L’Obama que je n’aime pas

obama-hopeJe suis souvent assez dur, sur cet écran, envers les républicains. Ils le méritent bien. Mais cela ne doit pas escamoter l’immense déception que provoquent chez les amants de la liberté plusieurs décisions prises par le président Obama au cours de son mandat.

Le candidat Obama de 2008 dénonçait avec force les mesures liberticides prises par l’administration Bush depuis le 11 septembre 2001 contre les droits des citoyens présumés ennemis, à l’étranger et aux États-Unis.

Or, pour citer le directeur de Human Rights Watch, Kenneth Roth, « Obama a évolué — celui qui n’était pas George Bush est devenu George Bush ». Trop dur ?

Si peu. Vrai, Obama a fait en sorte que cessent les formes de torture autorisées par Bush (dont la noyade simulée, technique favorite). Cependant, il a tout fait pour empêcher que ceux qui étaient à l’origine de la torture sous l’administration précédente soient tenus responsables de leurs actes et a entravé les tentatives d’un juge espagnol qui tentait d’y arriver. Des décisions, écrit le juriste de la George Washington University Jonathan Turley, « qui contredisent le droit international et confortent d’autres pays dans leur décision de ne pas enquêter sur leurs propres crimes de guerre ».

Vrai, Obama a sincèrement tenté de fermer la prison de Guantánamo et, ayant été empêché de le faire par le Congrès, l’a presque vidée de ses locataires. (En essayant sans succès de convaincre Stephen Harper de rapatrier un détenu canadien.) Il en reste 48. Détenus indéfiniment, sans procès. Ce que l’administration ne met pas en cause. Une tare.

Contrairement à ses promesses de 2008, Obama n’a pas mis un terme à la possibilité de détenir indéfiniment un citoyen américain soupçonné de terrorisme. Pis, il a signé, en décembre dernier, une loi qui autorise la détention de citoyens américains dans des prisons militaires (par exemple, Guantánamo) pour des périodes indéfinies, si on les soupçonne d’avoir « significativement appuyé » Al-Qaida, les talibans ou des « forces associées ».

Donc, un permis pour la détention sans procès.

L’ampleur du pouvoir discrétionnaire ainsi donné au gouvernement américain dépasse l’entendement. Le candidat Obama en aurait été horrifié en 2008.

Mais il y a pire : le cas du citoyen américain Anwar al-Awlaki, soupçonné d’être un cadre supérieur d’al-Qaida. Il fut ciblé et exécuté par un drone (les petits avions téléguidés) au Yémen en septembre dernier. Que le gouvernement américain sous Obama ait décuplé l’utilisation de drones pour tuer des militants pro-talibans sur le territoire d’un pays avec lequel il n’est pas en guerre fait partie du brouillard de la guerre contre le terrorisme : brouillard militaire, politique et juridique.

Mais quid d’un citoyen américain ? Ce n’est pas un terroriste comme les autres. Ne devrait-il pas être capturé et jugé par ses pairs ? Sinon par un tribunal militaire ? La Constitution américaine ne protège-t-elle pas ses citoyens en leur accordant un due process, donc une procédure légale établie ? Obama n’a-t-il pas besoin, par exemple, de la permission d’un juge avant de zigouiller un citoyen, si crapule fût-il ?

Pas besoin, a officiellement répondu le ministre américain de la Justice, début mars. « La constitution garantit une procédure régulière, elle ne garantit pas une procédure judiciaire régulière. » Ce qu’on appelle du droit nouveau. Il suffit que le président ou le Pentagone établisse une procédure et l’exécute, dans tous les sens du terme.

Même Dick Cheney n’y avait pas pensé.

Évidemment, si George W. Bush avait proposé de telles choses, on aurait trouvé devant lui tout le Parti démocrate, y compris l’ancien professeur de droit constitutionnel Barack Obama, pour s’insurger, avec raison, contre de telles atteintes au droit fondamental d’être arrêté et jugé avant d’être emprisonné ou exécuté.

Mais voilà, très peu de démocrates osent élever la voix contre leur propre président — ceux que la question intéresse et qui pestent en privé affirment qu’un républicain ferait pire (ce qui, pour l’instant, est faux). Et les républicains sont, à quelques rares exceptions près — tel le sénateur libertarien Rand Paul, fils du candidat présidentiel –, parfaitement d’accord avec ces reculs de la liberté.

Les démocrates sont toujours sur la défensive, accusés d’être « trop mous » en matière de lutte contre le terrorisme. L’Obama de 2008 était, justement, au sein de son propre parti, une figure d’intégrité, prenant le risque de passer pour trop mou, en étant ferme pour… les libertés. Au pouvoir, les accusations de mollesse l’ont poursuivi (notamment autour de ses décisions sur la torture et la fermeture de Guantanamo).

Mais avoir mis Oussama ben Laden sur son tableau de chasse lui donnait une crédibilité rêvée, dont il aurait pu se servir pour opposer son véto à la loi évoquée plus haut sur l’emprisonnement des suspects de terrorisme, ou pour, à tout le moins, présenter l’exécution de l’Américain al-Awlaki comme un cas d’espèce, pas le précédent d’une règle générale.

Le système des partis qui pousse toute la politique américaine vers l’affaiblissement des libertés fondamentales, la décision d’Obama et de son administration de ne pas user de toute la marge de manœuvre politique à leur disposition pour les protéger, ne sont pas seuls en cause. Obama a donné une rare conférence de presse le lendemain de l’annonce de son ministre de la Justice et aucun journaliste présent — aucun — n’a posé de question, encore moins soulevé d’objection contre cette mesure inique. Bush, lui, aurait été mitraillé.

Le juriste Turley écrivait, avant même l’édulcoration du due process, le mois dernier, qu’avec « le recul, l’élection de Barack Obama pourra être vue comme l’événement le plus dévastateur dans l’histoire de nos libertés civiles ».

Pour l’homme de la rue, évidemment non. Mais si l’homme de la rue est, à tort ou à raison, soupçonné d’accointance avec des terroristes, malheureusement oui.

*   *   *

Voyez ce que disait le candidat Obama en 2008, à 4’20″.