issu de la domination. Le tout confondant allègrement des notions de base, à commencer par ne pas confondre groupes et individus. L’important au final devient de débusquer pour pouvoir conjurer des ennemis du Bien.

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