Pétrole: Haro sur la province pauvre !

(La question du pétrole albertain étant d’actualité, je republie cette semaine une série de billets de 2010 à ce sujet.)
pauvreteLa tension entre l’Alberta et le Québec ne fait que commencer. Nous l’avons vu depuis le début de la semaine: l’augmentation de la production pétrolière et la montée du prix du baril va faire de la province riche une province hyper-riche. Nous avons vu aussi que la pression ainsi exercée par le pétrole sur le dollar canadien allait continuer à détruire des emplois manufacturiers au Québec (et en Ontario).

C’est donc inéluctable: non seulement l’enrichissement de l’Alberta va rendre le Québec relativement plus pauvre dans la fédération (notre économie ne peut croître à leur rythme, car nous n’avons pas de pétrole). Mais les effets pervers de la montée du pétrole et du dollar détruisent et détruiront nos emplois manufacturiers, ce qui poussera le Québec à devenir absolument plus pauvre.

Or, que fait-on avec les pauvres ? Deux choses: on les aide, du moins un temps. Puis, on les tient responsables de leur pauvreté et on leur coupe les vivres. C’est exactement ce qui a commencé à se produire, depuis 14 mois.

1. La péréquation

Tout le monde le sait, le Québec est la province qui reçoit le plus gros chèque de péréquation. (Tous les contribuables canadiens contribuent, par leurs impôts fédéraux, à la péréquation, mais seulement certaines provinces reçoivent ce chèque d’Ottawa). On peut arguer que le Québec reçoit ainsi en «aide sociale fiscale» ce que d’autres, notamment l’Ontario, ont reçu pendant des décennies en investissements productifs et créateurs d’emplois, y compris les quelque 40 milliards fédéraux investis dans les sables bitumineux albertains pour les rendre rentables.

Reste que les finances du Québec sont maintenant accrocs à la péréquation, à hauteur de 8,5 milliards pour l’année en cours. Les sables mouvants que constituent pour le Québec — et pour l’Ontario, maintenant membre du club des provinces recevant les chèques — la montée du pétrole et du dollar, les poussent à vouloir toujours plus de péréquation pour rester à flot, d’autant que l’enrichissement de l’Ouest rend ces sommes disponibles.

Ils devront pourtant s’en passer, car les années de vaches grasses sont déjà terminées… pour les provinces maigres. En décembre 2008, le gouvernement fédéral a unilatéralement modifié le mode de calcul de la péréquation pour en freiner fortement la croissance. Cette décision a coûté un milliard au Québec pour l’année en cours, et pour toutes les autres. C’est toute la courbe d’augmentation de l’aide sociale fiscale qui vient d’être aplatie.

Le freinage n’est pas terminé. Si le gouvernement fédéral, dirigé par un Albertain, a mis le frein à main, le nouveau ministre albertain des Finances, Ted Morton, voudrait faire marche arrière. Dans une lettre envoyée au Globe and Mail le 22 janvier 2010, Morton met en cause le fondement même du principe de la péréquation. C’est un système, croit-il, qui encourage les provinces pauvres à rester paresseuses. Comme le BS pour les individus pauvres. J’exagère ? Jugez vous-mêmes. Ce système, écrit-il,

contribue à faire en sorte que la productivité canadienne ne croisse pas au rythme des autres pays du G8. Les provinces qui reçoivent de la péréquation sont moins enclines à réduire leurs taxes car, si elles le faisaient, les bénéfices qu’elles en retireraient [en augmentation de l’activité économique] entraîneraient une réduction de leur chèque de péréquation. Or les impôts et taxes élevées font fuir les investissements et tuent les emplois. Alors le nombre de contribuables potentiels se réduit, les revenus fiscaux déclinent, et la péréquation augmente. C’est un cercle vicieux.

Évidemment, avec cet argument, il est dans l’intérêt de la province pauvre de lui couper au maximum sa péréquation. L’Alberta est donc aujourd’hui officiellement en campagne pour réduire le système même qui permettrait de compenser l’appauvrissement relatif et absolu que son propre enrichissement provoque au Québec et en Ontario.

2. Un ressentiment spécifiquement anti-Québec

J’en ai récemment parlé sur ce blogue, l’Alberta est, après le Nouveau-Brunswick, la province canadienne où on compte le plus de citoyens qui détestent (précisément, qui ont une opinion «hautement défavorable») des Québécois. Ils sont 11% dans ce cas. Au total, 30% des Albertains ont une opinion défavorable des Québécois, contre 47% qui en ont une opinion favorable (22% ne savent pas ou refusent de répondre). Ce n’est peut-être pas un hasard si c’est le ministre canadien de l’Environnement, élu en Alberta, Jim Prentice, qui qualifie de «folly» une politique québécoise sur les émissions polluantes des voitures qui est pourtant adoptée par 14 États américains, dont la Californie.

Il est intéressant pour le Québec de noter la réaction de la Wildrose Alliance, parti d’opposition en Alberta, lorsque les libéraux et néo-démocrates fédéraux ont proposé, en décembre 2008, de former une coalition gouvernementale pour remplacer le gouvernement Harper. La coalition aurait eu l’appui parlementaire du Bloc Québécois.

Le Wildrose Alliance a réclamé que, si cette coalition devait prendre le pouvoir (de manière parfaitement démocratique, il faut le souligner) l’Alberta devrait réclamer la fin du régime de péréquation, et organiser à la place un régime régional de péréquation ne profitant qu’aux provinces de l’Ouest.

3. Une spirale dangereuse

Les planètes politiques semblent alignées, au Canada, pour un prolongement de la domination albertaine du gouvernement fédéral. Il est probable que Stephen Harper restera Premier ministre du Canada pendant encore quelques années.

Mais il faut savoir aussi qu’un gouvernement libéral, même lorsqu’il n’a pas de député en Alberta, prend des gants blancs avec la province pétrolière. Jean Chrétien, à qui on doit de grands moments de franchise, déclarait ce qui suit,en janvier 2008, à l’Edmonton Journal: «Si j’avais offert au Québec ce que j’ai donné à l’Alberta en termes d’aide gouvernementale aux sables bitumineux, j’aurais remporté tous les sièges au Québec !»

Son ministre de l’Environnement, Stéphane Dion, déclarait au New York Times: «Aucun ministre de l’environnement au monde ne peut empêcher ce pétrole de sortir des sables, parce que les sommes d’argent en jeu sont trop élevées.»

Il faut s’y faire. L’avenir de l’économie canadienne sera pétrolier, le Canada étant, comme le répète Stephen Harper « une superpuissance énergétique émergente ». L’avenir de la politique canadienne sera teinté par la richesse du nouvel eldorado albertain et par sa volonté de partager le moins possible sa richesse. Il faudra nous habituer plutôt à entendre les Albertains, et leurs représentants à Ottawa, nous faire la leçon et nous expliquer que notre paresse est la cause de notre pauvreté et que, pour notre bien, il est préférable de nous laisser nous en sortir seuls.

Et ils voudraient qu’on applaudisse.

8 avis sur « Pétrole: Haro sur la province pauvre ! »

  1. le pétrole exploité de façon conventionnelle peut se tolérer , mais regarder ce qui se passe actuellement en Californie la nappe phréatique est contaminée par les liquides de fracturation . La Californie nourrit 40% des USA avec leurs fruits et légumes , si leur eaux souterraines sont contaminées par l’arsenique , le thallium et d’autres produits chimiques venant des eaux de fracturation alors leur production de fruits et de légumes deviendront impropre à la consommation . Alors que vaut l’exploitation effrénée du pétrole à coté des revenus maraichers ? Vous ne boirez pas de pétrole mais vous voudrez manger toute votre vie de bons fruits et des légumes et boire de l’eau . Pour les incrédules , 100 puits ont été creusés en Californie pour exploiter le gaz et le pétrole . La nappe phreatique autour de 11puits a été vérifiée et celle-ci s’est vu contaminée autour de 8 puits , et toute l’exploitation des gaz de schistes est stoppée et l’on vérifie les autres puits . Quelle catastrophe pour eux ! Voilà pourquoi nous devont protéger le St. -Laurent surtout que nous retirons aucun avantage environnemental et monétaire en permettant le transport pétrolier . Agissons avant qu’il ne soit trop tard

  2. Je note que vous finissez par avouer que la peréquation est indispensable au Québec…

    Ceci dit nous dépensons pour une population inférieure de 6 millions à celle de l’Ontario, 20 milliards de $ de plus en prestations sociales…

    Congés parentaux, garderies, 70.000 personnes qui ne donnent aucun soin dans le réseau de la santé, secteur public hypertrophié, etc..

    Nous ne devrions avoir aucun déficit, pétrole ou pas, personne ne nous a forcé à mettre en place cette gabegie…organisé par consensus, un terme détestable par les gouvernements PQ et PLQ…

    Le Canada va être que cela plaise ou pas à nos amis verts l’une des 3 puissances pétrolières a venir, les 2 autres quand on lit les rapports de l’IEA, l’Irak et le Khasakstan, il va falloir s’y faire…

    La baisse du baril n’est que temporaire et si Poutine voit l’économie russe s’écraser (70 % des revenus de la Russie sont la vente de matières premières, le reste des armes) rien ne peut me faire plus plaisir. Ceci va remettre en cause, temporairement les projets de Endbridge, les forages en eaux très profondes mais probablement porter un coup encore plus mortel aux plaisanteries éoliennes…au bio carburants (un désastre énergétique), etc.

    Pour mettre les choses en perspective nous vendons aux Etats-Unis (exportations) 1.2 million de biens et services a la minute, cours du dollar canadien ou pas…le dollar est ici un coupable commode qui masque les problèmes structurels (formation, investissement, syndicalisme tout puissant, taxation, recherche anémique, etc..). Comme d’habitude c’est la faute des autres…

    L’écroulement des ventes d’Hydro à l’exportation n’ont rien a voir avec le dollar canadien mais tout à voir avec le renouveau pétrolier et gazier aux USA (gaz et pétrole de schiste…).

    Evidemment si on préfère se mobiliser pour les pouponières de bébés bélugas…

    • Je crois qu’il faut être très prudent en comparant « les programmes sociaux » offerts au Québec à ceux des autres provinces car la culture est aussi très différente. Un exemple très simple: ailleurs au Canada, pratiquement toutes les femmes utilisent encore le nom de famille de leur conjoint! Les Québécois ont le droit de faire ce qu’ils veulent avec leur argent quoiqu’en disent certains Albertains.

  3. POUR EN FINIR AVEC LA PÉRÉQUATION

    On en revient souvent à cette fameuse péréquation dont on ne comprend pas un mot, ce qui permet à des mystificateurs comme Maxime Bernier de lancer volontairement des informations incomplètes et fausses sur notre économie, pour abaisser l’opinion que le Québécois pourrait porter trop haut dans son évaluation. Le texte ci-haut ne corrige absolument pas l’argument de paresse et d’incapacité mentale.

    D’après le Petit Robert, la péréquation est un rajustement des traitements, pensions, impôts… de façon à établir entre eux une certaine proportion déterminée. J’ajouterais : un dosage plus honnête de distribution entre les citoyens tenant compte des autres moyens d’assistance servant de dépannage pour les mines, les routes, le pétrole, la santé, programmes sociaux et les divers projets d’une province. En effet, certains dépannages sont plus considérables dans certaines provinces que dans d’autres, et la péréquation est simplement – théoriquement du moins parce que ce n’est pas vrai – un moyen de rétablir un semblant d’équilibre entre elles. N’oublions pas que l’argent du fédéral provient de nos propres impôts et que c’est nous, en définitive, qui nous payons de la péréquation.

    En supposant qu’Ottawa fournisse, en toute justice, une somme d’un dollar à chaque citoyen, l’Ontario recevrait quelque 13 millions de dollars, le Québec, environ 8 millions, l’Alberta, environ 4 millions, le Nouveau-Brunswick, 700 000 mille, le Nunavut, 35 mille dollars, pour ne mentionner que ces territoires (statistiques canadiennes). Bien sûr, une province très peuplée reçoit davantage qu’une province de faible densité.

    La réalité dans le total des prodigalités canadiennes, c’est que l’Ontario reçoit 19 milliards, le Québec, 19,5 milliards, l’Alberta, 4,5 milliards, le Nouveau-Brunswick, 2,6 milliards et le Nunavut, 1,5 milliard de dollars. Ce qui fait par citoyen (dernières statistiques:

    I.P.E. : 3 735$ ONT : 1 400$ NUNAVUT : 40 080$
    N.B. : 3 464$ T.N. : 1 282$ TERRIT. : 29 136$
    N.É. : 3 202$ ALB : 1 258$ YUKON : 24 310$
    MAN : 2 625$ C.C : 1 258$
    QUÉ : 2 387$ SAS : 1 258$

    On constate ainsi que les provinces atlantiques et le Manitoba dépendent grandement du gouvernement fédéral pour s’acquitter de leurs responsabilités comparativement à d’autres provinces, notamment l’Alberta. En plus des ententes spécifiques entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse, le programme de péréquation explique en bonne partie le fait que les provinces atlantiques et le Manitoba dépendent plus des transferts fédéraux que les autres provinces canadiennes.
    Les provinces qui reçoivent d’avantage pour les mines, le pétrole, les routes, la santé, reçoivent moins évidemment sous le terme péréquation, et vice versa. Les chiffres ne tiennent pas compte des soustractions comme le fait que 650 000 Québécois ont payé plus d’impôts fédéraux que les autres sur leurs dividendes, pendant plusieurs années. Aucune recherche n’a été faite à la suite de cette « erreur » sur les autres éléments des impôts, est-ce la même chose sur les pensions, les salaires québécois ? mais on peut croire que beaucoup d’investissements ont été transportés en Ontario ou ailleurs à cause de ces injustices flagrantes.

    La péréquation ne tient pas compte, qu’au Québec, le fédéral s’est emparé de quelque 14 milliards de dollars dans le fonds d’assurance-emploi (chômage) en 7 ans, pour payer ses propres frais. Il l’a fait également dans les autres provinces de façon qu’on suppose proportionnelle. C’est par un vol qu’il a obtenu le déficit zéro.

    « Savez-vous qu’Ottawa profite de 650 millions en crédits d’impôts non réclamés grâce au programme des garderies à 7$ du Québec ? Même chose en ce qui a trait aux études supérieures. Puisqu’elles coûtent moins cher au Québec (cégep gratuit et Université à prix d’aubaine), on réclame moins de déductions fiscales pour frais de scolarité comparativement aux autres provinces. » (pris sur Internet… à vérifier!)

    Comme on peut le voir, le total de la péréquation n’est pas un critère valable en soi puisqu’elle ne tient pas compte des autres subventions reçues et dépend en partie de la population de chaque province. Pour faire des comparaisons honnêtes, on doit se rabattre sur les proportions entre contribuables. Ce qui est donné à chaque province en péréquation représente combien par habitant; ce n’est pas le total qui est important! C’est pour cela que Maxime Bernier et beaucoup d’autres fédéralistes insistent tellement sur le total de la péréquation sans faire les distinctions qui s’imposent.

    J’aimerais qu’à partir d’aujourd’hui, ceux qui veulent parler de péréquation le fasse honnêtement, en confrontant toutes les données de l’économie et en se rappelant que le système permet d’équilibrer deux colonnes de chiffres :

    Revenus en services divers, d’une part, et péréquation, d’autre part.
    Si donne 1 000 000 000$ pour mines — si seulement 500 000$ en mines
    Donne 500 000$ en péréq. — doit donner 1 000 000 000$ en péréq.

    La péréquation devrait tenir compte des subventions données préférablement à certaine province, et si Ottawa hésite à fournir une subvention à une province, elle doit compenser par une péréquation supérieure à la fin de la période.

    La péréquation indique que le Canada n’a tout simplement pas donné à une province les montants des subventions qu’il aurait dû lui donner.

  4. Commentaire intéressant… sauf que le prix du pétrole est en baisse, pas en hausse. Et avec la croissance de la production pétrolière américaine, et le ralentissement de la croissance économique des BRICs, plusieurs s’attendent à des prix bas pour un bon moment. D’ailleurs, le G&M publiait récemment un article sur la fragilité de l’économie albertaine, trop dépendante du pétrole…
    Autre point : Les aides du gouv. fédéral aux sables bitumeux sont déplorables d’un point de vue éthique. Mais d’un point de vue financier, c’est rentable… la péréquation sert à réduire les écarts de richesses, et pour cela c’est un ingrédient nécessaire à toute fédération. Mais ce n’est pas très rentable… comparé aux milliards d’impots et redevances que le gouv fédéral va aller chercher sur le dos des pétrolières.

  5. Une raison forte de sortir du Canada pour s’en occuper des vraies affaires du Québec. Ainsi on pourrait explorer nos propres resources au profit du Québec. Nous aurions le contrôle sur l’autoroute du pétrole à travers du Québec ainsi que du fleuve. Ils devront payer des redevances et suivre nos règlements et pourrions être poursuivit s’il y a déversement vu que ça deviendra une affaire internationale.

    • et si on décidait de passer par les USA pour rejoindre Saint John NB. au lieu de passer par le Québec?

    • Utopie!!! Les dernières élections provinciales en sont la preuve…Les Québécois ont une raison de chialer:c’est dans leur nature!!!Éternels victimes…Le syndrome de Stockholm à la Magnotta!!!

      Pierre

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