Madame: Cachez cette intolérance, que nous ne saurions voir!

csp-150x150On l’aurait manquée n’eut été de l’indispensable site Rue Frontenac, puis de la chronique de Michel David de ce samedi dans Le Devoir. Quoi ? La réplique de la ministre Christine Saint-Pierre, généralement mieux inspirée, au critique péquiste Pierre Curzi qui tentait de savoir ce que le gouvernement ferait pour protéger la loi 101 de la dernière décision de la Cour suprême.

Curzi avait posé sa question à la ministre de la justice, Kathleen Weil, soulignant son silence sur la question. Mais en l’absence de cette dernière, Mme St-Pierre a du répondre. Embêtée par le fait que le gouvernement (lire: le cabinet du PM) n’a pas encore fait son lit en la matière, la pauvre ministre n’avait rien à répondre. Or le vide, en politique, créée toujours les conditions gagnantes de la gaffe. « Je n’ose pas croire ce que le député de Borduas (Curzi) sous-entend, lui-même un fils d’immigrant », a-t-elle dit. Euh… Rapport ? St-Pierre se défendit ensuite en affirmant: « Qu’il [Curzi] aille relire le préambule et la question. Tout le monde a compris qu’il attaquait les origines de ma collègue, la ministre de la Justice ». J’invite les internautes à lire l’échange complet ici, et il ne trouvera rien de tel.  La réponse de Mme St-Pierre mérite d’être déconstruite, tellement elle cumule en quelques mots plusieurs problèmes:

1. La présomption d’intolérance. Puisque Curzi soulignait le silence de la ministre Weil, Saint-Pierre a présumé qu’il attaquait l’origine anglophone de la ministre, et en fait, a-t-on compris un peu plus tard tant la chose n’était pas évidente, son origine juive. Une paranoïa qui serait jugée exagérée, même par les membres fondateurs du B’nai Brith.

2. Le politically correct. Curzi n’a en rien relevé, à cette occasion, que Weil était anglophone, et surtout directrice des affaires juridiques d’Alliance Québec, le lobby anglophone, de 1984 à 1989. Il aurait été légitime de demander si cette appartenance linguistique et ce parcours professionnel prédisposait vraiment Weil à une défense pleine et entière du français. Mais la ministre de la culture laisse entendre que toute question à cet égard est Verboten.

3. L’intolérance elle-même. En quoi un « fils d’immigrant » aurait moins de droit à poser des questions qu’un autre, y compris sur la langue?

En ce cas, le leader du gouvernement, Jacques Dupuis, conscient de la bourde de sa collègue, est intervenu le lendemain, avec cette phrase qui a du demander au moins 10 minutes de travail à trois conseillers pour passer entre les gouttes de cette légère averse politique: « Ce que la ministre de la Culture a affirmé , c’est ce que le gouvernement affirme tous les jours : de quelque origine soit-on au Québec, le fait français demeure une valeur fondamentale du Québec. » C’est ce qu’on dit quand on ne peut rien dire.

Songeons maintenant à la charge qui aurait été  contenue dans la phrase de M Dupuis si un député péquiste avait utilisé les propos de Mme St-Pierre à l’égard d’un député libéral, fils d’immigrant. La tornade !  Je refais ce constat, presque banal, des deux poids deux mesures utilisés en matière d’intolérance au Québec. Les souverainistes (qui comprennent quelques intolérants, je puis en témoigner) sont systématiquement victimes de présomption d’intolérance. Les fédéralistes, qui en comptent aussi beaucoup, sont systématiquement présumés blancs comme neige à cet égard.

Permettez-moi de creuser dans mes archives pour illustrer mon propos. J’écrivais ce qui suit dans le chapitre Compagnons de l’erreur (en ligne ici) de mon livre Sortie de secours, en 2000:

En mai 1996, alors que des questions sont posées en chambre sur l’étrange accélération du processus d’acquisition de la citoyenneté pendant les mois précédant le référendum, le ministre libéral fédéral Doug Young affirme avec un aplomb de débardeur qu’il n’est pas « normal » que des néo-québécois, comme le député bloquiste d’origine chilienne Oswaldo Nunez, prônent la souveraineté.

« Je vais vous dire ce que je pense, dit Young : s’il (Nunez) n’aime pas le pays, qu’il s’en trouve un autre. Absolument.»

Appelé à rabrouer son ministre, Jean Chrétien a eu la décence d’indiquer que M. Nunez avait « le droit d’épouser n’importe quelle cause », mais a ensuité abondé dans le sens de son ministre qui s’indigne que le vote, disons, « ethnique », ne soit pas totalement favorable au Canada. « On trouve, a dit le premier ministre et auteur de la Charte des droits, que ce ne sont pas des gens qui devraient normalement agir comme cela (ndlr : en appuyant la souveraineté) parce qu’ils ont obtenu la liberté qu’ils avaient perdue dans leur pays en devenant citoyens de tout le Canada ». CQFD. (On peut voir le reportage de Radio-Can à ce sujet ici– merci à l’internaute Alexandra de l’avoir déniché pour nous.)

Sept mois plus tôt, lorsque Jacques Parizeau avait attribué à « des votes ethniques » la défaite du Oui, il avait dû, le lendemain, expliquer que les « mots étaient trop forts », remettre sa démission et subir les remontrances de la quasi-totalité de ses alliés souverainistes. Doug Young, mettant en cause les droits démocratiques des nouveaux citoyens québécois, garde son poste et, loin d’être contredit par son patron, est conforté dans son opinion : le vote ethnique doit être pro-canadien, sinon, ce n’est pas normal.

Un dernier mot. Ce genre de controverse se déroule dans un Québec qui est, en fait, et dans toutes ses familles politiques, un modèle d’intégration. Un Québec où un fils d’immigrant, Pierre Curzi, est tout naturellement chargé du délicat dossier identitaire par le principal parti d’opposition, alors qu’une fille d’immigrant (Kathleen Weil, vous ne le saviez pas? Voir le texte de Stephane Baillargeon dans Le Devoir), est portée à l’important ministère de la justice. Deux preuves tangibles d’ouverture des Québécois. Sur le fond, maintenant, on aimerait seulement entendre Mme Weil répondre aux questions. On pourrait alors juger sur pièces de la qualité de ses réponses et de sa compétence. Point final.

(Photo: PC)