PQ: pourquoi l’échec n’est pas certain

Voici la seconde partie de ma réponse au militant péquiste François Houle qui, comme des centaines de milliers de souverainistes, se demande s’il y a un avenir pour le Parti Québécois et pour la souveraineté.

Cher François Houle,

Je vous ai promis dans mon billet précédent de vous parler du cas Marois. Rassurez-vous, je tiendrai parole. Mais je veux d’abord vous parler du cas Charest.

Le cas Charest

Tous le croient fané, fini, foutu. Tous, sauf lui. Vrai, les récents sondages, comme celui de jeudi matin dans La Presse, montrent qu’au chapitre de la satisfaction, il est passé du quatrième au troisième sous-sol. Un progrès. Disons qu’il voit la lumière en haut du très long escalier.

Ces derniers temps – donc avant même la crise au PQ et alors même que la menace Legault était palpable – lui et son entourage offrent des présentations aux Libéraux les plus fidèles. Cela s’appelle le « Plan 4 ». Pour « quatrième mandat ». Il s’agit d’une démonstration de la capacité d’un PLQ toujours dirigé par Charest de maintenir suffisamment de circonscriptions, se faufilant entre le PQ et Legault le soir du prochain scrutin, pour garder le pouvoir.

Les initiés qui ont droit à la présentation y entrent généralement pessimistes et en ressortent convaincus. Convaincus aussi par la résilience de Jean Charest et par sa volonté de démontrer à tous qu’il est, encore, de la trempe des vainqueurs.

Dans ces conditions, une prochaine victoire libérale serait en effet un remarquable couronnement de carrière. Et si, comme on le raconte, il est très préoccupé par le niveau de revenu qu’il pourrait obtenir après sa carrière de Premier ministre (revenu amputé depuis cette année des 75 000$/an qu’il percevait du parti), le fait est que sa valeur au marché sera beaucoup plus grande après une quatrième victoire que s’il quittait, triste mine, en cours de mandat.

Voilà ce que je sais. Voici ce que je pense. Charest doit voir en François Legault une menace réelle, c’est l’évidence, mais moins coriace que Lucien Bouchard ou Bernard Landry. Je l’ai écrit ici, la stratégie de François Legault est excellente, mais sa capacité à commettre des bourdes est assez grande.

Charest souhaite lui laisser le temps de s’user, de fauter, de chuter. Il fera tout pour l’entraîner à l’Assemblée nationale assez longtemps pour lui tailler sur mesure une étiquette désobligeante : il avait réussi à faire coller celle « d’immature » à André Boiclair, de « girouette » à Mario Dumont et tente, sans succès pour l’instant, à faire passer Pauline Marois pour une « radicale ». Il en a certainement une ou deux en réserve pour François Legault.

Pourquoi Jean Charest est-il presque coi, ces jours-ci, sur la crise au PQ ? D’abord, certes, parce qu’il ne pourrait rien dire de pire que ce que disent les ex-péquistes eux-mêmes. J’entendais Mario Dumont supputer cette semaine que Charest voulait sans doute « garder » Marois car elle est faible. J’estime plutôt qu’il espère la garder car, sans elle, le PQ serait encore plus faible. L’implosion serait totale.

S’il espère passer entre Legault et le PQ, il faut qu’il y ait un PQ! Plus le PQ implose, plus la tâche est difficile pour Charest.

En quoi, cher François Houle, cela est-il pertinent à l’avenir du Parti Québécois et de la souveraineté ? Songez-y : si le Parti libéral du Québec, cette marque de commerce qui semble irrémédiablement amochée, a une chance crédible de se maintenir au pouvoir, — et il l’a –, le Parti québécois, dans son heure la plus sombre, peut raisonnablement aspirer à former le gouvernement.

Il faudrait pour cela qu’il le veuille au moins autant que le PLQ. Il faudrait qu’il cesse de s’adonner, comme l’écrit ce mercredi le chroniqueur Yves Boisvert, à « un acte d’automutilation politique inédit ».

Le cas Pauline

Pauline Marois a-t-elle mal géré la proposition somme toute assez bénigne avancée par la député Lisette Lapointe, avec l’appui de son auguste mari, sur la préparation à la souveraineté ? Je l’ai pensé pendant la totalité de l’épisode. Pauline Marois aurait-elle du comprendre dans les 24 heures du dépôt du projet de loi Labeaume-Maltais qu’il ne passerait pas comme une lettre à la poste et qu’il fallait, donc, corriger le tir, prendre de la distance, ne pas exiger l’unanimité du caucus ? C’est l’évidence, qu’elle a fini par reconnaître. Pauline Marois devrait-elle apporter des changements à son entourage immédiat, de conseillers et de députés ? C’est indubitable.

Ces trois éléments définissent-ils cette femme politique ? Donnent-ils la mesure de la chef qui a hérité d’un parti exsangue et qui lui a redonné vie, d’un parti endetté et qui l’a renfloué, d’un parti ayant perdu sa boussole identitaire et qui la lui a redonnée, d’un parti muet sur les ressources naturelles et qui l’a fait parler fort, d’un parti timide sur les questions linguistiques et qui l’a rendu ambitieux ? Je vous laisse juge.

Erreurs de parcours pour erreurs de parcours, Pauline Marois se compare favorablement à ses prédécesseurs. J’ai toujours cru qu’on mesurait la force des gens dans leurs moments les plus noirs. La pire chose qui aurait pu se produire après les récentes démissions aurait été que Pauline Marois donne l’image d’une chef blessée, affaiblie, se réfugiant dans le mutisme ou la rancœur.

Vous et moi, François Houle, et le Québec tout entier avons vu l’inverse. Pauline Marois a fait front, s’est présenté à toutes les rencontres (certaines furent même enregistrées et coulées aux médias!) a parlé devant tout les micros. Elle a même tendu la main aux démissionnaires. Impressionnant de calme, de cran.

Puis-je vous confier qu’aucun de ses prédécesseurs n’aurait fait preuve d’autant de flegme? Soit dit en tout respect.

Le plaidoyer anti-Pauline

La fronde anti-Pauline tient en deux volets : la volonté et la capacité de faire la souveraineté.

Pour les uns, elle n’a tout simplement pas l’intention de faire la souveraineté. Elle veut gouverner, c’est tout. Elle n’a pas « dans son for intérieur », ai-je lu de la part d’un chroniqueur qui s’y était sans doute rendu, la conviction de pouvoir la faire.

Je ne puis affirmer avoir fait le voyage « dans son for ». Mais pour avoir plusieurs fois abordé la question de la souveraineté avec elle, dans le principe et dans le détail, en privé et dans un groupe de membres de la société civile qu’elle réunit de temps à autre pour entendre nos avis, j’ai acquis une tranquille certitude : Pauline Marois a la ferme volonté de réaliser la souveraineté – entre mille autres raisons : pour confondre les sceptiques – et elle s’en croit capable.

Elle a elle-même défini le corridor de la « gouvernance souverainiste » de façon à se donner l’agilité tactique nécessaire pour faire du Québec un pays dans le délai le plus court possible et dans le respect de l’évolution de l’opinion. Ce n’est pas de l’esbroufe. Elle y tient.

Il n’y a donc pas de déficit de volonté souverainiste chez cette femme.

Pour les autres, Pauline « ne tire pas assez » pour, une fois au pouvoir, faire la souveraineté, même si elle désirait la faire. C’est une lecture. Savoir qu’en 1993, on entendait exactement la même rengaine au sujet du chef péquiste Jacques Parizeau (victime de grognements constants dans son caucus et de velléités actives de le remplacer par le chef bloquiste de l’époque), qu’à l’été 1976, la même chose était dite au sujet de René Lévesque (y compris dans le caucus), ne rassérène personne.

Rappeler qu’à la veille de son élection en septembre 1994, Jacques Parizeau était moins populaire que son parti et que la souveraineté – qu’il « tirait » donc électoralement le parti vers le bas; dire même qu’il était, dans l’opinion, moins populaire que Robert Bourassa puis que Daniel Johnson, ne semble pas s’appliquer au cas Marois. C’est peut-être que M. Parizeau ne battait pas Johnson dans un combat à deux, alors que Marois a constamment battu Charest (jusqu’à maintenant) dans un combat à quatre.

Le fait que Jacques Parizeau, puis Bernard Landry aient, une fois au pouvoir, grandi dans le rôle, dépassé les attentes, augmenter leur crédit dans l’opinion ne semble pas non plus s’appliquer au cas Marois. C’est un mystère. Certains disent : de la misogynie. Je pense plutôt que c’est de l’amnésie et l’expression d’une insécurité intrinsèque à la faune péquiste. (Je ne vous parle pas des purs et durs qui nous imploraient en privé, au printemps 1995, d’annuler le référendum. Je souris quand j’en entend certains affirmer aujourd’hui en public que Pauline Marois n’est pas assez pressée!)

Le cas Duceppe

Ce n’est que mon opinion. Tous ont le droit d’avoir l’opinion inverse. Mais ceux qui en doutent avaient une fenêtre politique pour l’exprimer : l’année et les mois précédant le vote de confiance du congrès régulier du PQ. C’est une faute politique et un mépris du processus démocratique que d’avoir laissé passer ce moment en silence, puis d’exprimer, a posteriori et avec le plus grand fracas possible, sa dissidence. Cela augure mal pour la nouvelle façon de faire de la politique qu’on nous annonce.

Sur le fond, on rétorquera qu’un acteur majeur, Gilles Duceppe, n’était pas disponible en avril — avant le vote de confiance — et qu’il l’est devenu début mai. À son corps défendant, certes, mais disponible tout de même.

Vous, cher François Houle, et ces jours-ci un rachitique 17% des Québécois, souhaitez que le PQ prenne le pouvoir aux prochaines élections. Puis, souhaitent 38% de nos concitoyens, fasse la souveraineté.

Abordons la chose avec méthode. Le PQ serait-il mieux outillé pour faire l’un et l’autre s’il était dirigé par Gilles Duceppe que par Pauline Marois? Si cela se faisait d’un coup de baguette magique, j’aurais personnellement quelques doutes. Gilles aurait nécessairement une période d’adaptation (comme Charest et Bouchard avant lui). Québec n’est pas Ottawa. La méthode Duceppe est-elle transférable au caucus du PQ, plus rebelle ? Cela se débat.

Un débat théorique, car ça ne se passera pas avec un coup de baguette magique. La réalité politique est que Pauline Marois n’est pas moins têtue que Jean Charest. Elle ne se laissera pas expulser comme une vulgaire « femme de ménage » pour reprendre l’expression de Jonathan Valois.  Comme celle qui a remonté le parti et qui doit maintenant céder sa place à celui qui avait… renoncé à se présenter contre elle avant que le ménage ne soit fait !

Donc, le scénario réaliste des pro-Duceppe serait le suivant : augmenter le niveau de bisbille au sein du Parti Québécois à un niveau tel que Pauline Marois soit désavouée par une majorité de son caucus ou une masse critique de ses présidents de comtés. Bref, une ronde « d’automutilation » encore plus grande que la précédente. C’est à se demander si Gilles Duceppe voudrait, alors, de ce champ de ruines ! D’autant qu’un certain nombre de pro-Pauline prendraient, à leur tour, leur ticket pour le festival des démissions.

Diviser, ou additionner ?

Dans son entrevue à RDI ce mercredi, Gilles Duceppe a télégraphié deux messages : 1) il soutient Pauline Marois; 2) la totalité de son avenir politique n’est pas derrière lui.

Si Jacques Parizeau a eu l’intelligence et la grandeur de vue de faire tandem avec Lucien Bouchard pendant la campagne référendaire, pourquoi Pauline Marois n’aurait-elle pas le réflexe de trouver, avec Gilles Duceppe, la recette d’un tandem pré-électoral ?

Ils démontreraient ainsi qu’une coalition, cela se fait en additionnant, pas en divisant. Le PQ ferait l’économie d’un traumatisme, d’un autre chef jetable, d’une course au leaderhip – une série d’événements certes divertissants, mais qui ne feraient que l’enfoncer dans l’automutilation.

L’annonce, à l’automne ou au début de 2012, d’un tandem Marois/Duceppe pourrait même être l’occasion, non d’un retour au bercail, mais d’une trêve bienveillante de la part de certains démissionnaires.

Est-il trop tard ?

La décision d’un petit nombre de gens de lancer, comme c’est leur droit, leurs torpilles sur le principal véhicule de progrès social et national du Québec ne met pas seulement en cause une idée de la stratégie souverainiste. Elle met en péril, comme je l’ai écrit hier, le lancement de plusieurs chantiers essentiels pour remettre le Québec sur le chemin de la probité, de la sécurité identitaire, du contrôle de ses ressources.

Mais la question est, cher François Houle, est-il trop tard ? Le bateau est-il à ce point troué que rien ne pourra, maintenant, le mener à bon port?

La réponse toute bête est qu’on ne le sait pas encore. Un élément semble désormais assuré : le cran et la résilience de la chef. Un autre s’est montré le bout du nez : la volonté de coopérer de Gilles Duceppe. Pauline Marois doit, on l’a dit et elle l’a annoncé, procéder à un certain nombre de changements dans son entourage et dans sa méthode.

À la faveur des départs, elle doit permettre aux députés de la relève de monter en grade, de monter en volume, de monter en scène pour incarner, à leur façon, le changement.

Un jeu politique mouvant et… ouvert

L’offre politique a changé. Il y a maintenant quatre partis significatifs sur le terrain: le PLQ, Legault/ADQ, Québec solidaire et le PQ.

La bulle dont bénéficie François Legault dans l’opinion est pour l’instant tenace, mais structurellement temporaire. Il est probablement à son plafond. Il va s’user — et on peut compter sur Jean Charest pour l’y aider.

Le PQ est probablement à son plancher. Il ne peut guère descendre plus bas. Il est le seul à offrir des solutions tranchées aux Québécois sur plusieurs sujets essentiels. Il a, en son sein, les visages de son propre renouvellement et, à sa tête, une femme aguerrie par l’épreuve. Il lui reste du temps pour le faire savoir. Pour se distinguer. Pour redevenir compétitif. Puis, pendant la campagne électorale à venir, et au fil d’arrivée, pour étonner.

Est-ce probable ? Je ne le sais pas. Est-ce possible ? J’en ai la conviction. Mais seulement s’il reste des dizaines de milliers de militants comme vous, cher François Houle.

Sinon? Eh bien, sinon, rien ne va plus !

Bien cordialement,

Jean-François Lisée

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