Monsieur le président…

Cette lettre signée conjointement par Louise Beaudoin et moi-même, fut publiée dans La Presse et dans Le Devoir le 17 octobre 2008

Monsieur le Président,

Le 400e anniversaire de la fondation de Québec est une année à plusieurs égards symbolique. Votre présence enverra un signal important quant aux orientations que la République française entend adopter pour la suite des choses.

Vous avez exprimé le désir de reformuler la politique de vos prédécesseurs envers le Canada et le Québec de manière à pouvoir intensifier vos rapports avec l’un et l’autre. Nous vous avons d’abord entendu mettre sur un pied d’égalité l’attachement de la France envers le Canada et envers le Québec. Vous avez plus récemment précisé votre pensée, en affirmant que la relation avec le Canada était amicale et celle avec le Québec, fraternelle.

Ayant eu l’honneur de participer, l’une à divers titres dont celui de ministre des Relations Internationales, l’autre à titre de conseiller diplomatique, aux équipes du Parti Québécois qui ont gouverné le Québec pendant 17 des dernières 28 années – Parti qui a une chance raisonnable de former à nouveau le gouvernement d’ici la fin de votre présent mandat – nous prenons la plume aujourd’hui pour vous exposer directement l’enjeu qui se cache derrière les formules.

Il est arrivé que des présidents français signalent que la France serait aux côtés du Québec si, un jour, une majorité de Québécois ayant choisi l’indépendance, le Canada refusait de reconnaître cette décision. S’adressant à des souverainistes ( au sens québécois du terme) ces prises de position sont bienvenues. Mais nous pratiquons suffisamment la realpolitik pour savoir qu’il appartient à chaque président de réitérer cette position ou, notamment lorsque les souverainistes ne sont pas au pouvoir à Québec, de s’abstenir d’aborder la question.

Nous souhaitons cependant attirer votre attention sur une dimension différente mais essentielle de la politique française telle que pratiquée à l’endroit du Québec depuis maintenant près d’un demi-siècle, dimension qui dépasse la simple – et déjà significative – affirmation que la France et le Québec ont des liens directs et privilégiés. De l’ouverture d’une Délégation générale du Québec à Paris avec statut de quasi-ambassade en 1962 jusqu’à l’organisation d’une visite conjointe au Mexique entre l’actuel Premier ministre Jean Charest et son homologue Jean-Pierre Raffarin en 2004, on compte par douzaines les initiatives qui ont jalonné l’affirmation de la présence internationale du Québec mais qui furent réalisées contre le vœu du gouvernement canadien et de sa diplomatie. N’eut été de la décision des autorités politiques françaises, de droite comme de gauche, de demeurer des alliés fidèles du Québec au risque de froisser ponctuellement le Canada, le Québec ne serait pas membre de la Francophonie politique et il n’aurait pu davantage devenir co-auteur de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO adoptée en 2005. Les obstacles posés par le Canada vont des questions géopolitiques à la gestion de chaque détail. Ainsi, sans la fermeté de la France, le premier ministre René Lévesque n’aurait pas reçu la légion d’honneur des mains du président Valery Giscard d’Estaing, le Québec n’aurait pas été l’invité d’honneur du Salon du livre de Paris en 1999, le Premier ministre québécois aurait du n’occuper qu’un strapontin aux obsèques du président Mitterrand. Nous vous épargnons la liste complète, Monsieur le Président, elle est longue et fastidieuse. La constance de l’appui de la France sur mille détails cumulatifs a pour beaucoup rendu possible la personnalité internationale actuelle du Québec et empêché des reculs, comme lorsque le gouvernement canadien a voulu, avant le Sommet de la Francophonie de Moncton, empêcher le Québec de siéger dans des comités de la Francophonie dont les recommandations devaient être relayées ensuite dans d’autres organisations internationales. L’État fédéral canadien, dont la constitution, non ratifiée depuis un quart de siècle par le Québec, ne reconnaît pas l’existence d’une nation québécoise, estime qu’il est de son seul droit de représenter le Canada tout entier et récuse la position unanime de tous les partis politiques québécois à l’effet inverse.

Cependant, grâce à la fermeté de vos prédécesseurs et notamment aux membres de votre famille politique, Monsieur le président, le Canada a graduellement accepté de vivre avec cet irritant. On ne peut d’ailleurs imaginer le nombre d’objections supplémentaires qu’aurait soulevé le gouvernement canadien s’il avait eu l’assurance que la France resterait neutre sur ces questions. S’il fallait qu’une reformulation de la position française signale une neutralité nouvelle de la France – ce que vos récentes déclarations semblent écarter – il ne fait aucun doute que la diplomatie canadienne, ayant désormais le champ libre, ne veuille faire reculer durablement le Québec.

On peut penser, Monsieur le président, que ce ne serait pas nécessairement l’attitude du gouvernement Harper. Mais le ministère des Affaires étrangères canadien démontre une grande constance dans sa volonté de, comme on le dit ici, « remettre le Québec à sa place », quel que soit le gouvernement. Nous avons par exemple vécu, lors du précédent gouvernement d’obédience libérale, une offensive multiforme pour faire reculer le Québec sur le plan international, au point de longuement bloquer le renouvellement d’une entente France-Québec sur l’entraide judiciaire qui n’avait posé aucun problème 20 ans plus tôt.

Les formules utilisées par vos prédécesseurs, « ni ingérence, ni indifférence » ou « l’accompagnement » du Québec dans ses choix, furent des euphémismes qui ont conceptualisé, annoncé et balisé les actions des gouvernements français. Cette langue fabuleusement riche que nous avons en partage recèle certainement cent autres façons d’affirmer l’engagement de la France en faveur du rayonnement québécois dans le monde. En affirmant que la relation France-Québec est fraternelle, et non seulement amicale, vous exprimez cette sensibilité. Nous serons évidemment heureux d’applaudir toute autre reformulation en ce sens qui n’affaiblirait aucunement le Québec et contribuerait, comme dans le passé, à faire entendre dans les enceintes internationales une voix que nous avons la faiblesse de juger originale, constructive et bénéfique à toute la Francophonie.

Veuillez accepter, Monsieur le Président, l’expression de nos plus distingués sentiments,

Louise Beaudoin Ancienne Ministre des Relations internationales du Québec

Jean-François Lisée Ancien Conseiller aux affaires internationales du Premier ministre du Québec