Lire: Utopies provisoires, la lucidité d’un chercheur social-démocrate

Transparence totale: le professeur Alain Noël, de l’Université de Montréal, est un ami et, en plus, il dit un peu de bien de moi dans son livre.

N’empêche, je crois que le lecteur non biaisé trouvera dans son dernier ouvrage Utopies provisoires, beaucoup de matière à réflexion.

Il emprunte l’expression « Utopies provisoires » à un ministre suédois des finances lors des années de construction de l’État providence (1932-1949),  Ernst Wigforss. Ce dernier parlait « d’utopies provisoires » pour « désigner un horizon social-démocrate qui serait à portée de main et réalisable politiquement,mais suffisamment audacieux et cohérent pour susciter l’enthousiasme, mobiliser les citoyens et guider l’action gouvernementale« .

Pas de révolution et de grand soir, non, mais pas un simple pragmatisme non plus. Les socio-démocrates européens, les démocrates américains de Roosevelt à Lyndon Johnson, les progressistes québécois et canadiens faufilés dans les partis libéraux dans les années soixante, sous la double pression d’un mouvement syndical actif et d’une classe moyenne éduquée, ont imprimé une transformation majeure du capitalisme. La bête, productrice de richesse, fut encadrée, canalisée, balisée pour que ses fruits soit mieux répartis, en Occident, dans la société toute entière. Ce n’était pas une mince affaire.

Depuis l’ère Reagan-Thatcher et les années 1980, un retournement de tendance a démantelé une partie de ces acquis, sauf dans quelques poches de résistance, dont les pays scandinaves, le Québec.

On pourrait s’attendre à un retour de balancier et à une demande pour une contre-offensive sociale-démocrate. (L’élection d’une Elisabeth Warren ou d’un Bernie Sanders aux États-Unis en serait le signal. Rien de ce qu’ils proposent n’est plus ambitieux que ce qu’a fait Franklin Roosevelt dans les années 30.)

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Noël doit cependant constater que les socio-démocrates n’ont pas la cote. Les échecs européens des partis qui portaient le projet sont patents et répétitifs. Les partis populistes de droite ont été plus habiles à récupérer le mécontentement généré par le néo-libéralisme que les partis de centre-gauche.

L’ouvrage de Noël, où il reprend, met à jour et réorganise des chroniques publiées dans Options politiques au cours des 15 dernières années, a plusieurs grands mérites.

Lecteur vorace pour tout ce qui touche les politiques sociales et la démocratie, Noël rend compte et commente les recherches les plus récentes sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités, la participation aux élections, l’État providence. Il fait un diagnostic du modèle québécois et du modèle canadien et s’intéresse aux problèmes des pays du Sud.

Son approche est tout sauf dogmatique. Lui qui fut mis à profit au cours des ans à la fois à la Commission sur le déséquilibre fiscal et dans les travaux menant aux réformes du filet social québécois, traque ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. On ressort de sa lecture mieux informé, plus lucide.

Mais pas enthousiasmé. Car lorsque Wigforss parlait de ses  « utopies provisoires » qui pouvaient « susciter l’enthousiasme, mobiliser les citoyens », il était à l’étape de l’invention du filet social. Les sociétés qui, comme le Québec, ont essentiellement réalisé le programme social-démocrate font en sorte que les changements à proposer n’ont pas le caractère majeur nécessaire à mobiliser. La société, en un sens repue de redistribution et devenue très individualiste, n’est mobilisable que sur des sujets où un changement majeur (plutôt que des réformes et des ajustements) sont nécessaires. La crise climatique en est une, en progression forte. La question de la laïcité et du maintien de son identité, mise en tension dans la mondialisation, est un élément fort. L’indépendance, en période de repli, en est un autre, qui peut resurgir.

La situation est complètement différente aux États-Unis, où la construction de l’État providence n’a pas été complétée. Malgré l’Obamacare, 44 millions d’Américains n’ont toujours pas d’assurance-maladie, 38 millions d’autres ne sont qu’à moitié couverts. Il n’existe au USA aucun droit aux congés de maternité rémunérées ou aux congés parentaux. L’inégalité est de retour au niveau des années 1920. Le système électoral est corrompu par les forces de l’argent. Donc, là, l’atteinte d’un État providence serait un changement majeur, mobilisateur, en plus de l’enjeu de la crise climatique. Cette victoire, pour nos voisins du Sud, serait vraiment une Utopie provisoire.

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1 avis sur « Lire: Utopies provisoires, la lucidité d’un chercheur social-démocrate »

  1. Il y a présentement dans CPAC la chaîne du parlement fédéral canadien en rotation d’horaire un débat sur l’avenir du capitalisme mondial et spécifiquement occidental avec comme invité Varoufákis l’ancien ministre des finances de gauche grec au moment de la répression de la résistance de la Grèce contre les dictats de l’U.E en 2015. Également, nous trouvons des figures anglophones typiques du capitalisme de sa source protestante (Max Weber) arrogants et suffisants dont un journaliste du NYT. Puis la rédactrice en chef d’une revue américaine je crois The Nation adepte de Warren et Sanders. Pour les parfaits bilingues, la traduction de la traductrice en français est sans importance. Débat qui devrait être sur internet aussi par YT.

    L’article lui a son intérêt car comme ce débat mentionné en haut, il retourne jusqu’au passé (Roosevelt) et le passé permet de comprendre le présent. La social démocratie européenne est absorbée relativement par le néolibéralisme bureaucratique de l’Europe de l’Union européenne pour le dire de façon explicite. La mobilisation politique dont parle JFL a été celle d’une sorte d’Europe fédérale et non chez la gauche européenne de la préservation de l’égalité sociale comme on le voit en France par ses crises multiples. Après le Québec qui connaît sa part de néolibéralisme par le système de santé depuis 25 ans, la France qui connaissait un très bon système de santé public le voit dépérir dorénavant dans son contexte de perte de souveraineté dans la technocratie non élue de l’U.E de Bruxelles sous l’hégémonie des élites allemandes. Où l’austérité budgétaire est la clé de ce système pendant que les coûts de l’immigration forte dans les États nationaux européens qui se -rapprochent maintenant davantage d’États américains ou provinces canadiennes mais avec une souveraineté maintenue en politique étrangère- cohabitent avec ceux d’une protection sociale par État européen sous pression d’autres coûts dont aussi le paiement de la machine bruxelloise et en sachant qu’on n’y trouve pas l’équivalent de la péréquation canadienne qui fait hurler ici l’Alberta et qui profite d’abord au Canada aux provinces maritimes.

    À part la mention de l’environnement, la laïcité est une cause de mobilisation populaire réelle parce qu’elle n’est pas celle d’élites qui rêvent de fédéralismes internationaux et mortifères et antisociaux quoi qu’en pense la gauche dite sociétale définie ainsi en France selon l’idée que seules les minorités méritent l’attention parce que les majorités nationales se traduiraient dans l’intolérance. Le Québec connaît par QS et les libéraux cette inclination à la culpabilisation des majorités d’autant discutables que les Québécois sont une minorité dans le Canada! Ce que QS essai en apparence de contourner par un souverainisme prétendu qui ne semble que des vœux pieux par l’appel à des assemblées constituantes ouvertes aux fédéralistes ou à la gauche nationale excluant le moindre signe de droite perçu.

    La laïcité est un des principes d’États démocratiques malgré la dérive multiculturelle et tout ce qu’Ottawa par ses juges fera dans les prochaines semaines ou jours contre la loi 21.

    La souveraineté des États nationaux s’est établie dans le monde occidental par toujours une souveraineté populaire vécue dans les parlements demandant dans la religion, la liberté de conscience personnelle plutôt que la religion ne prenne possession de l’État et de la société. La révolution tranquille au Québec de la laïcité en étant tardive explique aussi chez les Québécois nés surtout avant 1982 pourquoi ils ne soutiennent pas la voie insidieuse de socialiser la religion de nouveau.

    Ce que la gauche ne comprend plus y compris celle de Sanders et Warren aux É.U c’est que la laïcité affirmée dans la première république française (1789) ou la laïcité discrète et plus fonctionnelle historique qu’idéologique des Américains de Georges Washington (1776-1783-2000) à Bill Clinton c’est celle synonyme de la révolution scientifique qui porte l’humanité et la fait sortir de la précarité de la vie.
    Depuis le 11 septembre et la réplique destructrice de W.Bush nous sommes en retour dans des conflits religieux dont l’islamisme est porteur revanchard contre l’Occident pendant que le multiculturalisme canadien comme celui d’ailleurs en Europe sert naïvement la traduction des intérêts de fondamentalismes.

    S’il n’était de la laïcité mondiale en péril, le populisme n’existerait pas, la social démocratie aurait encore une vie, le PQ aurait gagné en 2018 ne connaissant pas la suite des accommodements qui ont refoulés la souveraineté du jour et l’écologie serait aussi plus populaire.

    Parce que l’identité laïque des peuples en Occident prend le dessus sur la question du climat malgré les hauts cris des -progressistes- hostiles à la montée du Bloc québécois comme envers les nations. N’empêche que la laïcité comme la chute des classes moyennes et là au niveau social précisément aux É.U comme l’exprime JFL et idem en Europe retiennent beaucoup l’attention populaire et le populaire c’est la démocratie.

    L’inévitable -politiquement incorrect-. Que la liberté d’expression garantit tant qu’elle subsiste dans cette ère troublée. Pour une gauche libérale et sociétale radicalisée qui fasse son autocritique et pour qu’on y trouve son Gorbatchev!

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