PKP répond aux cinq questions: c’est quatre fois Non

photo : Hugo-SŽbastien AUBERTOn ne pourra pas dire de Pierre Karl Péladeau qu’il manque de répondant. Je lui posais dimanche cinq questions de fond sur la gouvernance de ses médias. Il nous répond en 48 heures.

Sa réponse éclaire plus que jamais la posture de celui qui dirige notamment deux grands quotidiens et le premier réseau d’information télé au Québec. Il persiste et signe.

Je rappelle brièvement les questions, je vous laisse lire la réponse de PKP, et je commente ensuite:

Mes questions:

#1. En 2009, PKP s’engage à ne pas réduire le nombre d’artisans de l’information pendant le conflit, s’engage-t-il à en compter autant en fin de conflit, quitte à les répartir ailleurs dans l’empire?

#2. Au moment du lock-out, les pages opinions du Journal de Montréal étaient équilibrées, de la droite à la gauche. Aujourd’hui, la droite règne. Va-t-il rééquilibrer en fin de conflit?

#3. Accepte-t-il de prendre de la distance face à la couverture médiatique et de garantir l’indépendance des salles de nouvelles ?

#4. Pourrait-il nommer un ombudsman pour recevoir les plaintes des lecteurs, en attendant de réintégrer le Conseil de presse, comme il s’y était engagé en 2001?

#5. Envisage-t-il de donner un coup de pouce à RueFrontenac, comme son père l’a fait pour Le Devoir, au nom de la diversité de l’information ?

Cher Jean-François

Mercredi dernier, le médiateur a demandé aux parties de ne pas révéler la teneur des discussions en cours, ce qui est tout à fait normal vu que le Code du travail interdit à l’employeur de négocier ailleurs qu’à la table. Toutefois, le Code ne nous interdit nullement de rectifier des faits ou éclairer des zones d’ombre, ce à quoi je me suis appliqué jusqu’ici.

Cela étant, je dois tout de même vous prévenir que certains aspects de vos questions touchent bel et bien les discussions en cours. Je ne collerai donc pas précisément au canevas de vos cinq questions mais tenterai tout de même de vous éclairer de mon mieux, dans le respect des restrictions qu’impose, à juste titre, le Code du travail.

D’entrée de jeu, aussi évidente que la chose puisse paraître, il m’apparaît essentiel de vous indiquer que toute entreprise de presse est assujettie à des impératifs de rentabilité (à moins de recevoir une subvention fédérale d’un milliard de dollars par année – tout en refusant de rendre des comptes sur l’usage qui en est fait – ou à moins de servir de courroie de transmission déficitaire à un vaste holding financier). La cogestion sans but lucratif dans les médias est une utopie dont la mise en pratique n’a guère accouché que de feux de paille bien vite oubliés et ce, peu importent les beaux grands idéaux qui avaient présidé à leur fondation.

Tout comme vous, je souhaite assurer au Québec une presse libre et forte. Or, celle-ci ne peut espérer prospérer que dans un contexte où les organisations prennent les mesures qui s’imposent pour faire partager les coûts de la cueillette de l’information et assurer la diffusion sur un plus grand nombre de canaux de distribution.

Vous avez d’ailleurs bien illustré cette problématique en décrivant les récentes modifications opérationnelles survenues au service de l’information de la SRC.  C’est la seule façon de contrer l’impact sur nos revenus de l’évolution incontournable des technologies et de la migration des lecteurs vers de nouvelles plateformes.

Chez Quebecor Media, la presse écrite constitue l’un de nos plus importants fonds de commerce, avec celui des télécommunications. Nous opérons une entreprise qui se doit d’assurer la pérennité de ses profits. Les entreprises de presse doivent prévoir à long terme, sous peine de sombrer corps et biens, comme de nombreuses publications du Québec (Montréal Matin, Dimanche Matin, The Montreal Star), mais aussi d’ailleurs en occident.

Mon père lui-même avait rapidement mis fin à l’aventure du Montreal Daily News quand la perspective de profits lui était apparue incertaine.

C’est pourquoi, depuis de nombreuses années, bien conscients du caractère débridé de l’évolution technologique, nous avons lancé de très nombreuses initiatives de modernisation partout au sein des 250 publications de Sun Media, notre filiale d’édition de journaux dont Le Journal de Montréal est partie intégrante.

Il faut comprendre que le Journal n’est pas une île et qu’il fait partie d’un vaste réseau, d’un écosystème où la production de l’information et l’effectif journalistique ne peuvent plus être considérés en silo ou en fonction de processus désormais obsolètes.

Vous avez raison de dire qu’avec le pouvoir vient la responsabilité : nous sommes responsables d’assurer la pérennité de milliers d’emplois, dont les ressources journalistiques constituent une proportion certes importante, mais elles sont loin d’être la majorité. C’est toute une machine qui permet à l’information d’exister. La force d’un tel réseau, c’est sa capacité de consolidation et le potentiel d’émulation entre ses différentes composantes. Ces dernières ont d’ailleurs fait l’objet d’une consolidation réussie au cours des trois dernières années.

Les salles de rédaction doivent aussi s’adapter à ces nouvelles façons de faire. À juste titre, vous soulignez l’embauche d’Andrew McIntosh et la mise sur pied d’une structure d’enquêtes nationales. C’est là en effet un bel exemple de ce que la souplesse opérationnelle permet comme innovation dans la configuration de nos ressources. Vous auriez pu mentionner aussi la création cette année même de nombreuses nouvelles publications et l’embauche des ressources qui s’y rattachent.

Les journalistes doivent désormais s’adapter en continu dans la mesure où rien n’est jamais figé. La réalité de 2010 n’est déjà plus celle de 2008, et encore bien moins celle de février 2001… Il leur faut vivre et travailler au diapason des nouvelles technologies et de nouveaux publics, et relever chaque jour des défis inédits.

Dans ce nouvel environnement hautement volatil, où la concurrence n’est plus seulement de l’autre côté de la rue mais aussi de l’autre côté de la planète, il est essentiel d’optimiser l’utilisation de nos ressources. Nous devons nous démarquer en offrant tout autant de l’information largement accessible que des exclusivités et des enquêtes.

Devant une uniformisation de plus en plus marquée des médias d’information, qui adoptent trop souvent un point de vue très «plateauisé » (comme nous le révélait Le Trente récemment), nous avons plutôt choisi, et depuis de nombreuses années, d’épouser le contour des préoccupations d’une plus grande partie de la population, qui désire qu’on réponde à ses attentes et non pas qu’on lui enseigne le credo d’un microcosme bien-pensant dans lequel elle se reconnaît mal.

Ce positionnement est logique : nous occupons simplement un créneau pour lequel il existe un marché bien réel, comme le prouve l’ampleur de notre lectorat. Il peut être séduisant pour certains dont les affinités penchent ailleurs d’y voir le porte-voix d’une pensée néoconservatrice, néolibérale ou néo-je-ne-sais-quoi, mais dans les faits, ce n’est là qu’une formule choc un peu creuse que ne saurait sérieusement justifier la présence de quelques chroniqueurs au verbe plus musclé.

Le rédacteur en chef Dany Doucet a déjà, et à plusieurs reprises, fort bien expliqué la position du Journal à ce sujet. Il est pour le moins étrange que vous voyiez des règlements de compte dans des enquêtes qui informent le citoyen sur l’utilisation des fonds publics ou sur les agissements de certains grands acteurs économiques. Si nous ne rapportions pas ces nouvelles, qui le ferait? Les graves accusations que vous portez  sur la foi de ouï-dire ou de préjugés tenaces mais sans fondement ne rendent certainement pas justice à notre travail et au professionnalisme de nos journalistes.

Quant à l’indépendance des journalistes, c’est un concept dont il faut bien comprendre l’application au sein d’une salle de rédaction. Un journaliste ne se loue pas un bureau dans une salle de rédaction comme un coiffeur loue une chaise dans un salon réputé où il reçoit librement sa propre clientèle, selon son humeur. Une salle de rédaction n’est pas un collectif de joueurs autonomes qui laissent libre cours à leurs envies du moment; elle possède une structure, un esprit de corps, et le journaliste y œuvre au sein d’une équipe.

L’éditeur, le rédacteur en chef ou le directeur de l’information font chaque jour des choix éditoriaux et livrent des affectations en conséquence. Il ne s’agit pas là de contrôle de l’information, comme cela s’est entendu lors d’une séance de défoulement collectif au dernier congrès de la FPJQ. Il ne s’agit là que de simples préceptes organisationnels auxquels n’échappe aucune entreprise.

Ces accusations de contrôle sont pourtant reprises à l’envi à l’endroit des médias de Quebecor et ce, depuis plusieurs années maintenant, comme si La Presse ou Le Devoir laissaient leurs propres journalistes entièrement libres de choisir les nouvelles à publier.

Un ombudsman ou une adhésion au CPQ ne changeraient rien au fait que nous devions choisir et offrir à nos lecteurs un contenu dans lequel ils se reconnaissent. Seul ce souci d’adéquation entre la nouvelle et le lecteur guide les choix de la Rédaction. L’important, c’est que le journaliste fasse ensuite son travail selon les règles de l’art, peu importe son affectation du moment.

En terminant, nous savons tous qu’aucune licence ni autorisation des pouvoirs publics n’est nécessaire au démarrage et à l’exploitation d’une publication. Si certains souhaitent se positionner ailleurs, adopter d’autres angles, s’adresser autrement à d’autres publics, mettre de l’avant d’autres préoccupations sociales ou économiques tout en consacrant des énergies à la couverture des scènes culturelles et sportives, ils sont libres de tenter leur chance.

Rue Frontenac semble vouloir se lancer dans l’aventure et nous lui souhaitons sincèrement de trouver éventuellement un équilibre viable entre ces nobles aspirations, un public cible substantiel et une masse critique d’annonceurs. Comme nous l’avons fait et le faisons toujours pour Le Devoir, il nous fera plaisir de leur fournir les prestations industrielles nécessaires pour assurer la diffusion de Rue Frontenac, s’ils veulent bien travailler avec nous.

Sur ce, laissons place aux vraies négociations. Je vous souhaite, ainsi qu’à tous vos lecteurs, de très joyeuses fêtes.

Bien cordialement,

Pierre Karl Péladeau

Mon commentaire:

Tout cela a le mérite de la clarté. Reprenons les questions et les réponses, dans l’ordre:

#1. En 2009, PKP s’engage à ne pas réduire le nombre d’artisans de l’information pendant le conflit, s’engage-t-il à en compter autant en fin de conflit, quitte à les répartir ailleurs dans l’empire?

C’est Non.

#2. Au moment du lock-out, les pages opinions du Journal de Montréal étaient équilibrés, de la droite à la gauche. Aujourd’hui, la droite règne. Va-t-il rééquilibrer en fin de conflit?

C’est Non. Il affirme au contraire vouloir faire contrepoids à la « plateauisation » de l’information et veut pour preuve de la justesse de cette stratégie le vaste lectorat du Journal. Lectorat qui était pourtant tout aussi nombreux lorsque des plumes de gauche, très « plateau » (Nuovo, Bazzo, Grey, Payette) sévissaient dans le quotidien.  (Notons pour nos lecteurs non-montréalais que le plateau est le quartier résidentiel le plus proche de plusieurs grands médias, dont TVA, Radio-Can, La Presse, Le Devoir et Astral Média.)

#3. Accepte-t-il de prendre de la distance face à la couverture médiatique et de garantir l’indépendance des salles de nouvelles ?

C’est Non. Il réaffirme le droit de l’éditeur d’intervenir dans la couverture (donc non seulement dans l’expression de l’opinion). Pour le JdeM l’éditeure est Lyne Robitaille, la vice présidente Est du Canada Sun Media. La question portait plutôt sur l’intervention du propriétaire.

Évidemment il y a des précédents. L’américain Hearst en est l’archétype. Mais la tradition québécoise récente tend à distancier le propriétaire de la direction de l’information — celle qui dirige en effet les journalistes qui, PKP a raison, ne sont pas des coiffeurs. M. Péladeau semble penser que cette courroie de transmission du propriétaire vers la couverture journalistique est courante à La Presse, ce que ne confirment pas nos informations de première main pour la période couverte par la présence de l’éditeur Guy Crevier. Il donne aussi l’exemple du quotidien Le Devoir, mais la propriété très diffuse de ce quotidien lui épargne toute pression extérieure dans la définition de sa couverture. Les éléments d’information avérés dont nous disposons permettent de conclure que le niveau d’intervention du propriétaire dans la direction de la couverture journalistique à Quebecor est, dans le Québec contemporain, exceptionnel.

#4. Pourrait-il nommer un ombudsman pour recevoir les plaintes des lecteurs, en attendant de réintégrer le Consil de presse, comme il s’y était engagé en 2001?

C’est Non. Il met d’ailleurs en doute toutes les informations qui circulent au sujet de comportements sujets à caution dans l’orientation de l’information elle-même. (Pierre Karl: je n’ai pas rapporté de « ouï dire » dans mes questions. Tel qu’indiqué, il s’agit de témoignages directs d’ex-employés crédibles non liés au conflit du Journal, soit le genre de source sûre citée chaque jour dans vos quotidiens sur divers sujets.)

#5. Envisage-t-il de donner un coup de pouce à RueFrontenac, comme son père l’a fait pour Le Devoir, au nom de la diversité de l’information ?

C’est Noui ! Évidemment, on a en tête le soutien actif de Péladeau Père au Devoir, qu’il a financé à hauteur de deux millions sur plusieurs années. Cependant, ici, PKP ouvre une porte: il offre au futur RueFrontenac, pour sa version papier, un service de diffusion selon les termes « très concurrentiels » offerts au Devoir.

Pour l’essentiel, qu’on se le dise, il y a un style, une orientation, un  élan PKP. La Une de L’actualité demandait cet automne s’il était redoutable? Le point d’interrogation est de trop. Il confirme aujourd’hui être inébranlable.