Nationalisme économique: Potash oui, Alcan Non !

alcanSur la décision du gouvernement conservateur d’interdire la vente à l’étranger du fleuron saskatchewanais Potash Corp à des intérêts australiens, il faut lire  la chronique de François Pouliot, sur le site Les Affaires.

Il compare au cas Alcan et s’interroge sur le précédent créé pour de futures prises de contrôle de fleurons canadiens et québécois. Sur le fond, Pouliot indique clairement quel est l’impact de ces prises de contrôle étrangères sur l’activité locale des entreprises vendues. Pas dans le contrôle de la richesse naturelle : l’encadrement légal et réglementaire peut faire ce travail. Mais dans les autres effets économiques. Les prises de contrôle, écrit Pouliot:

transforment presque toujours des sièges sociaux effectifs en sièges sociaux factices. Le fleuron acheté perd tout contrôle sur l’allocation des capitaux qu’il génère. Plutôt que d’investir dans le développement de projets, il faudra souvent envoyer pendant plusieurs années les liquidités que l’on produit à la compagnie mère afin qu’elle puisse rembourser sa nouvelle dette et rassurer ses banquiers. Cette société mère cherchera du même coup à faire de l’attrition dans différents services de la compagnie acquise pour augmenter sa rentabilité et rembourser plus vite cette dette. Du coup, ce sont des emplois de qualité qui disparaissent au pays.

On ne peut s’empêcher de noter que les investissements prévus d’Alcan au Québec ont connu un sévère ralentissement à la suite de son acquisition par Rio Tinto. Il y a bien entendu eu une crise économique, mais il y a aussi une solide dette chez Rio Tinto…

Pas question, évidemment, d’interdire tous les achats d’entreprises. Mais celles qui structurent une économie sont une poignée, surtout dans un pays de 32 millions (le Canada) et a fortiori de 7 millions (le Québec). La rétention de ces fleurons est donc, disons, capitale.

Dans un autre texte, pas encore en ligne, Histoire de potasse, le spécialiste en gestion et en stratégie d’entreprise Yvan Allaire note opportunément que « quelque 30 états américains ont adopté des lois donnant aux conseils d’administration la capacité de repousser toute tentative de prise de contrôle non souhaitée ».

Donc même les CA d’entreprises non-stratégiques. Il note qu’Alimentation Couche Tard a été incapable de prendre le contrôle des dépanneurs de la chaîne américaind Casey’s parce que la législation du minuscule État de l’Iowa, où réside le siège social de Casey’s, donne aux entreprises ce pouvoir de s’opposer à une prise de contrôle externe.

Allaire, qui dirige l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, recommande que le Canada et le Québec s’inspirent de ces lois pour protéger ses entreprises face aux tentatives d’acquisition, surtout hostiles. Mais il avance un autre argument intéressant:

La règle de symétrie internationale devrait guider les décisions en ce domaine des prises de contrôle de sociétés canadiennes par des intérêts étrangers. Cette règle est simple et logique : aucune entreprise ou fonds d’investissement d’un pays étranger ne peut acquérir une entreprise nationale dans un secteur donné si cette dernière ne serait pas autorisée ou capable d’acquérir une entreprise semblable dans ce pays étranger.

En d’autres mots, si nos entreprises ne peuvent acquérir les vôtres, vous ne pouvez acquérir les nôtres. Dans le cas de Potash, la société BHP-Billiton est dotée d’un conseil avec élection des membres du conseil répartie sur trois ans, ce qui est une mesure très efficace contre les prises de contrôle non souhaitées. Cet arrangement fait en sorte que si, par pure hypothèse, Potash voulait acquérir BHP-Billiton, cette opération se heurterait à une entrave de taille.

Puis, le gouvernement australien laisserait-il une société étrangère prendre le contrôle de BHP-Billiton ? Cela est douteux lorsque l’on constate que le gouvernement australien s’apprêterait à bloquer la tentative de la bourse de Singapour d’acquérir la bourse australienne malgré que les deux entités conserveraient leur autonomie et seraient réglementées par leurs agences propres.

L’essayiste français Alain Minc pose le même problème dans son excellent petit ouvrage de l’an dernier, Les dix jours qui ébranleront le monde, évoquant la possibilité que Gazprom, le géant russe, tente d’acquérir Total. L’inverse serait évidemment impossible, comme dans le cas de sociétés chinoises.

Allaire nous signale également dans cet autre article (Potash and Couche Tard :
« laissez-faire” Canada vs. “protectionist” America» en anglais pdf
) combien l’ouverture canadienne (et québécoise) à la vente de ses entreprises se heurte à l’asymétrie des lois américaines dans les États. Nous jouons à ce libre-marché des capitaux comme des scouts, les Ricains y jouent comme des Terminator.

Demain, Bell, Quebecor ?

Le gouvernement Harper ne s’est rangé à aucun de ces excellents arguments pour asseoir sa décision sur Potash Corp, mais s’est plié plutôt à la pression politique majeure et au calcul électoral. Pouliot signale que ce sursaut de nationalisme économique aurait été justifiable aussi pour Alcan. Et que ce précédent est utile pour d’autres cibles potentielles, au Québec: Bell, Quebecor, Air Canada.

J’ajouterais que le précédent ne sera applicable qu’à l’une de ces deux conditions:

1. Que la classe politique québécoise soit aussi mobilisée que la saskatchewanaise et que le prix/gain politique soit aussi élevé pour Harper que dans le cas de Potash. Or la réponse est nette:  elle ne le sera pas (mobilisée) et il ne le sera pas (aussi élevé).

2. Que le Québec soit souverain.