Remous à Rad-Can: La société d’État, c’est moi!

duceppe-150x150Le PDG de Radio-Canada, Hubert Lacroix, sait exactement ce qui cloche avec l’information dans ses services de nouvelles. Selon une source qui en a récemment longuement discuté avec lui, « Hubert est comme les gens d’affaires qui pensent que les journalistes sont trop péquistes et trop à gauche ».

Péquistes, les gens de rad-can, au point d’envisager d’embaucher, en août dernier, l’ex-chef bloquiste Gilles Duceppe chroniqueur à l’émission Medium Large. La colère de Lacroix, raconte cette source, était « stratosphérique » tellement il était « très très obsédé » par cette décision qui, hasard des circonstances, a ensuite été reléguée aux oubliettes.

C’est précisément le genre de nouvelles que le patron Lacroix refuse désormais d’apprendre dans le journal. C’est pourquoi il veut faire en sorte d’avoir le doigt sur le pouls, pour ne pas dire la jugulaire, de tout ce qui se passe dans sa grande maison.

Un brillant micro-manager

Soyons nets: nous parlons ici d’un personnage considéré comme « extrêmement intelligent » par un de ses pairs de l’industrie télévisuelle, comme « un avocat de très haute volée, très discipliné et méthodique, un travailleur forcené » affirme un des avocats également membre de cette catégorie.

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Le PDG Hubert Lacroix. Il veut « caller les shots! »

Chacun souligne cependant ce trait professionnel: c’est un micro-manager. « Il veut tout savoir ce qui se passe » dit l’un. « Il veut prendre le contrôle de cette machine là, il veut caller les shots » dit un autre. « Il a son bureau au 12e étage (de Radio-Canada à Montréal) et il va se rendre d’un bureau à l’autre pour intervenir dans chaque dossier. Il y a des directeurs généraux qui avaient l’impression qu’ils étaient autonomes et qui n’ont pas apprécié. »

Le départ, l’an dernier, du patron du service français, Sylvain Lafrance s’explique en partie par ce choc des volontés… et de visibilité. Lorsque Lafrance, fin parleur, fut invité à une des émissions du réseau, son patron Lacroix fut estomaqué: « qu’est-ce qu’il fait là, lui? » s’est-il exclamé, devant témoin. Comme si on lui faisait de l’ombre.

Lacroix tente de compenser une personnalité pas très chaleureuse — mais très franche et très directe, me dit-on — par une invitation à ce que chacun le tutoie et l’aborde par son prénom.

Le remplacement de Lafrance par Louis Lalande — après une longue recherche infructueuse d’un remplaçant venu du privé — et le renvoi du DG de l’information Alain Saulnier, sans motif, puis l’embauche à sa place du journaliste Michel Cormier la semaine dernière, participent de cette volonté de pouvoir mettre son doigt depuis le sommet jusqu’à la base sans rencontrer trop de résistance.

C’est du moins l’intention. Un collègue de Cormier affirme que, si c’est l’intention, on s’est trompé de casting. L’Acadien sera plus coriace qu’il n’y parait, « une fois qu’il aura compris ce qui se passe », dit cet observateur. À suivre.

Quel projet ?

Vouloir agir, c’est une chose. Vouloir écarter les péquistes et les gauchistes en est une autre. Avoir voulu virer Jacques Languirand pour cause d’insubordination mais ne pas avoir pu le faire, car nous sommes dans le monde des médias, donc de la perception, où l’Agecanonix Languirand a le haut du pavé, en est encore une autre. (Languirand s’était plaint en conférence de presse de ne pas avoir été singularisé, comme d’autres, dans l’annonce de la grille d’émissions radio.)

Mais cela ne nous dit rien sur le projet Lacroix pour l’information de demain. C’est que, pour ce que votre blogueur favori a pu en tirer des gens qui ont été en contact direct avec lui, cela est très difficile à dire.

On pourrait parler plutôt de réflexe. Comme plusieurs PDGs de Radio-Canada/CBC avant lui, la tentation de faire travailler francos et anglos dans une belle harmonie refait surface. Hubert Lacroix est « un trudeauiste » affirme un de ses quelques amis séparatistes, Daniel Paillé, rencontré lorsque ce dernier était dans les affaires. Il faut, a notamment dit Lacroix en février à la Chambre de commerce, transformer « nos méthodes de production, en rapprochant encore plus Radio-Canada et CBC pour les rendre encore plus efficaces ». Il faut, a-t-il ajouté, « être plus régional que jamais ».

En privé, il va un peu plus loin: « Il faut que les anglais et les français travaillent ensemble » martèle-t-il. « On devrait faire de la programmation ensemble ». L’idée n’est pas neuve.

En 1991, en plein après-Meech, le PDG Gérard Veilleux, autre Trudeauiste, avait lancé un vaste « repositionnement » par lequel les deux réseaux allaient faire dans le « transculturel » et dans le « régional ». Il avait rapatrié chez lui à Ottawa et intégré les équipes de programmation de Montréal et de Toronto. (Voir mon texte de 1992, Ici Radio-Ô-Canada.) Avec des résultats… anémiques.

Une initiative de l’époque a survécu: les correspondants internationaux bilingues. Sauf qu’avec les années, les rares anglophones capables de s’exprimer en français se raréfient, et les bilingues sont des francos, ce qui irrite… Toronto!

Bref, Hubert Lacroix a le goût de réinventer une roue qui, dans le passé, s’est dégonflée. En télé et, pourquoi pas, en radio. « Je peux pas voir pourquoi, a-t-il dit devant une source, on ne puisse pas faire des émissions de radio dans les deux langues. »  Ce qui a laissé son interlocuteur un peu songeur.

« Je ne pense pas qu’il ait une vision, affirme quelqu’un qui a tenté de la saisir. Si oui, je n’ai pas trop compris. »

Les enquêtes, pas très positives

Hubert Lacroix s’enorgueillit-il de la réputation acquise par les journalistes de son service français ces dernières années, en particulier ceux de l’émission-phare Enquête (dont même Pierre Karl Péladeau a récemment dit du bien !) ?

Il l’a mentionné dans des discours. Mais on s’est étonné devant moi de son mutisme et son absence d’encouragement dans ses contacts avec ses subordonnés à ce sujet. Ces enquêtes, leur a-t-il dit, « c’est pas très positif ».

Cela est probablement du à la méconnaissance de la réalité de l’information, qui est un domaine très particulier où il faut avoir la couenne dure. Certes , Hubert Lacroix a été président de Télémédia de 2000 à 2003, puis au CA de Transcontinental. Mais cela suffit-il ?

La proximité des gens d’affaires, des riches et des puissants rend parfois allergique à ces journalistes qui cherchent des poux à tout le monde. On décrit Hubert Lacroix comme « intègre » et absent des réseaux partisans — conservateurs ou autres — mais on lui connaît au moins un point de contact avec Jean Charest. Le PDG de Radio-Canada a choisi entre toutes Jodi White pour la réalisation d’un mandat de révision du rôle des Ombudsman de la maison. White était la femme de confiance de Jean Charest lorsqu’il était chef conservateur à Ottawa, dirigeant ses campagnes et son cabinet.

Sans être actif dans le PLQ, Hubert Lacroix fut, depuis les années 1980 et jusqu’en 2006, un donateur fidèle. Seul écart: avoir contribué aux campagnes de son ami Daniel Paillé. (Peut-être ce dernier aura-t-il de meilleures chances d’être un jour chroniqueur à la radio ?). Mais l’obole Lacroix au PLQ, $1000 en moyenne pendant huit ans jusqu’en 2006, était loin du maximum permis de $3000.

Monsieur 10%

Personne ne doute qu’Hubert Lacroix est un chaud partisan de Radio-Canada. Son discours de la Chambre de Commerce est un modèle du genre radio-canadien. Il y a notamment déclaré:

Il n’existe aucun modèle économique porté purement par le marché capable de soutenir une industrie de radiodiffusion au Canada. Même chose au Québec. Si nous voulons une télévision pour faire entendre nos voix, le Canada doit subventionner cette industrie. C’est un choix de société.

Subventionner, oui, mais à quel niveau ? Déjà, en 2009, Lacroix avait  coupé 800 postes pour résorber un déficit causé par le reflux des revenus publicitaires induit par la crise économique. Mais il y a pire. Il existe dans la base conservatrice et au sein de la députation de Stephen Harper une réelle détestation de Radio-Canada et de la CBC, alimentée par les campagnes de Sun News (donc, Quebecor) au Canada-anglais. La tentation, non de mettre la clé dans la porte, mais d’étrangler financièrement la société d’État est grande.

L’an dernier, les scénarios prévoyaient une coupe de 15 à 20% des budgets de Radio-Can. « À 20%, commente un cadre dirigeant du domaine audio-visuel, on ne peut plus assurer la même mission. » Lacroix semble avoir réussi à éviter cette hécatombe appréhendée. « Il joue une partie délicate et, je crois, incomprise, » commente mon collègue Pierre Duhamel, fin connaisseur de membres, comme Lacroix, de Québec Inc.

Sa stratégie sera-t-elle suffisamment fine pour éviter, l’an prochain, un nouvel assaut budgétaire ? Suffisamment pour lui garder son poste de PDG, qui doit être renouvelé — ou pas — d’ici la fin de l’année ? Et à quel prix pour la qualité et la liberté de l’information nationale et internationale ?