Mes cinq questions à Mme CSN

ae4886e7f896f4825e413d1af8c4e4fc2Pendant que Pierre Karl Péladeau réfléchit aux cinq questions que je lui ai posées, je récidive en tournant mes points d’interrogation vers la présidente de la CSN, Mme Claudette Carbonneau.

(Transparence totale: Mme Carbonneau m’a quelquefois invité à m’adresser à des instances de la CSN, où j’ai pu en toute liberté exprimer les défis auxquels, à mon avis, le syndicalisme est convié. C’est vrai aussi pour la FTQ.)

Comme pour PKP, je vais aborder le conflit au Journal de Montréal, mais je vais déborder sur des questions plus large d’information et de relations syndicales/patronales.

Chère Claudette,

Permettez-moi de vous appeler par votre prénom car c’est notre pratique dans la vie civile et vous faites de même avec moi. Je suis, vous le savez, un allié critique du monde syndical (comme, ajouterais-je du monde entrepreneurial). Ma liberté de ton dans cette lettre ne vous surprendra donc pas.

J’ai lu avec attention les lettres que vous m’avez fait parvenir et je vous en remercie. J’aimerais maintenant vous poser quelques questions.

Question #1 –L’appui de la CSN aux grévistes

S’attaquer à PKP, au 21e siècle au Québec, c’est affronter l’entreprise et l’équipe patronale probablement la plus redoutable. En janvier 2009, moment du lock-out, le conflit, tout juste terminé, au Journal de Québec et celui, très empoisonné, de Vidéotron auparavant offraient la bande annonce de ce qui se tramait pour Montréal.

Dès le départ, les travailleurs du JdeM se savaient en position de faiblesse et n’auraient, en aucun cas, voté pour déclencher une grève. (Le prolongement à l’identique de la convention collective précédente leur allait tout à fait.) Vrai, leur fond de grève était bien garni. Mais Quebecor, aussi, a les reins solides.

J’ai donc été un peu surpris du retard pris par la CSN à « mettre toute la gomme » contre un adversaire aussi puissant. Le communiqué annonçant votre « vaste opération de boycott » du JdeM date du… 19 octobre 2010! Plus de 22 mois après le début du conflit !

Ce n’est pas faute des journalistes en grève d’avoir réclamé, bien avant, cette action. Pourquoi un tel délai ? N’est-il pas évident qu’après 22 mois, les annonceurs et les lecteurs se sont habitués à lire le journal malgré le conflit ?

N’aurait-il pas été normal de lancer cette campagne — dont le succès est, dans le meilleur scénario, incertain — dès le lock-out ? Puis de cibler dans un second temps Quebecor « là où ça fait mal », c’est-à-dire, cette année, dans sa campagne d’abonnement au sans-fil ?

Question #2 –Le purgatoire

Est-il vrai que les journalistes en grève devaient d’abord se « faire pardonner » leurs écrits passés, pas nécessairement pro-syndicaux, ou plus simplement faire oublier leur participation à un quotidien qui fut parfois très dur pour le mouvement syndical ?

Y avait-il donc, face à ces syndiqués en particulier, déficit de so-so-solidarité?

Question #3 – Le nombre d’artisans de l’information

Je vous pose ici la version, en miroir, de la question posée à M. Péladeau. Vous avez rappelé sur ce bloque que PKP s’était engagé, au début de 2009, à maintenir le nombre d’artisans de l’information au Journal de Montréal. M. Péladeau écrivait n’avoir « aucun intérêt à réduire la qualité de l’information de sa publication dans un environnement toujours plus compétitif et où le contenu est roi » et vouloir en fait « augmenter le nombre de journalistes, d’infographistes et de professionnels de l’information au Journal. »

Les deux ans écoulés depuis cet engagement ont modifié la donne. La montée en puissance de l’agence maison de Quebecor, QMI, lui a permis de produire un journal, non sans journalistes, mais en utilisant les journalistes de ses autres médias.

Vous n’êtes pas sans savoir que Radio-Canada a également intégré ses journalistes radio, télé, web, nouvelles et affaires publiques autour de pupitres thématiques conjoints avec pour résultat que la société d’État produit désormais davantage d’information qu’avant. Comme quoi le décloisonnement des équipes de production de l’information peut être fécond. Les journalistes qui participent à cette opération sont syndiqués CSN.

Dans les lettres qu’il a publiées sur ce blogue, PKP se plaint que vous vous entêtiez à négocier comme si la situation n’avait pas changé. Je trouve intéressant que la convergence que je viens de décrire à Radio-Canada s’est produite, pour l’essentiel, au cours des deux dernières années.

D’où ma question: Plutôt que de vouloir reconstruire une salle des nouvelles du Journal de Montréal maintenant chose du passé, pourquoi ne pas exiger plutôt que Quebecor réintègre (ou embauche) autant de journalistes qu’il en avait au Journal de Montréal à la veille du lock-out, quitte à répartir ces effectifs à QMI directement où chez d’autres producteurs d’information de l’empire ?

Question #4 – Un problème de crédibilité

Vous me trouvez à vos côtés dans votre appui au projet de loi du député péquiste Guy Leclair visant à moderniser les disposition anti-briseurs de grève du Code du travail pour qu’elles s’appliquent aux « scabs virtuels ». Il est clair, dans mon esprit, que la montée en puissance de l’agence QMI pendant le lock-out fut la version moderne, internet, de l’embauche de briseurs de grève.

Vous avez raison de dénoncer la volonté rétrograde du Conseil du patronat de rouvrir le Code du travail, non pour le moderniser, mais pour y extraire toutes les dispositions anti-briseurs de grève et tenter d’y démanteler plusieurs acquis du monde syndical québécois qui contribuent pourtant à l’existence, au Québec depuis maintenant 30 ans, d’un climat de travail enviable.

Cependant, permettez-moi de vous suggérer que d’autres éléments de modernisation permettraient de colmater de réelles brèches dans la crédibilité syndicale au Québec. Elles ne sont pas le fait de votre seule centrale — loin s’en faut — mais votre ouverture d’esprit sur ces points démontrerait clairement votre caractère de pionnière.

L’interdiction faite à un employeur de communiquer directement avec ses employés pendant un conflit apparaît, à l’heure de la communication instantanée et de wikileaks, proprement ubuesque. Le décalage horaire avec la société de l’information est d’autant plus choquante, il me semble, lorsqu’il s’agit d’un conflit avec des… travailleurs de l’information.

Ne serait-il pas temps de modifier le Code du travail au moins sur un point: Que la partie patronale, lorsqu’elle présente une offre significative que la partie syndicale souhaite soumettre à ses membres, puisse se prévaloir de la possibilité:

1) de remettre à la partie syndicale, pour distribution aux salariés, sa propre présentation des offres;
2) de se présenter à l’assemblée syndicale pour expliquer ses offres, répondre aux questions, puis se retirer ?

Je dis « se prévaloir », car cela créerait une dynamique où le refus de la partie patronale de venir présenter ses offres serait une indication, peut-être, de leur caractère peu acceptable (ou de l’absence de civilité des uns et des autres). A contrario, ce dispositif n’inciterait-il pas les patrons à bonifier leurs offres, s’ils savaient qu’ils doivent aller les défendre devant les syndiqués ?

Par ailleurs, une des raisons pour lesquelles le mouvement syndical souffre d’un déficit de crédibilité est la perception que la démocratie n’y est pas toujours une vertu cardinale. Le Code du travail oblige aujourd’hui des votes secrets pour la tenue de votes de grève et de votes sur les dernières offres patronales (le patron peut même exiger un vote via la Commission des relations du travail).

Cependant, un refus syndical de tenir ces votes secrets ne prête flanc à aucune sanction sérieuse.

Pour assurer un regain de confiance dans la démocratie syndicale, pourquoi ne pas introduire dans le Code du travail une disposition prévoyant qu’un agent de la Commission des relations de travail (CRT) sera présent lors de chacun de ces votes, de façon à pouvoir juger de leur bonne tenue ? S’il constatait une infraction (que sa seule présence rendrait rarissime), il en référerait à la Commission qui, après avoir entendu les parties, pourrait ordonner la tenue d’un nouveau vote, organisé celui-là par la CRT.

À l’heure où les actionnaires militants participent aux assemblées d’actionnaires des grandes entreprises, à l’heure où les observateurs pullulent dans les processus démocratiques aux quatre coins du monde, la présence, discrète, d’un représentant de la CRT lors de ces votes importants ne serait-elle pas l’expression de la maturité démocratique du mouvement syndical ? De sa confiance en soi ? De son acceptation d’une transparence qu’elle réclame chez les autres ? D’une saine absence d’inhibition face aux contre-pouvoirs ?

Question #5 – L’avenir de RueFrontenac.com

Chère Claudette, je vous sais préoccupée par le problème de la concentration de la presse au Québec. Or il se trouve que le trop long conflit du Journal de Montréal a produit un nouveau média: RueFrontenac.com. Près de 300 000 visiteurs uniques par semaine vont y trouver de l’information (c’est beaucoup plus que sur mon blogue).

Ses artisans ont élaboré un projet qui, croient-ils, tiendrait la route après le conflit, sous forme, peut-être, de coopérative. J’ai demandé à Pierre Karl Péladeau s’il était disposé à mettre l’épaule à la roue pour assurer la pérennité de RueFrontenac.  Je me tourne vers vous pour vous poser la même question.

Je ne peux croire les mauvaises langues qui me rapportent que la couverture de RueFrontenac n’est pas suffisamment pro-syndicale au goût de certains de vos collègues. Vous admettrez au contraire avec moi que la liberté retrouvée de ses journalistes leur confère, certes, une sensibilité envers les autres combats de grévistes et, a fortiori, de lock-outés, mais ne doit induire aucune disparition de leur esprit critique envers toutes les institutions québécoise, y compris celle que vous dirigez.

Puis-je vous faire une suggestion ? Pouvez-vous vous engager à assurer, dans la mesure de vos moyens, un soutien significatif au futur RueFrontenac, par exemple en payant pour que sa version papier comporte chaque mois votre souvent très informatif magazine Perspectives CSN et en invitant les autres centrales syndicales à faire de même, peut-être, avec leurs publications ou autrement ?

RueFrontenac ne sera peut-être pas, demain, ce qu’était Quebec Presse dans les années 1970, un hebdo progressiste et indépendantiste.  Mais ce sera une voix de plus, indépendante du capital et des agendas corporatifs, sur la place de l’information québécoise.

Finalement, chère Claudette, permettez-moi d’exprimer à votre endroit le même voeux que celui destiné à M. Péladeau:

Vous engagez-vous à faire un ultime effort de négociation pour que le conflit au Journal de Montréal soit terminé avant le réveillon de Noël ?

Bien cordialement,

Votre correspondant,

Jean-François