Obama contre Wal-Mart

Il se passe quelque chose. Au moment où l’administration Obama s’apprête à faciliter la syndicalisation des travailleurs américains, le géant Wal-Mart, connu pour son antisyndicalisme, augmente ses contributions au Parti démocrate.

Vous le savez, Wal-Mart est le premier employeur au monde, avec 1,8 million de salariés. Les autres plus gros employeurs, dont McDonald’s, sont loin derrière, avec un minime un demi-million de salariés. La société fondée par Sam Walton mène la charge antisyndicale sur toute la planète. Seulement deux peuples irréductibles ont réussi à lui imposer des organisations syndicales : un milliard de Chinois et sept millions de Québécois !

Wal-Mart est donc extrêmement inquiète des velléités de l’administration Obama de modifier la législation américaine pour la rendre plus favorable à la syndicalisation. À preuve, selon le Wall Street Journal, Wal-Mart a fait pression sur ses salariés pour les convaincre de voter républicain à la présidentielle de 2008. Mais sentant le vent tourner, l’entreprise a décidé de prendre une police d’assurance sur l’avenir. Elle a modifié son financement électoral, très prorépublicain, de façon à appuyer également plusieurs représentants et sénateurs démocrates, pour tenter d’influencer leurs votes à l’occasion des luttes législatives. En 2004, Wal-Mart avait donné 22 % de sa contribution de trois millions aux démocrates (donc 78 % aux républicains), mais a monté la proportion à 43 % pour les démocrates en 2008. Pour la campagne du congrès de 2010, les démocrates ont déjà empoché 69 % de la généreuse contribution de Wal-Mart.

L’entreprise aura besoin de tous les appuis démocrates pour barrer la route à une loi qui fera légèrement progresser le système américain vers le québécois.

On croit généralement que les Américains, individualistes, sont génétiquement réfractaires à l’organisation syndicale. Leur taux de syndicalisation a chuté, pour passer de 30 % en 1960 à 12 % actuellement, le plus faible taux en Occident (au Québec : 40 %). Il est donc surprenant de lire ce que les salariés américains disent aux sondeurs. Leur volonté d’appartenir à un syndicat a évolué avec la montée du néolibéralisme américain. En 1980, à l’arrivée de Ronald Reagan, ils étaient 30 % à affirmer désirer être syndiqués. En 1990, sous Bush père : 40 %. En 2005, sous Bush fils : 53 %. Ils sont ainsi devenus plus syndicalistes que les Québécois.

Pourquoi ne se syndicalisent-ils pas ? C’est qu’ils ont un grand désavantage : le patronat américain est d’une autre trempe que le patronat québécois. Lors des tentatives de syndicalisation, les employés sont personnellement menacés par les employeurs dans 54 % des cas. Les syndicats n’ont aucun recours contre ces intimidations. Les salariés impliqués dans la syndicalisation ont une chance sur cinq d’être mis à pied. C’est illégal, mais il n’y a pas d’amende et les patrons jugés coupables n’ont qu’à payer le salaire dû au salarié renvoyé. Les patrons trouvent que cela vaut le coup. Les syndicats n’ont pas accès aux lieux de travail, alors que le patronat peut organiser des séances obligatoires d’information antisyndicale pendant les heures de travail. Voilà pourquoi, dans 40 % des cas où un syndicat a réussi à recruter une majorité de salariés, la campagne d’intimidation patronale permet, dans un vote secret, de casser cette décision. (Et voilà pourquoi l’employeur exige ce vote même lorsque 100 % des salariés ont signé leur carte d’adhésion.) Si cela n’a pas fonctionné, il reste le refus de négocier avec le syndicat. Ainsi, 44 % des nouveaux syndicats n’arrivent jamais à signer une convention. Selon l’Economic Policy Institute de Washington, qui a récemment publié un rapport étoffé sur ces questions, les employeurs sont devenus deux fois plus enclins aujourd’hui qu’il y a 10 ans à utiliser ce genre de tactique.

Mais la majorité démocrate au Congrès et le président Obama ont décidé de modifier substantiellement les règles du jeu. L’intimidation sera illégale, les renvois illégaux se solderont par des amendes et le remboursement au triple du salaire perdu, le refus de négocier débouchera sur un arbitrage obligatoire. Bref, des règles du travail équitables, proches des règles canadiennes.

La réaction patronale ? Jugez-en. Le cofondateur de Home Depot, Bernie Marcus, annonce « la fin de la civilisation ». Il appelle les patrons de chaînes de distribution à financer la campagne contre le projet de loi et, dans un élan de fraternité patronale, affirme que ceux qui ne le font pas « devraient être fusillés ».

Aucune crainte à avoir pour son collègue Lee Scott, ex-président de Wal-Mart. Comparant la gestion du personnel à la conduite d’un véhicule, il a résumé ainsi sa position : « Nous aimons conduire la voiture et nous n’allons céder le volant à personne. »