Message aux intégristes : c’est « ben d’valeur » !

7a0992384664623f8511fea2cd22e69d-300x199Dans son avis rendu ce mardi sur les questions de voile et de niqab, la Commission des droits de la personne du Québec a fait une distinction essentielle : la question du port de signes religieux dans la fonction publique ne relève pas de l’univers du droit — et certainement pas du droit canadien en vigueur –  mais de celui des valeurs.

Et il faut savoir gré à Christian Rioux, du Devoir qui, au moment de son passage à Montréal la semaine dernière, a mis un de ses doigts sur un des bobos.  Tout le débat québécois actuel sur le rapport au religieux est un débat de juristes, a-t-il dit, alors qu’il doit être un débat de société.  La décision que nous devons prendre en est une de valeurs. Le droit suivra. (Transparence totale : je n’ai rien contre les juristes, j’ai une licence en droit. J’en connais donc les limites.) Après avoir expliqué, hier, pourquoi j’ai signé le Manifeste pour un Québec laïc et pluraliste, je voudrais étendre la réflexion, aujourd’hui, de façon peut-être un peu impressionniste,  sur cette question des valeurs.

Leçon de leadership: le précédent de la loi 101

Ces derniers jours j’ai rencontré Guy Rocher, un des initiateurs du Manifeste et un des concepteurs, en 1977, de la loi 101.  Je lui ai demandé dans quelle mesure lui et ses collègues s’étaient sentis contraints, ou empêchés, d’agir comme ils le souhaitaient par crainte de la réaction des tribunaux — argument omniprésent lorsqu’on discute aujourd’hui d’aménager autrement nos dispositions identitaires ou de rapport au religieux.

La Charte québécoise des droits préexistait à la loi 101. Le gouvernement péquiste a accepté d’amender son projet initial pour que  ses dispositions soient soumises à la Charte de droits*. Cependant, selon Rocher, en aucun cas les concepteurs de la Charte de la langue française n’ont modifié leur projet en fonction de la possibilité que telle ou telle clause soit jugée, par les tribunaux fédéraux, contraires à la Charte québécoise des droits.

Et René Lévesque, qu’on dit aujourd’hui si frileux face au projet linguistique de Camille Laurin ? En aucun cas, répond Rocher, Lévesque n’a-t-il invoqué d’arguments juridiques. Il était peiné qu’une société comme le Québec soit forcée par les circonstances d’agir en matière linguistique. Il estimait qu’une fois le Québec devenu souverain, donc à ses yeux un «pays normal», cette nécessité s’effacerait d’elle-même.

Pour Rocher, Laurin et Lévesque, il importait d’écrire dans le projet ce qui était désirable pour le Québec, puis de mener les batailles, politiques et juridiques, qui s’ensuivraient.

Voilà précisément l’héritage de leadership de René Lévesque dont il faut s’inspirer aujourd’hui, face aux défis dont notre génération de citoyens et de leaders ont la charge.

Tout est négociable, tout est respectable

Enfermés dans nos débats de juristes dans lesquels Pierre Trudeau nous a enfermés (pour 1 000 ans, pensait-il), on ne fait que mesurer le caractère raisonnable de tel ou tel accommodement, à l’aune de l’inconfort subi par le citoyen qui opte pour une pratique religieuse rigoriste. Cela donne plusieurs niveaux:

1. Un citoyen athée n’est pas suffisamment incommodé par le hidjab porté par la fonctionnaire pour demander à être servi par un autre employé.

2. Une citoyenne en burqa n’est pas trop incommodée par une prise de photo rapide pour demander à être photographiée par un homme (mais elle peut apporter sa propre photo, mais il faut ensuite s’assurer que c’est bien elle sur la photo).

3. Un citoyen à la religion misogyne qui refuse de subir un examen de conduite avec une femme est suffisamment incommodé pour demander un employé masculin car son inconfort s’étendrait sur une période plus longue….

Oui, on est parti pour 1 000 ans comme ça.

Et jamais n’a-t-on posé une autre question, par un tout autre bout de la lorgnette : dans son rapport à l’orthodoxie religieuse, la société québécoise souhaite-t-elle transmettre un message global ?

Pour l’instant, elle en transmet un, très clair: messieurs et mesdames les intégristes, chez nous, tout est négociable.

Ce message est renforcé par le cours Éthique et culture religieuse selon lequel il faut respecter le choix  religieux de l’autre, quel qu’il soit.

Et c’est là où le niveau d’inconfort de la moyenne des Québécois devient, sur la durée, intenable. Car pour des démocrates, modernes, sortis tout juste d’un mouvement de sécularisation sociale et d’émergence de l’égalité des sexes comme vertus cardinales, il y a disjonction majeure entre ces valeurs, construites et vécues depuis un demi-siècle, et l’injonction de tout respecter et de tout négocier.

Au risque de choquer, je transpose: on vient de passer 25 ans à apprendre à nos jeunes à ne pas polluer, puis on leur dirait de respecter le pollueur. Choquant ? Remplacez par égalité des  sexes et par misogynie religieuse

Un autre signal aux  intégristes

Il y a une différence  entre la tolérance et le respect. La liberté religieuse comprend la liberté d’être intégriste. La liberté de conscience intégriste doit être tolérée — certainement dans le temple, l’église, la mosquée.  Mais une société peut se donner le droit d’envoyer aux intégrismes de toutes sortes un signal clair : l’intégrisme est un comportement contraire à nos valeurs. Puisque nous sommes une société libérale et tolérante, nous tolérons la décision de certains de nos citoyens de vivre en marge de ces valeurs. Mais ils choisissent ainsi un comportement marginal que nos règles communes n’ont pas pour but d’inclure et de favoriser, mais plutôt de tolérer et, dans le  respect des droits, de défavoriser.

Défavoriser comment ? Notamment en refusant un financement public à des organismes qui ont pour but de reproduire l’intégrisme.

Et on en vient rapidement aux questions scolaires qui, de plus, posent le problème des droits des enfants. Je le garde pour un autre jour.

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* Cette phrase a été ajoutée au billet suite aux commentaires de l’alertinternaute Michel.