Richesse Québec/USA : La leçon d’économie du Pr. Fortin

Pierre Fortin n’est pas un polémiste. L’économiste de l’UQAM qui fut désigné par ses pairs, en 1995, comme « l’économiste québécois qui s’est le plus illustré au cours de la dernière décennie », celui qui se présente comme à la fois « lucide » et social-démocrate, parle — à de très rares exceptions près — à voix basse et à propos mesurés.

Lorsqu’il a signé, avec moi, ce printemps, un texte affirmant que le niveau de vie de 99% des Québécois était supérieur à celui de 99% des Américains, il savait qu’il envoyait un lourd pavé dans la mare de ceux qui tiennent à convaincre les Québécois, non simplement de leurs nombreux et réels défis, mais d’une supposée et tenace médiocrité. Un jeune économiste  s’en est même pris publiquement à la compétence et à la bonne foi du professeur Fortin.

Pierre Fortin répond à sa façon. Avec des arguments, des calculs, une connaissance des débats économiques récents. Dans le texte qui suit, présenté en exclusivité sur ce blogue, il ne fait aucun esclandre, ne se permettant qu’une allusion à ses critiques, dans une note de bas de page que j’extraie ici:

Sans trop y penser, nombre d’économistes canadiens utilisent encore le taux de conversion de l’OCDE pour comparer les pouvoirs d’achat du Canada et des États-Unis. Ils ne sont pas incompétents, mais pressés. Ils n’ont simplement pas toujours le temps d’accorder l’attention requise aux développements de la littérature scientifique des deux dernières décennies sur le sujet.

(C’est le cas du Conseil du Patronat dans son Bulletin sur l’économie du Québec publié cette semaine).

Pierre Fortin note d’abord une distinction importante entre la taille de l’économie, que comparent généralement les économistes, et le niveau de vie réel des habitants, ce que nous nous employons à faire. Et ce qui constitue, en dernière analyse, la mesure la plus importante, car elle renvoie à la qualité réelle de la vie des citoyens.

Pour résumer son propos et le mettre en contexte, voici ce qu’il répond à l’économiste Youri Chassin, de l’Institut économique de Montréal, qui l’a, lui, courtoisement interpellé sur ce blogue (question et réponse complètes à la fin du texte):

Nous ne cherchons pas du tout à dire que l’économie québécoise est globalement aussi riche que l’économie américaine. Elle est 22% moins riche. C’est déjà très GROS, pas besoin de gonfler l’écart à 45% en utilisant le mauvais calcul. Nous concluons, comme toi, que nous devons nous grouiller pour accélérer notre productivité globale.

Mais nous disons deux choses: 1) les Québécois ne sont pas uniformément POCHES comme un certain discours ambiant le laisse entendre, la preuve étant que nous avons déjà réussi à rattraper l’Ontario (dans un mouvement qui a commencé bien avant que l’économie ontarienne ralentisse), de sorte que nous avons une base sur laquelle nous pouvons nous motiver ; à force de tromper nos concitoyens en clamant partout que nous sommes irrécupérablement poches, plus personne ne va nous écouter, ou encore tout le monde sera découragé; 2) la distorsion dans la répartition des revenus aux USA est extrême; nous espérons que le Québec saura imiter la productivité américaine, mais non la manière dont elle est partagée.

Pierre Fortin dégonfle donc les estimations exagérées de différences entre les niveaux de vie moyen des Québécois et des Américains. Il n’est pas de 45%, mais de 20% lorsqu’on reste au niveau du chiffre brut. Lorsqu’on tient compte de la décision des Québécois de travailler moins d’heures que les Américains, ce qui est essentiellement un choix comme l’étaye ici encore l’économiste, la différence entre le Québec et les USA n’est plus, en moyenne, que de 8%. Finalement, lorsqu’on tient compte des inégalités de revenus et qu’on s’interroge sur le niveau de vie de 99% des uns et des autres, les Québécois sont mieux lotis que les Américains — et ont dépassé les Ontariens au passage.

Voici, en un coup d’œil, le résultat de ses travaux:

États-Unis Ontario Québec
(2010) Taille de l’économie/habitant 100 78%
Niveau de vie moyen brut 100 84% 80%
Niveau de vie moyen / temps de travail 100 89% 92%
(2007) Niveau de vie moyen / 95% de la population 100 100%
Niveau de vie moyen / 95% de  la population / temps de travail 100 115%
Niveau de vie moyen / 99% 100 96%
Niveau de vie moyen / 99% de la population / temps de travail / 100 111%
Progression du niveau de vie réel moyen, 1989/2009 31% 13% 29%

Voici son texte:

Confirmé : au Québec, le niveau de vie moyen équivaut à 80 % de celui des États-Unis et à 95 % de celui de l’Ontario, mais le temps libre volontaire y est plus abondant et le revenu, moins inégalement réparti

Pierre Fortin

Professeur d’économie, UQAM

Le niveau de vie ou, si l’on veut, le pouvoir d’achat, c’est la capacité que nous donne notre revenu à nous procurer des biens et des services pour répondre à nos besoins matériels. Au niveau de la nation, le niveau de vie moyen se mesure habituellement par le revenu intérieur par habitant. On additionne les revenus de tous les résidents et on divise le résultat par la population du territoire. On estime présentement qu’en 2010 le revenu intérieur du Québec a atteint 318 milliards de dollars canadiens et que sa population était de 7,9 millions d’habitants en milieu d’année[1]. Cela nous donnait un revenu intérieur par habitant (ou niveau de vie moyen, ou pouvoir d’achat moyen) de 40 174 dollars canadiens. En Ontario, en 2010, le revenu intérieur par habitant était de 46 380 dollars canadiens; aux États-Unis, de 47 437 dollars américains; en Suède, de 352 000 couronnes; en France, de 30 900 euros[2].

Les comparaisons internationales posent deux problèmes

Comment faire, alors, pour comparer le niveau de vie des Québécois à celui des Ontariens, des Américains, des Suédois, des Français ?

La réponse à cette question ne vient pas immédiatement. Il y a deux problèmes. Le premier, c’est que les monnaies ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Il faut savoir, par exemple, combien cela prend de dollars américains pour acheter aux États-Unis un panier représentatif de biens et de services qui coûterait 100 dollars canadiens au Québec. Il y a plus que les taux de change qui sont impliqués ici, parce qu’on veut comparer les prix de tous les biens dans les deux pays, pas seulement des biens qui font partie des échanges commerciaux entre les pays.

Le second problème, c’est que, même si les deux territoires partagent la même monnaie (l’euro en France et en Allemagne, le dollar canadien en Ontario et au Québec), le même ensemble de biens peut néanmoins coûter moins cher dans l’un que dans l’autre. Il est bien connu, par exemple, que 100 dollars canadiens achètent en moyenne plus de biens au Québec qu’en Ontario parce que les prix sont généralement plus bas au Québec. De même, dans la zone euro, les prix sont plus bas en Allemagne qu’en France. Si on veut comparer adéquatement le pouvoir d’achat des Québécois à celui des Ontariens, ou des Français à celui des Allemands, il faut en tenir compte.

Le défi consiste donc à trouver les taux de conversion qui permettent de transformer les revenus par habitant de régions ou de pays différents en unités qui offrent une juste comparaison des pouvoirs d’achat. L’estimation des taux de conversion appropriés fait l’objet d’un effort intense de la recherche contemporaine. Elle est organisée autour du Programme international coopératif de comparaison des prix, auquel collaborent plusieurs organismes universitaires (principalement l’Université de Pennsylvanie et l’Université de Groningue), nationaux (comme Statistique Canada) et internationaux (comme l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), Eurostat et la Banque mondiale). Le Programme enregistre les prix de plusieurs milliers d’articles dans environ 160 pays. Les données sont ensuite traitées et les résultats publiés sous diverses formes par les organismes participants afin de permettre les comparaisons internationales qu’ils jugent pertinentes.

On compare les pouvoirs d’achat en divisant les revenus par les prix d’achat, et non par les prix de vente !

Une distinction primordiale à faire lorsqu’on compare les prix de deux pays est de savoir si les prix auxquels on s’intéresse sont les prix de vente ou les prix d’achat des biens et des services. Si on veut comparer le volume de production des pays (leur taille économique), il faut diviser le revenu intérieur de chacun (qui est, par définition, égal à la valeur de la production intérieure) par le prix de vente moyen de cette production. Mais si on veut comparer leur niveau de vie (leur pouvoir d’achat), il faut plutôt diviser le revenu intérieur par le prix d’achat des biens qu’il permet de se procurer. Il y a évidemment un lien entre le prix de vente et le prix d’achat des biens, puisqu’une bonne part des biens qui sont produits et vendus par le pays sont achetés par les résidents du pays même. Cependant, le commerce international peut à l’occasion créer des divergences importantes entre l’évolution du prix de vente moyen et celle du prix d’achat moyen dans un pays ou une région, parce que les biens exportés sont produits, mais non achetés localement, et que les biens importés sont achetés, mais non produits localement.

Prenez l’Alberta. Le pétrole brut que cette province exporte aux États-Unis et qui engendre une bonne partie de son revenu intérieur n’est pas acheté localement; de même, les biens de consommation et d’équipement que son revenu intérieur lui permet d’importer des États-Unis ou d’ailleurs ne sont pas produits localement. Si le prix mondial du brut passe de 60 dollars à 120 dollars, l’Alberta va connaître une forte hausse de la valeur de ses exportations de pétrole et du prix de vente moyen de ce qu’elle produit. La valeur de sa production intérieure et, ce qui est la même chose, le revenu intérieur qui en découle vont en conséquence fortement augmenter. Mais il n’y aura pas beaucoup de retombées sur le prix moyen des achats effectués par les Albertains, parce que les produits pétroliers que ces derniers achètent ne comptent que pour une toute petite partie de leurs dépenses. Par conséquent, si on divise la valeur de la production intérieure, en forte hausse, par le prix de vente moyen des produits albertains, également beaucoup plus élevé, on en conclura, correctement, que le volume de la production intérieure albertaine n’a pratiquement pas bougé. Mais si on divise le même revenu intérieur, fortement accru, par le prix moyen, à peine plus élevé, de ce que les Albertains achètent, on trouvera, correctement aussi, que le pouvoir d’achat des Albertains (leur niveau de vie) a considérablement augmenté.

L’exemple de l’Alberta n’est pas sans pertinence pour l’histoire canadienne récente. Au cours de la période de 2002 à 2008, le volume de la production intérieure (mesuré par le rapport en la valeur de la production intérieure et le prix de vente moyen des biens produits) a progressé de 24 % en Alberta. Mais, porté aux nues par l’ascension du prix mondial du pétrole, le pouvoir d’achat des Albertains (mesuré par le rapport entre le revenu intérieur et le prix d’achat moyen des biens) s’est accru de 62 %. Ailleurs au Canada, l’impact de l’appréciation des cours mondiaux des ressources naturelles exportées n’a pas été aussi marqué, mais il n’a pas été négligeable. Au total, de 2002 à 2008, le volume de la production intérieure a crû de 14 % dans l’ensemble du pays, tandis que le pouvoir d’achat moyen progressait de 23 %. Ultimement, ce sont les gains commerciaux résultant d’une augmentation plus rapide des prix à l’exportation que des prix à l’importation qui, au cours de cette période, ont fait augmenter le prix de vente moyen plus vite que le prix d’achat moyen et le pouvoir d’achat (ou revenu intérieur réel par habitant) plus vite que le volume de production (ou produit intérieur réel par habitant) au Canada. Les prix à l’exportation ont en effet augmenté de 14 % de plus que les prix à l’importation[3].

En divisant la valeur de la production intérieure par le prix de vente moyen, on ne mesure donc pas la même chose qu’en divisant le revenu intérieur par le prix d’achat moyen. Le numérateur est le même dans les deux cas (puisque le revenu intérieur est, par définition, identique à la valeur de la production intérieure), mais le dénominateur est différent. Dans le premier cas, on suit l’évolution du volume réel de production; dans l’autre cas, on suit celle du pouvoir d’achat. Une mesure n’est pas meilleure que l’autre. Des deux concepts, il faut choisir celui qui permet de capter ce qu’on vise précisément à mesurer. Si on se préoccupe de la taille de l’économie ou de sa productivité (le volume de production par heure travaillée), c’est la première des deux mesures qu’il faut employer. Si on veut plutôt suivre le pouvoir d’achat des gens du pays (leur niveau de vie), c’est la seconde qu’il faut utiliser. L’exemple des années récentes rapporté ci-dessus pour le Canada montre que le mauvais choix de mesure peut être une source d’erreur importante.

Dans le cas présent, on vise à comparer les niveaux de vie du Québec et des États-Unis, et non pas leurs volumes de production ou leurs niveaux de productivité. Par conséquent, ce sont les prix d’achat, et non les prix de vente, qui doivent être utilisés comme dénominateur et fonder la comparaison.

Le verdict de Erwin, Catherine, Pierre, Ulrich, John, Alan et Marcel

Ce n’est pas d’hier que cette exigence est reconnue. Erwin Diewert, de l’Université de Colombie-Britannique, et Catherine Morrison, de l’Université de Californie (décédée prématurément l’an dernier), l’ont démontré il y a 25 ans[4]. Le résultat est maintenant bien compris par les milieux de la recherche économique. L’ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada, Pierre Duguay, par exemple, en a reconnu la validité en 2006. Il a rejeté « la tendance à assimiler niveau de vie et produit intérieur brut (PIB) réel par habitant » parce qu’elle néglige la possibilité que l’évolution des prix à l’exportation diverge de celle des prix à l’importation[5].

En 2009, le directeur de l’analyse économique de Statistique Canada, John Baldwin, a confirmé la position théorique de Diewert-Morrison et appuyé le point de vue pratique de Duguay. Il a déploré que les différences entre les concepts de volume réel de production et de pouvoir d’achat « ne semblent pas avoir été appréciées par les organismes internationaux qui produisent des estimations […] pour les comparaisons entre pays ». Il a corrigé la situation pour la comparaison bilatérale entre les États-Unis et le Canada en calculant un taux de conversion annuel relatif aux pouvoirs d’achat canadien et américain pour la période entière de 1961 à 2008[6].

Enfin, aux États-Unis et en Europe, les directeurs scientifiques du  Centre de recherche sur les comparaisons internationales de l’Université de Pennsylvanie, Alan Heston, et du Centre de recherche sur la croissance et le développement de l’Université de Groningue, Marcel Timmer, et leurs collaborateurs ont eux aussi reconnu et déploré la confusion ambiante entre les concepts de volume réel de production et de pouvoir d’achat, et ce, pour la même raison que Diewert-Morrison, Duguay et Baldwin. Ils ont démontré que « la raison pour laquelle ces concepts ne sont pas bien distingués dans le Programme international et dans les comparaisons publiées par l’Université de Pennsylvanie (le Penn World Table) est que le traitement accordé par ces projets au solde des exportations et des importations est déficient. » Ils projettent de remédier bientôt à la situation pour l’ensemble des comparaisons entre pays dans le même esprit que Baldwin l’a fait pour la comparaison bilatérale entre les États-Unis et le Canada[7].

Pour ces raisons, Baldwin et Heston-Timmer jugent que les comparaisons internationales de « PIB réels par habitant de parité de pouvoir d’achat » qui sont publiées par l’OCDE (un partenaire majeur du Programme international de comparaison des prix) ne sont pas acceptables comme comparaisons des niveaux de vie. Elles sont « déficientes » (Heston-Timmer) parce qu’elles reposent sur des mesures « hybrides » (Baldwin) de volume réel de production et de pouvoir d’achat qui loupent les revirements du rapport entre les prix à l’exportation et les prix à l’importation (Duguay-Kohli). Notamment, les « PIB réels de parité de pouvoir d’achat » estimés par l’OCDE négligent complètement l’importante hausse du pouvoir d’achat du Canada relativement aux États-Unis, résultant de l’augmentation beaucoup plus rapide de ses prix à l’exportation que de ses prix à l’importation, qui s’est produite de 2002 à 2008 et que j’ai soulignée plus haut.

Pour l’année 2010, le taux de conversion estimé par l’OCDE pour la comparaison entre le Canada et les États-Unis est de 0,82 dollar américain pour 1 dollar canadien. La présomption est ici qu’un panier représentatif de biens et de services qui coûtait 100 dollars canadiens au Canada en 2010 pouvait s’acheter au prix de 82 dollars américains aux États-Unis[8]. Par contre, sur la base de la méthode de Baldwin, qui divise le revenu intérieur par le prix d’achat moyen plutôt que par le prix de vente moyen tel que recommandé par Diewert-Morrison, Statistique Canada rapporte un taux de conversion de 0,88 dollar américain pour 1 dollar canadien pour l’année 2009 (dernière année disponible)[9]. Il devrait être à peu près le même en 2010[10]. C’est donc 88 dollars américains (et non 82 dollars américains) que coûtait le panier représentatif qui pouvait s’acheter au prix de 100 dollars canadiens au Canada en 2010. Ce taux de conversion de 0,88 doit être retenu pour convertir le revenu intérieur américain en unités de pouvoir d’achat comparables aux dollars canadiens dans lesquels est exprimé le revenu intérieur canadien[11].

Il est impératif de tenir compte que les prix sont nettement plus bas au Québec qu’ailleurs au Canada

Une dernière étape doit cependant être franchie. Comme on le sait par intuition ou observation, le prix d’achat moyen des biens et des services est plus bas au Québec qu’au Canada dans son ensemble. Cela veut dire que le panier représentatif qui coûtait 100 dollars canadiens au Québec en 2010 contenait un volume réel plus important de biens et de services que celui qui coûtait 100 dollars canadiens ailleurs au Canada. Par conséquent, ce panier québécois coûtait forcément plus cher à acheter aux États-Unis que le panier canadien identique qui s’achetait au prix de 88 dollars américains. Le taux de conversion des dollars américains en dollars canadiens dépensés au Québec était donc supérieur au taux de conversion de 0,88 des dollars américains en dollars canadiens dépensés en moyenne au Canada.

À combien peut-on estimer cette prime de conversion québécoise résultante par rapport à la moyenne canadienne ? Un premier élément d’information est fourni par les indices comparatifs des prix de détail (à la consommation) publiés annuellement par Statistique Canada pour 11 grandes villes canadiennes où vit 46 % de la population canadienne. La seule ville du Québec incluse dans le groupe est Montréal. Selon ces indices comparatifs, un panier de consommation coûtant en moyenne 100 dollars dans l’ensemble des 11 villes pouvait s’acheter au prix de 95 dollars à Montréal au mois d’octobre 2009[12].

Mais bien qu’ils donnent à entendre que les prix sont plus bas au Québec qu’ailleurs au Canada comme on s’y attend, ces indices calculés par Statistique Canada ont une portée imprécise, pour trois raisons[13]. Premièrement, Statistique Canada avertit que la liste des biens et les services comparés n’est pas « exhaustive » et ne contient que « certains produits sélectionnés ». Deuxièmement, les régions rurales et les centres urbains autres que les 11 grandes villes sont exclus du calcul. Troisièmement, les prix comparés ne concernent que des produits de consommation; les prix des biens d’équipement, de la construction et des services publics, qui font aussi partie des achats d’une collectivité, ne sont pas considérés. Si on corrigeait ces trois exclusions, le prix moyen de l’ensemble des biens et services achetés au Québec pourrait être supérieur ou inférieur à 95 % du prix moyen correspondant pour l’ensemble du Canada.

Une façon de résoudre les deux premières difficultés est d’avoir recours à la mesure du panier de consommation publiée périodiquement par Ressources humaines et Développement des compétences Canada avec la collaboration de Statistique Canada[14]. Cette mesure rapporte le coût moyen d’un panier de biens et services précis pour une unité familiale (personne seule ou famille économique de deux personnes ou plus) standardisée pour sa taille par une échelle d’équivalence. Le régime de consommation visé n’est pas le moins coûteux qui puisse répondre aux besoins essentiels des familles, mais il est choisi plutôt de façon à satisfaire aux besoins « ordinaires » d’une famille canadienne. Le panier couvre un large éventail de produits de consommation, et non seulement « certains produits sélectionnés ». Des prix différents sont enregistrés pour 48 régions géographiques dans les 10 provinces canadiennes (19 centres urbains et 29 autres collectivités de plus petites taille), et non seulement pour les 11 grandes villes. Le coût du panier peut ainsi varier d’une région géographique à l’autre selon les différences observées dans les prix de ses divers éléments constituants.

L’application de cette méthode indique que le panier de consommation coûtant en moyenne 100 dollars dans l’ensemble du Canada pouvait s’obtenir en moyenne au prix de 90,60 dollars dans l’ensemble du Québec en 2007.

La troisième difficulté à résoudre découle du fait que, dans une année de bonne conjoncture comme 2007,  les achats de consommation au Québec ne représentaient que 59 % du total de tous les achats de la collectivité. Si on veut comparer adéquatement le prix moyen de tous les achats (et non seulement des achats de consommation) au Québec à celui de l’ensemble du pays, il est nécessaire d’étendre les estimations aux prix des biens d’équipement (7 % des achats en 2007), des bâtiments (13 %) et des services publics (21 %). Une façon simple d’y arriver est de calculer, dans chacun des trois secteurs, le rapport Québec-Canada pour les coûts de main-d’œuvre et de supposer que les coûts non salariaux y observent le même rapport Québec-Canada que les prix à la consommation hors logement[15]. Le résultat de ce calcul est que le panier représentatif de biens de consommation, de biens d’équipement, de bâtiments et de services publics acheté au prix moyen de 100 dollars canadiens au Canada coûtait 93,30 dollars canadiens au Québec en 2007.

Si on accepte de prolonger ce résultat à 2010 (les prix relatifs interprovinciaux étant plutôt stables dans le temps) et qu’on le combine avec l’estimation préalable à l’effet que le même panier valant 100 dollars canadiens en moyenne au Canada s’obtenait au prix de 88 dollars américains aux États-Unis cette année-là, il faut en déduire que ce qui coûtait 100 dollars canadiens au Québec s’achetait au prix de 94,30 dollars américains aux États-Unis (puisque 88/0,933 = 94,30).

En 2010, le niveau de vie du Québec équivalait à 80 % de celui des États-Unis et à 95 % de celui de l’Ontario

Il s’ensuit que le revenu intérieur par habitant des États-Unis, qui était de 47 437 dollars américains en 2010, aurait accordé en moyenne aux résidents de ce pays le même pouvoir d’achat que leur aurait procuré un revenu intérieur par habitant de 50 304 dollars canadiens au Québec (puisque 47 437/0,943 = 50 304). Comme le revenu intérieur par habitant du Québec s’établissait à 40 174 dollars canadiens cette année-là, il faut en conclure que le niveau de vie moyen des Québécois équivalait à 79,9 % de celui des Américains (puisque 40 174/50 304 = 0,799). Le niveau de vie moyen du Québec retardait donc de 20,1 % sur celui des États-Unis.

La même méthode de calcul peut être appliquée pour comparer le pouvoir d’achat (le niveau de vie) du Québec à celui de l’Ontario. On aboutit aux résultats suivants. D’une part, le panier de consommation qui coûtait 100 dollars canadiens au Québec en 2007 pouvait s’obtenir au prix de 113,90 dollars canadiens en Ontario. D’autre part, le panier représentatif plus global comprenant non seulement les biens de consommation, mais aussi les biens d’équipement, les bâtiments et les services publics, et acheté au prix moyen de 100 dollars canadiens au Québec coûtait 109,40 dollars canadiens en Ontario cette année-là. Portés à 2010, ces résultats signifient que le revenu intérieur par habitant de l’Ontario, qui était de 46 380 dollars américains, aurait accordé en moyenne aux résidents de cette province le même pouvoir d’achat que leur aurait procuré un revenu intérieur par habitant de 42 391 dollars canadiens au Québec (puisque 46 380/1,094 = 42 391). À 40 174 dollars canadiens, le revenu intérieur par habitant du Québec de 2010 se trouvait donc à équivaloir à 94,8 % de celui de l’Ontario en pouvoir d’achat. Le niveau de vie du Québec était donc inférieur de 5,2 % à celui de l’Ontario.

En résumé, en 2010, le niveau de vie du Québec équivalait environ à 80 %  de celui des États-Unis et à 95 % de celui de l’Ontario. Ces estimations se démarquent nettement de la méthode utilisée par les gens pressés qui se contentent d’utiliser le taux de conversion de 0,82 dollar américain pour 1 dollar canadien qu’il est facile d’extraire de la banque de données de l’OCDE. Ils font l’erreur de diviser le revenu intérieur par un prix de vente moyen plutôt qu’un prix d’achat moyen et, en plus, de négliger complètement le fait que les prix sont plus bas au Québec qu’ailleurs au Canada. Pour la comparaison avec les États-Unis, cette procédure incorrecte transforme le revenu par habitant de 47 437 dollars américains de ce pays en un revenu équivalant à 57 850 dollars canadiens (puisque 47 437/0,82 = 57 850). Ce montant pour 2010 dépasse de 44 % le revenu par habitant de 40 174 dollars canadiens du Québec (puisque 57 850/40 174 = 1,440). Pour la comparaison avec l’Ontario, aucune conversion n’est alors appliquée au revenu par habitant ontarien de 46 380 dollars canadiens. Cela donne à croire qu’en 2010 le niveau de vie ontarien était supérieur de 15 % au niveau de vie québécois (puisque 46 380/40 174 = 1,154).

Conclusion : des sources d’encouragement pour l’avenir

Il y a trois sources d’encouragement pour l’avenir.

La première est que, relativement parlant, la performance économique globale du Québec depuis vingt ans a été bonne. De 1989 à 2009, notre niveau de vie[16] a progressé de 29 %, soit deux fois plus que celui de l’Ontario (+13 %) et presque autant que celui des États-Unis (+31 %)[17]. Si la tendance se maintient, ce n’est qu’une question de temps avant que le Québec rejoigne ou même dépasse l’Ontario. Cela fait ressortir avec encore plus de clarté qu’au cours des prochaines décennies l’objectif fondamental du Québec en matière de création de richesse doit être de « partir à la chasse » de la productivité américaine. Un écart de 20 %, c’est énorme. Il ne faut pas nous faire d’illusion : le chemin à parcourir sera long. Il faut nous armer de courage et essayer de voir ce qu’il faut améliorer ou carrément changer dès aujourd’hui dans nos comportements et nos politiques sous cet angle.

La deuxième source d’encouragement est que, si le revenu par habitant est plus faible au Québec, c’est en partie parce que plusieurs Québécois choisissent volontairement de travailler moins d’heures par année que les Ontariens et les Américains, et non pas purement à cause d’une quelconque incapacité structurelle[18]. Pour 2007, dernière année « normale » avant la récession de 2008-2009, la méthode développée par Statistique Canada pour estimer les heures annuelles travaillées par emploi donne 1 851 heures par emploi aux États-Unis, 1 745 heures en Ontario et 1 663 au Québec[19]. Il faut également tenir compte du fait qu’une fraction plus faible de la population de 55 à 64 ans était au travail au Québec (49,8 %) qu’en Ontario (59,5 %) et aux États-Unis (61,8 %), en partie parce que les départs à la retraite sont plus hâtifs au Québec qu’ailleurs[20]. En pondérant ces deux phénomènes de manière appropriée[21], on trouve que le nombre d’heures annuelles travaillées par habitant au Québec équivalait à 92,5 % de celui de l’Ontario et à 87,2 % de celui des États-Unis. Par habitant, les Québécois travaillaient donc 7,5 % moins d’heures que les Ontariens et 12,8 % moins d’heures que les Américains. Les Américains en emploi travaillaient en moyenne 188 heures de plus par année que les employés québécois (puisque 1851 – 1663 = 188). De plus, les Américains de 55 ans ou plus étaient 4,5 millions plus nombreux à rester en emploi que s’ils partaient à la retraite aussi tôt que les Québécois.

Deux conséquences s’ensuivent. Premièrement, bien que, dans une année normale, les heures travaillées par habitant au Québec soient 7,5 % plus faibles que celles qui sont enregistrées en Ontario, le revenu intérieur réel par habitant des Québécois, comme on a vu, n’a été inférieur que de 5,2 % au revenu réel par habitant des Ontariens en 2010. Cela veut dire que le niveau de vie des Québécois était potentiellement supérieur de 2,5 % à celui des Ontariens (puisque 0,948/0,925 = 1,025), mais que nos concitoyens tendent à utiliser normalement 7,5 % de cette richesse potentielle pour acquérir plus de temps libre (en travaillant moins d’heures), de sorte que leur niveau de vie effectif finit par s’établit à 5,2 % en dessous de celui de leurs voisins ontariens. Plus de temps libre s’achète au prix d’un revenu monétaire plus bas.

Deuxièmement, le fait que, dans une année normale toujours, les Québécois travaillent 12,8 % moins d’heures par habitant que les Américains, mais que leur revenu intérieur réel par habitant se soit retrouvé à 20,1 % sous celui des Américains en 2010, signifie que, même en travaillant autant d’heures par habitant que les Américains, les Québécois auraient atteint un niveau de vie qui aurait été encore 8,4 % plus faible que celui de leurs voisins du sud (puisque 0,799/0,872 = 0,916). Cela confirme que la distance qui nous sépare du niveau de vie moyen des États-Unis est encore grande, mais que le rattrapage peut s’envisager dans un délai acceptable. Ce doit être pour nous une source de motivation supplémentaire.

La troisième source d’encouragement est que, pour peu qu’on se préoccupe non seulement du rythme de création de la richesse, mais aussi de son partage équitable entre les citoyens, le Québec fait jusqu’ici bien meilleure figure que l’Ontario et les États-Unis. Premièrement, la pauvreté absolue est moins répandue au Québec qu’en Ontario et aux États-Unis. En 2007, par exemple, le pourcentage de la population qui n’avait pas les moyens de se procurer un modeste panier de consommation (identique pour les deux provinces) après impôt et transferts était de 8,5 % au Québec et de 10,3 % en Ontario[22].

Deuxièmement, les inégalités entre riches et pauvres sont moins prononcées au Québec qu’en Ontario et aux États-Unis. En 2009, le revenu moyen après impôt et transferts des 20 % les plus riches équivalait à 11,2 fois celui des 20 % les plus pauvres aux États-Unis, à 5,9 fois en Ontario et à 4,7 fois au Québec[23]. Ce rapport a considérablement augmenté aux États-Unis et en Ontario depuis les années 1975-1980, mais pas du tout au Québec[24]. L’affirmation récurrente et répandue selon laquelle, globalement parlant, « les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent » est vraie dans le cas des États-Unis et de l’Ontario, mais elle est fausse dans le cas du Québec, du moins en ce qui concerne le revenu après impôt et transferts.

Troisièmement, la concentration de la richesse est extrême aux États-Unis, moins prononcée en Ontario, et encore moins au Québec. En 2007, avant la récession, le plus riche 1 % des contribuables a capté 24 % du revenu avant impôt et transferts aux États-Unis, 15 % en Ontario et 11 % au Québec[25]. Les plus riches 5 %, eux, en ont absorbé près de 40 % aux États-Unis, 29 % en Ontario et 25 % au Québec. Cette observation a conduit Jean-François Lisée et moi-même[26] à observer que, si on retire de la population les 5% les plus riches, le revenu moyen des 95 % qui restent est à peu près le même au Québec qu’aux États-Unis. Il n’y a rien de mystérieux dans ce calcul. Si les 5 % les plus riches captent 40 % du revenu total de la nation aux États-Unis, mais seulement 25 % au Québec, et si on pose égal à 100 le revenu moyen par habitant de tous les Américains et à 80 celui de tous les Québécois, alors retirer les 5 % les plus riches de la population laissera un même revenu moyen par habitant de 60 pour les autres 95 % au Québec comme aux États-Unis. Simple règle de trois. Contrairement à la situation américaine, où une inégalité extrême du revenu côtoie un niveau de vie moyen élevé, certains pays (Norvège, Pays-Bas, Belgique, France) ont été capables d’atteindre un niveau de productivité aussi élevé que les États-Unis[27] sans que cela s’accompagne d’un dérapage inégalitaire invraisemblable.

Il faut espérer que ce sera le chemin qu’empruntera le Québec.


[1] Estimations de l’Institut de la statistique du Québec et de Statistique Canada (juillet 2011). Le revenu intérieur est aussi appelé « produit intérieur brut ».

[2] Estimations du ministère des Finances de l’Ontario et de Statistique Canada pour l’Ontario (juillet 2011); du ministère américain du Commerce pour les États-Unis; et du Fonds monétaire international pour la Suède et la France.

[3] Toutes les données du présent paragraphe sont tirées des tableaux 380-0017 et 384-0002 de la Banque de données CANSIM de Statistique Canada. Concrètement, le prix de vente moyen est assimilé à l’indice de prix du PIB et le prix d’achat moyen, à l’indice de prix de la « demande intérieure finale » au sens de la comptabilité nationale.

[4] Erwin Diewert et Catherine Morrison, « Adjusting outputs and productivity indexes for changes in the terms of trade », Economic Journal, vol. 96, septembre 1986, p. 659–679. Diewert est sans conteste le leader mondial de la recherche sur les indices de prix.

[5] Pierre Duguay, « « Productivité, termes de l’échange et ajustement économique », Exposé présenté au congrès de la Canadian Association of Business Economists, Banque du Canada, 2006. Duguay s’appuyait notamment sur les travaux de l’économiste suisse Ulrich Kohli, « PIB réel, RIB réel et gains commerciaux : Canada, 1981-2005 »,  Observateur international de la productivité, no 13, automne 2006, p. 51-62.

[6] John Baldwin et Ryan Macdonald, « PPA ou PPP : parité de pouvoir d’achat ou parité de pouvoir de production ? » Document de recherche no 58, Division de l’analyse économique, No 11F0027M au catalogue, Statistique Canada, 2009. Une mise à jour jusqu’en 2009 a été publié depuis dans Statistique Canada, « Parités de pouvoir d’achat et dépenses réelles, États-Unis et Canada, 2002 à 2009 », Document de recherche no 064, Division des comptes des revenus et dépenses, No 13-064M au catalogue, 2011.

[7] Robert Feenstra, Alan Heston, Marcel Timmer et Haiyan Deng, « Estimating real production and expenditures across nations : a proposal for improving the Penn World Tables », The Review of Economics and Statistics, vol. 91, no 1, février 2009, p. 201-212.

[8] Source : OCDE, Banque de données OECD.Stat (juillet 2011).

[9] Source : Statistique Canada, Banque de données CANSIM, tableau 380-0058.

[10] Ceci, parce que les prix d’achat moyens (prix de la « demande intérieure finale ») ont évolué de façon parallèle dans les deux pays en 2010.

[11] Sans trop y penser, nombre d’économistes canadiens utilisent encore le taux de conversion de l’OCDE pour comparer les pouvoirs d’achat du Canada et des États-Unis. Ils ne sont pas incompétents, mais pressés. Ils n’ont simplement pas toujours le temps d’accorder l’attention requise aux développements de la littérature scientifique des deux dernières décennies sur le sujet.

[12] Source : Statistique Canada, Banque de données CANSIM, tableau 326-0015.

[13] Les raisons analysées ci-dessous ont été soulevées par Statistique Canada et par le ministère des Finances du Québec. Voir Statistique Canada, L’indice des prix à la consommation, Mai 2011, No 62-0001-X au catalogue, juin 2011, p. 61-62; et Finances Québec, « Le niveau de vie des Québécois : un écart subsiste par rapport à celui de nos voisins », Analyse et conjoncture économiques, vol. 5, no 1, novembre 2003, p. 2-3.

[14] Ressources humaines et Développement des compétences Canada, « Le faible revenu au Canada de 2000 à 2007 selon la mesure du panier de consommation : rapport final », Document SP-909-07-09F, Ottawa, 2009. L’utilisation de la mesure du panier de consommation a été recommandée par l’ancien statisticien en chef adjoint de Statistique Canada, Michael Wolfson, maintenant rattaché à l’Université d’Ottawa.

[15] Cette méthode est semblable à celle qui a été retenue pour les comparaisons des coûts des services publics au Québec et en Ontario par le Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques, Le Québec face à ses défis, fascicule 1, Gouvernement du Québec, décembre 2009.

[16] On continue ici de définir le niveau de vie comme le revenu intérieur réel par habitant, c’est-à-dire le revenu intérieur par habitant divisé par le prix d’achat moyen des biens et des services (prix de la « demande intérieure finale »).

[17] Au cours de cette période, le niveau de vie a augmenté de 19 % en Colombie-Britannique. Les trois provinces maritimes ont très bien fait (+39 %). De leur côté, les trois provinces productrices de pétrole, l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve, ont vu leur niveau de vie s’accroître collectivement de 69 %. Manifestement, en raison de l’explosion du prix mondial du pétrole, la hausse du niveau de vie de ces trois provinces a été complètement hors d’atteinte pour les sept autres. Compte tenu de cette dualité structurelle de l’économie canadienne, comparer le Québec à un ensemble « reste du Canada » qui inclut les trois provinces pétrolières n’a guère de sens.

[18] Il ne s’agit évidemment pas ici des chômeurs ou des travailleurs qui sont involontairement à temps partiel. Ces deux groupes disposent de temps libre, mais contre leur volonté.

[19] La méthode est celle qu’a développée Jean-Pierre Maynard, Une comparaison du PIB par habitant au Canada et aux États-Unis de 1994 à 2005, Document analytique no 016, Division de l’analyse microéconomique, No 11-624-MIF au catalogue, 2007.

[20] Sources : Statistique Canada, Banque de données CANSIM, tableau 282-0002; Bureau américain des statistiques du travail (www.bls.gov).

[21] Les trois économies étant au plein emploi en 2007, le niveau plus faible des heures par emploi qui est rapporté pour le Québec est supposé entièrement volontaire. Ce phénomène est récent au Québec. Avant 1975, le nombre moyen d’heures annuelles travaillées par personne employée était plus élevé au Québec qu’en Ontario. Par contre, seulement la moitié environ  de l’écart de taux d’emploi des 55-64 du Québec avec l’Ontario est jugé volontaire, parce qu’une partie de la population de ce groupe d’âge au Québec, nettement moins scolarisée, souffre d’un sous-emploi involontaire chronique.

[22] Source : Ressources humaines et Développement des compétences Canada, Op. cit., tableaux 8e et 8f. Une  donnée comparable pour les États-Unis n’est pas disponible, mais nul ne peut douter que la pauvreté absolue est plus répandue dans ce pays qu’au Québec et en Ontario.

[23] Sources : Statistique Canada, Banque de données CANSIM, tableau 202-706; Congressional Budget Office, Average Federal Taxes in 2007, Washington, juin 2010.

[24] En 1980, le rapport était égal à 6,7 fois aux États-Unis et à 4,6 fois au Québec et en Ontario.

[25] Sources : Emmanuel Saez, « Striking it richer : the evolution of top incomes in the United States, updated July 2010 », à l’adresse elsa.berkeley.edu/~saez/; Agence du revenu du Canada, Statistiques finales, édition 2009 pour l’année fiscale 2007, Ottawa, 2009; Ministère du Revenu du Québec, Statistiques fiscales des particuliers, année d’imposition 2007, Québec, 2010.

[26] « Les Québécois plus riches que les Américains ? » L’actualité, 15 juin 2011, p. 60.

[27] Source : OCDE, Banque de données OECD.Stat (juillet 2011).

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Question de l’économiste de l’Institut économique de Montréal, Youri Chassin, suite à notre article d’origine:

Bonjour M. Lisée,

Je tente de retrouver la critique de Statistique Canada par rapport à la PPA   de l’OCDE et tout ce que je trouve dans la publication en question est le paragraphe suivant faisant état de différences méthodologiques:

Les données sur la PPA provenant de l’étude multilatérale de l’OCDE,  exprimées en termes d’unités de devises étrangères par dollar canadien, sont également publiées par Statistique Canada. Comme on peut le voir dans le graphique 4, la PPA de l’OCDE pour l’économie totale (États-Unis/Canada) est moins élevée que celle de la présente étude, en raison de l’utilisation, dans ce rapport, d’estimations améliorées des prix, incluant une estimation différente de la PPA pour la balance commerciale (voir la section 6 pour une explication plus détaillée)et à la mise-à-jour de données sur les dépenses (pondérations). La différence tendancielle entre les deux séries PPA provient des différences dans les méthodes de projection. Les PPA de Statistique Canada utilisent les changements relatifs des indices de prix implicites pour la demande intérieure finale des deux pays, ce qui englobe les variations des termes de l’échange. De leur côté, l’OCDE continued’utiliser une projection des PPA basée sur le changement relatif entre les deux pays des prix implicites du PIB.

Finalement, est-ce qu’on peut vraiment dire que l’OCDE s’est trompé?

YC

Réponse de Pierre Fortin:

Allo Youri,

Oui, on peut dire que l’OCDE se trompe dans son calcul, s’il s’agit de comparer les niveaux de vie plutôt que les volumes de production. Le niveau de vie s’obtient en divisant le PIB nominal (égal au revenu total en dollars courants) par le niveau moyen des prix DE CE QU’ON ACHÈTE, c’est-à-dire le prix de la demande intérieure finale (C+I+G). (Évidemment, le tout divisé par la population.) Cela donne un pouvoir d’achat moyen. Si on divise à la place par le niveau moyen des prix DE CE QU’ON VEND, c’est-à-dire le prix de la dépense intérieure brute (C+I+G+X-M), alors on obtient un volume de production, pas un niveau de vie. Si les termes d’échange (le rapport entre le prix de ce qu’on vend et le prix de ce qu’on achète) sont les mêmes pour le Canada que pour les
USA, il n’y a pas de différence. Mais ce n’est certainement pas le cas quand on compare ces deux pays au cours des 30 dernières années. Statistique Canada a raison, l’OCDE a tort.

Note: Niveau de vie = NV = PY*Y/PA = (PY/PA)*Y = (termes d’échange)*(PIB réel). Statcan calcule NV, tandis que l’OCDE calcule Y. Si tu veux en savoir plus, contacte John Baldwin ou Jean-Pierre Maynard à Statcan.

Pour la comparaison entre les 95% les moins riches au Québec et aux USA, une historiette est utile. Suppose, pour simplifier, que le revenu moyen par habitant (niveau de vie) aux USA est 100 et qu’au Québec il est 80. Si les 5% plus riches captent 40% du revenu aux USA et 25% au Québec, il en restera exactement 60 pour les 95% suivants dans un pays comme dans l’autre. L’affirmation centrale que JF et moi faisons n’est pas plus compliquée que cela.

Nous ne cherchons pas du tout à dire que l’économie québécoise est globalement aussi riche que l’économie américaine. Elle est 22% moins riche. C’est déjà très GROS, pas besoin de gonfler l’écart à 45% en utilisant le mauvais calcul. Nous concluons, comme toi, que nous devons nous grouiller pour accélérer notre productivité globale. Mais nous disons deux choses: 1) les Québécois ne sont pas uniformément POCHES comme un certain discours ambiant le laisse entendre, la preuve étant que nous avons déjà réussi à rattraper l’Ontario (dans un mouvement qui a commencé bien avant que l’économie ontarienne ralentisse), de sorte que nous avons une base sur laquelle nous pouvons nous motiver (comme nous le disons dans L’actu); à force de tromper nos concitoyens en clamant partout que nous sommes irrécupérablement poches, plus personne ne va nous écouter, ou encore tout le monde sera découragé; 2) la distorsion dans la répartition des revenus aux USA est extrême; nous espérons que le Québec saura imiter la productivité américaine, mais non la manière dont elle est partagée.

Pierre

Note en petits caractères :

Les billets « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, tant s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses et importantes visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.