Prime budgétaire à l’indépendance: suite du débat

mo_9782896493999Je vous connais bien, chers internautes, et je sais que le vendredi après midi, par une belle journée chaude, juste avant la fête nationale, rien ne vous fait plus plaisir que de vous plonger dans la comptabilité nationale et dans un débat d’expert sur l’ampleur des économies que réaliserait un Québec souverain.

Réjouissez-vous, je vais exhaucer votre voeu, en publiant ici la suite du grand débat Stéphane Gobeil / Martin Coiteux sur ce thème, débat amorcé par la publication de l’excellent livre Un gouvernement de trop, sur ce sujet précis.

L’épisode précédent de l’échange peut être consulté ici.

Le nouvel épisode suit:

Prime budgétaire à l’indépendance : le débat progresse

Stéphane Gobeil

Le professeur Martin Coiteux, l’économiste fédéraliste de référence et directeur de recherche de l’Idée fédérale, a poursuivi, dans un récent billet de blogue, le débat engagé autour de mon ouvrage, Un gouvernement de trop. Le professeur y reconnaît une erreur, ce dont je lui sais gré, me propose une mise à jour pour un calcul, ce que j’accepte volontiers, et avance de nouvelles affirmations qui méritent débat.

Je laisse au professeur Coiteux le ton un peu cavalier qui parfois transparaît de sa plume pour me concentrer sur le mérite de ses arguments et, pour ma part, je continuerai à présumer de sa bonne foi et de sa compétence.

D’abord, je note que M. Coiteux a partiellement reconnu s’être trompé en m’imputant une erreur de 3,5 milliards dans les transferts fédéraux versés au gouvernement du Québec.

Le calcul de l’abattement fiscal

Le professeur rajoute une question  pertinente :

« La donnée utilisée pour les «grands transferts fédéraux» utilisée par Stéphane Gobeil ayant été depuis révisée à 13,870 milliards, il faut d’abord retrancher du calcul de ses économies totales un montant de 446 millions de dollars. »

Ici, je note deux choses : le professeur admet enfin l’exactitude de mes sources qui sont en fait celles des Comptes publics du Canada; il souligne ensuite que, depuis que j’ai fait ce travail, les chiffres ont été révisés et qu’en conséquence, il faut retrancher du calcul de mes économies une somme de 446 millions de dollars.

tableau-coiteux

 

 

Il faut le remercier d’amener cette nouvelle donnée. Mais encore une fois, ce raisonnement est boiteux. Le professeur veut retrancher 446 millions en se fondant sur la révision du tableau fédéral des « grands programmes de transferts » en omettant tous les autres programmes de transferts à l’État québécois. Ce montant (17110) est indiqué dans les Comptes publics du Québec.

Cela signifie c’est que la somme des grands transferts a été révisée à la hausse, tandis que la sommes des autres transferts a été révisée à la baisse, ce qui donne une somme nette de 229 millions (17110 – 16 881) de plus, après révision, et non de 446. Évidemment, je ne pouvais tenir compte dans mon livre d’une révision qui n’avait pas encore été effectuée.

En ce qui a trait à la part du Québec de 19,5 % des revenus fédéraux que le professeur contestait, il affirme ne plus avoir besoin de s’y attacher car il soulève un nouveau point : « l’abattement fiscal du Québec. » En langage clair, il s’agit des points d’impôt cédés par Ottawa au Québec. M. Coiteux affirme avoir trouvé là une nouvelle faille dans mes calculs. Il n’en est rien.

Le tableau 3.7 auquel il se réfère indique justement que les points d’impôt sont déjà comptabilisés dans le calcul des transferts, qu’ils sont donc soustraits du total. Si le professeur avait pris la peine d’additionner les paiements de péréquation (7,764 milliards), les transferts pour la santé (5,829 milliards), pour les programmes sociaux (2, 519 milliards) et autres (15 millions), il serait arrivé à un total de 16,127 milliards. C’est en soustrayant les points d’impôts de 2,703 milliards que nous obtenons la somme de 13,424 milliards (avant révision).

Les coûts de la défense québécoise

Dans son premier billet, le professeur avançait de façon arbitraire que le budget de la défense d’un Québec souverain devait être fixé à 1,3 % du PIB, comme ceux des pays scandinaves. Dans ma précédente réponse, j’ai contesté cette conclusion à partir du tableau auquel M. Coiteux se référait. Il répond maintenant que j’aurais négligé de calculer le coût d’acquisition des nouveaux équipements militaires d’un Québec souverain.

Ce n’est évidemment pas le cas, comme pourra le constater le lecteur à la page 73 de mon livre. Il poursuit en laissant entendre qu’Ottawa pourrait refuser de céder au nouveau pays les équipements qui se trouvent sur notre territoire, comme si les actifs non financiers n’allaient pas être pris en compte dans le partage des actifs et des passifs du gouvernement fédéral.

Parlant de la dette, dans ce deuxième billet, M. Coiteux persiste à fixer la part du Québec de la dette fédérale à 21,92 %, en se fondant sur notre poids démographique. Ce faisant, il ignore complètement ce que j’avais écris précédemment :

« Le montant final de la dette qu’assumera le Québec souverain doit donc tenir compte des actifs financiers et non financiers du gouvernement fédéral. Pour déterminer le montant exact, il faudra effectuer un inventaire exhaustif des actifs fédéraux, une analyse qui n’existe pas à l’heure actuelle. Ces mécanismes sont décrits en long et en large par Bélanger-Campeau ainsi que par Claude Lamonde et Jacques Bolduc dans « Le partage des actifs et des passifs du gouvernement du Canada »

Si le professeur veut contester la méthodologie de toutes ces études, qu’il le fasse. En attendant, son analyse ne repose sur rien d’autre que sa propre opinion.

Je lui ai aussi fait remarquer qu’un Québec souverain avait une obligation morale à porter le poids de sa juste part du service de la dette canadienne, mais non une obligation légale, car cette dette est légalement du ressort du Canada. Ce fait, indiscutable, rendrait imprudente toute tentative de transférer une part significative de la dette elle-même, constituée d’obligations du Canada, à une nouvelle entité. J’ai été peiné de lire que M. Coiteux, plutôt que d’argumenter sur ce point, m’accuse faussement de vouloir soustraire le Québec à ses obligations. Le professeur nous fait comprendre au passage n’avoir pas saisi, auparavant, le position des souverainistes (et des experts) sur ce point, alors qu’elle est avancée avec constance par Jacques Parizeau depuis des décennies, et par bien d’autres.

Ensuite, M. Coiteux ne parle plus des 6,6 milliards versés à GM comme d’un « placement ». Comme je l’ai indiqué, ce montant est inscrit comme une dépense dans les Comptes publics du Canada. Mais le professeur insiste sur la notion de dépense « récurrente ». Je lui ai répondu que, pour l’avenir prévisible et compte tenu des annonces fédérales déjà faites, les dépenses fédérales de ce type seront très majoritairement effectuées hors-Québec et qu’il faudra refaire le calcul chaque année pour en trouver la démonstration chiffrée précise, mais il rejette cet argument sans y répondre.

Les économies d’échelle et les chevauchements

M. Coiteux ajoute deux autres éléments à son argumentation. Ils valent la peine d’être relevés.

Il introduit d’abord un nouveau concept dans nos débats, soit celui des économies d’échelle. Belle question, très légitime, à laquelle j’ai d’ailleurs longuement réfléchi lors de mes travaux. Le professeur affirme ceci :

« Dans nombre de missions de l’État, on ne peut livrer avec le quart du budget d’un ensemble plus grand les mêmes services par habitant à une population ne représentant que le quart de cet ensemble. À supposer qu’il soit vraiment un expert de toutes les missions étatiques qu’il recense (permettez-moi à cet égard d’avoir un doute raisonnable (SIC)), il faudrait au minimum qu’il tienne compte de ces économies d’échelle qui favorisent la mise en commun des ressources à l’intérieur d’un État plus grand.  Ces économies seraient perdues avec l’indépendance.  Combien valent ces économies?  Il faudrait une étude approfondie pour le dire, une étude que n’a pas faite Stéphane Gobeil. »

Dans la théorie pure, le professeur pourrait avoir raison. Il faudrait, comme il le dit, effectuer une étude approfondie sur cette question. J’invite le directeur de recherche de l’Idée fédérale à faire une telle recherche, qui permettrait d’ajouter un élément intéressant au débat. Je le préviens toutefois bien amicalement : il aura des surprises désagréables.

Il n’est pas impossible que dans des cas précis, la défense qu’il cite, par exemple, la fragmentation du processus de décision résultant de l’indépendance augmente les frais de gestion. Mais, en l’espèce, puisqu’il est absolument certain qu’un Québec indépendant n’acquerrait pas sa part des nouveaux navires fédéraux, le résultat net se soldera par des économies substantielles pour le Québec.

Mais les cas d’économie d’échelle potentiels sont plutôt rares. Dans la très grande majorité des cas, nous avons affaire à des dédoublements, ce qui induit du gaspillage, que nous éliminerons en faisant la souveraineté. C’est le cas d’une centaine de ministères et d’organismes qui se dédoublent entre Québec et Ottawa. Pour ne donner qu’un exemple, en ayant une seule Agence du revenu au lieu de deux comme c’est le cas actuellement, le Québec pourra économiser 666 millions de dollars, sur la base de l’année 2010.

Surtout, les dépenses bureaucratiques fédérales ont explosé depuis 1998. La seule masse salariale d’Ottawa a augmenté de 108 % en 12 ans, alors que dans le même temps le revenu des familles augmentait de 22 %, soit cinq fois moins. Prenons l’exemple précis du ministère fédéral de la Justice. En 12 ans, les dépenses pour les « services internes de gestion » ont augmenté de 270 %. Rien de tel ne s’est produit au sein du gouvernement du Québec, même pas en santé. Dans ce domaine, les dépenses de Québec ont augmenté de 101 % depuis 1998, pendant que celles de Santé Canada (qui ne gère aucun hôpital, aucune urgence) augmentaient de 202 %. Le double! En demeurant au sein de la fédération canadienne, le Québec ne bénéficie pas d’économies d’échelle, il souffre au contraire de gaspillage bureaucratique et de dédoublements administratifs.

Les scénarios idylliques : version Québec et version Canada

Finalement, le directeur de recherche de l’Idée fédérale pose un jugement plus large, en avançant que toutes mes hypothèses sont de toutes façons fondées sur un scénario idyllique. Je le cite :

« Bref, il n’y aura aucune de ces turbulences auxquelles s’était référé dans un instant de lucidité Pauline Marois… »

Il me reproche d’ignorer cette question, alors même que je m’y attarde longuement. Voici un extrait du livre :

« Lorsque, avec une franchise qui l’honore, Pauline Marois a affirmé en 2005 qu’il y aurait sans doute quelques années de perturbations suite à l’accession à la souveraineté, les fédéralistes ont sauté sur l’occasion pour dénoncer la témérité du projet. Or, trois ans plus tard, loin de simples perturbations, c’est une véritable tempête économique et financière mondiale qui s’est abattue sur nous. Le gouvernement fédéral a plongé dans le rouge, le déficit atteignant 56 milliards en 2010, dont au moins 11 milliards sont assumés par le Québec. Même les plus folles campagnes de peur fédéralistes n’ont jamais osé mentionner un tel gouffre financier advenant la souveraineté du Québec. »

Le professeur peut bien sûr soulever toutes les hypothèses qu’il souhaite, y compris celle qu’il avance en prédisant qu’après la souveraineté, tout va mal tourner. C’est un argument que les fédéralistes n’ont jamais cessé de brandir. Ainsi, en 1980, Jean Chrétien ne cessait de répéter que les Québécois ne recevraient plus de pensions de vieillesse. En 1995, Paul Martin  avait affirmé que la souveraineté mettrait à risque un million d’emplois au Québec. La crédibilité de M. Martin en avait été durablement entachée. Les arguments de M. Coiteux, plus techniques, sont de même nature.

Cela dit, le pire peut toujours se produire.  Mais qu’en est-il du risque, pour le Québec, de demeurer dans le Canada ? Car les perturbations sont présentes et réelles. Réduction de notre poids politique au sein de la fédération; imposition par le gouvernement Harper de lois répressives qui vont nous coûter, selon le gouvernement Charest,  un milliards sur 5 ans; retrait de Kyoto; sans parler d’une Constitution canadienne toujours imposée au Québec et d’une gestion maladive de nos lois linguistiques par des juges désignés unilatéralement par Ottawa, même lorsque 100% des députés québécois, dans le cas des écoles passerelles, votent une disposition linguistique consensuelle.

Si je me risquais à employer la méthode du professeur, je devrais qualifier d’idyllique son hypothèse selon laquelle en demeurant au sein du Canada, tout ira bien pour le Québec.

Le portrait des quatre dernières années est pourtant limpide : Avec la crise, le Canada a volé au secours de l’Ontario en déversant sur cette province des milliards de dollars pour sauver son industrie de l’auto. Demain, Ottawa versera 33 milliards pour la construction de navires à Halifax et à Vancouver. Le Québec en assumera le cinquième, sans pouvoir même espérer obtenir un aide équivalente pour son industrie manufacturière ou forestière. Il doit se contenter d’observer comment Ottawa offre à Terre-Neuve des garanties de prêts pour ses projets hydro-électrique dont, jamais, le Québec n’a bénéficié. Pour la seule année 2010, le gouvernement fédéral a creusé un déficit de 56 milliards de dollars, dont 11 milliards sont assumés par le Québec. Est-ce idyllique ?

*   *   *

Je conclus là-dessus mes échanges avec le directeur de l’Idée fédérale. Je le remercie sincèrement de s’être intéressé à mon livre. S’il veut poursuivre le débat, je l’invite cordialement à se plonger avec ouverture dans l’analyse des Comptes publics du Canada et des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté.

 

Sur ce, vous me permettrez de me retirer dans mes terres et de jouir de quelques semaines de vacances bien méritées, après une année de travail parmi les plus intenses que j’ai vécues.

Bon été à M. Coiteux, à Jean-François Lisée et à tous nos lecteurs.

Stéphane Gobeil