En 2006, j’avais écrit pour L’actualité un texte sur les joies d’être père. J’avais alors deux enfants. Ils sont maintenant cinq. Lisez donc ce texte, que j’offre pour la fête des pères, et multipliez-le par deux et demi !
J’ai 1001 raisons d’avoir des enfants à partager avec vous.
Mais je ne vous cacherai rien. Avoir des enfants est une hénaurme demande d’énergie. Un paquet de troubles. Surtout pendant, disons, les 122 premiers mois. Ils vous réveillent la nuit, vomissent dans votre lit, crachent sur vos belles chemises, essuient leurs bottes sur vos pantalons, cachent vos clefs sans se souvenir où ils les ont mises ou même s’ils les ont prises.
On na pas tout saisi de la condition humaine tant qu’on na pas transporté, dans ses bras, sous la pluie, tenant un sac d’épicerie et un sac d’écolier, le long de trois pâtés de maisons et sous les regards accusateurs, une enfant gesticulant et hurlant de colère d’avoir dû quitter la maison d’une amie, et qui ponctue ses pleurs de stridents: « Je te déteste, je ne veux plus jamais te voir ! » (20 minutes plus tard, elle vous dira qu’elle vous adore.)
Vous êtes sportif? Avoir la forme est obligatoire. Notez cependant que, en forme ou pas, il est extrêmement difficile de convaincre un enfant de monter sur le siège d’appoint d’un vélo s’il a décidé de vous tenir tête.
Les couches? Ah, les couches! C’est un peu répugnant la première semaine, puis on s’habitue. La garderie? C’est le festival des microbes. Une maladie n’attend pas l’autre. Un véritable abonnement Nautilus pour les anticorps parentaux. Avant les enfants, on ne voit pas où va tout l’argent qui est prélevé sur nos salaires pour la santé. Après, à la 30e visite à Sainte-Justine, on saisit parfaitement le caractère redistributif, favorable aux familles, du régime public d’assurance maladie.
Et puis, il y a la discipline. Toujours répéter. Combien de fois faudra-t-il te le dire: mets tes bottes! C’est usant à la fin. Et le classique, venu de mon enfance, sorti spontanément de mon gosier, me faisant plus peur qu’à eux, proféré d’un ton menaçant: Va-tu falloir que papa y aille? Voilà où j’en suis.
(Le texte continue après la pub.)
Lorsque toute cette intendance était assumée par le beau sexe, je suppose que nos pères et grands-pères trouvaient la chose supportable. C’était zizi panpan pendant la nuit de noces, puis un peu d’autorité à exercer au retour du champ, du chantier, de la factrie, du magasin, du bureau. Puis, on donnait la jeune mariée au gendre. Pas étonnant que l’adaptation soit difficile pour les nouveaux pères que nous sommes.
Ah oui. Je me souviens d’avoir annoncé plus tôt 1 000 raisons d’avoir, malgré tout, des enfants. Je les présente dans le désordre.
Raison 66: Pour communiquer avec notre indispensable gardienne, nous écrivons des notes sur un petit panneau fixé au frigo. Trouvé à notre retour, un vendredi soir: Cher Irma, Laisez les enfan écoutez la téler ce soir. Merci.
Raison 38: Elle, et lui à trois ans de distance: Papa, la lune nous a suivis jusqu’au chalet !
Raison 12: Les câlins collectifs. Les câlins express.
Raison 100: On peut avoir des enfants à tout âge. J’ai eu les miens à 40 et 44 ans. Cela a ses avantages. Un ami, qui a procréé dans la vingtaine, me raconte son andropause: Tu es à un moment où tu te demandes si tu as fait de bons choix de vie. Ce que ta carrière a vraiment changé, pour toi, pour le monde. Si tu n’as pas manqué d’audace. Et là, ton flo de 16 ans te dit: Tes qui, toi ? Qu’est-ce que tas fait de si génial pour me donner des ordres ? Si t’es pas un raté, prouve-le !
Je ne sais pas si j’ai assez diplomatiquement répondu que, pendant que je me posais ces mêmes questions, que je vivais les mêmes angoisses existentielles, ma fille, de trois ans, me disait: Papounet, le plus beau, le plus fort et le plus gentil du monde, je t’aime trop. Voudrais-tu te marier avec moi ?
Raison 11: Les attaques de bisous. Les concours de bisous.
Raison 18: On peut revoir Les sentinelles de l’air, relire Tintin et Astérix, en disant que c’est pour eux.
Raison 29: Lui, trois ans: Les muffins aux bibittes de chocolat, j’aime trop.
Raison 6: À deux ans, elle tombe du quai, tout habillée. Je suis tout près et la sors de l’eau immédiatement. Peu après, pendant que sa mère la sèche, je l’entends demander: Maman, quand tu étais petite, ton papa ta-t-il sauvé la vie, à toi aussi ?
À ce moment, exactement, j’ai su que j’étais devenu quelqu’un.
Raison 650: Il nous annonce que, demain, la garderie se rend à la planète Arium.
Raison 3: Il y a des instants où on voit, en direct, en chair et en os, une incarnation du bonheur. L’autre jour, fiston était debout dans la cuisine. Il tournait lentement sur lui-même, dodelinait de la tête d’un côté et de l’autre, en fredonnant un air tout simple. Le geste d’un enfant à la fois complètement insouciant, complètement dans son univers, complètement à l’aise. Ça vaut son pesant de couches.
Raison 8: Ces petits êtres ouvrent en nous des canaux émotifs dont on ne soupçonnait pas l’existence.
Raison 272: À trois ans, elle veut 1 000 enfants. Ils sortiront de son ventre en se tenant par la main. Comme ça fait tout de même pas mal de monde à élever, les premiers sortis, de toute évidence nettement plus vieux, s’occuperont des plus jeunes.
Raison 4: On apprend la patience. Une vertu applicable ensuite à toutes nos autres activités. On affine notre autorité. Elle aussi exportable. On comprend qu’il faut combiner les deux. Inestimable.
Raison 28: Les questions de fond. Papa, ceux qui ont écrit la Bible, comment ils savaient que c’était vrai ce qu’ils écrivaient ? (Suit une explication super-vulgarisée sur la vérité révélée.) Oui, mais ils peuvent l’avoir inventé. Tu les crois, toi ?
Raison 67: À cinq ans, elle nous fait une petite régression. Elle veut qu’on l’aide à manger à la cuillère. On refuse. Son frère, deux ans, se désole de la situation. Il s’extirpe de sa chaise haute et, cuillère à la main, nourrit sa grande sœur. Ce qui a durablement réglé le problème.
Raison 13a: Elle, cinq ans et demi. Discussion vestimentaire.
Elle: Je peux avoir un gilet bedaine ?
Moi: À quoi ça sert?
Elle: À avoir l’air sexy.
Moi: Qu’est-ce que c’est, avoir l’air sexy?
Elle: C’est avoir l’air cool.
Moi: Et qu’est-ce que c’est, avoir l’air cool?
Elle: On a l’air cool, c’est tout.
Les parents sont poches.
Raison 13b: Interdire le mensonge, mais permettre la blague. Faire comprendre la différence. Donc, mieux la saisir soi-même.
Raison 22: Les discussions lourdes. En voiture. À quatre ans.
Moi: Tu aimes la vie, ma chouette?
Elle: Ouais, mais j’aime aussi la mort.
(Contraction soudaine des tripes paternelles.)
Moi: Ah bon, pourquoi?
Elle: Parce que je pourrai voir Jean-Claude et papa René (ses grands-pères décédés).
Moi: Très bien, ma belle. Ils vont être contents de te voir, mais ils sont là pour l’éternité. C’est long, ça. Alors ils veulent que tu vives toute une vie pleine d’aventures pour avoir beaucoup de choses à leur raconter quand tu monteras au ciel.
Elle: Ah, oui, c’est vrai, je n’y avais pas pensé.
(Décontraction lente des tripes paternelles.)
Raison 804: Apprendre à brosser les cheveux d’une petite fille. Lui faire des lulus, des chignons. Je suis nul en tresses.
Raison 444: Il fabrique de banales colonnes de cubes Lego pendant des semaines, puis paf! il se présente à vous avec une armada de bateaux tridimensionnels munis de trous pour les canons et d’accessoires à couper le souffle. On ne sait pas lequel, du soulagement ou de la fierté paternelle, est le plus grand.
Raison 16: Entre cinq et sept ans, ils apprennent à lire. À lire bien. Puis, on entend l’aînée faire la lecture à son cadet. Plus attendri, tu meurs.
Raison 117: Entendant à trois ans la chanson Lady Marmalade, sur ma bande son de Moulin Rouge!, il demande: Pourquoi est-ce que ces dames veulent dormir avec moi ?
Raison 22: Les questions délicates.
Elle, à cinq ans: Comment le papa met-il la graine dans la maman pour faire le bébé ?
Moi: Chérie, quand les deux parents s’aiment beaucoup…
Elle coupe: Oui, oui, mais comment il met la graine ?
Moi: Eh bien, ma belle, les parents font un gros câlin, lorsqu’ils s’aiment beaucoup…
Elle coupe: Quelle sorte de câlin ?
Moi: Un câlin spécial, ma chouette.
Elle: Comment, spécial ?
Moi: Un câlin spécial secret que font les grandes personnes qui s’aiment et que tu connaîtras quand tu seras une grande personne!
(Il faut aussi savoir comment ne pas répondre aux questions.)
Raison 23: Les dialogues entre eux, quand ils pensent qu’on ne les entend pas. Et qu’ils reprennent nos paroles, nos intonations, nos règles. Et dire qu’on pensait qu’ils ne nous écoutaient pas !
Raison 101: Au début, pour peu que l’on prête attention, on sait tout ce qu’ils savent: les conversations, les jouets, les sorties, les émissions de télé. Alors, on suit à la trace comment ces éléments se recombinent dans leurs cerveaux et on s’en émerveille. Petit à petit, avec la garderie, l’école, les amis, les intrants nous échappent. Pour Internet, c’est trop tard. Je l’initiais de façon homéopathique à l’engin, et la voilà qui revient de l’école en m’annonçant qu’il faut cliquer sur Internet Explorer (prononcez: explorez), puis aller sur Gogol ou faire directement, je la cite: Triple double v point games papa …
Raison 007: On peut se refaire. Mes enfants savent de moi que j’aime le piano, que j’adore le canot, fais des exercices quotidiens, aime glisser, patiner et faire des tunnels, adore les devoirs et les haricots. Ils m’auraient rencontré à 38 ans, ils ne m’auraient pas reconnu. Je m’aime mieux maintenant.
Raison 72: Tout l’apprentissage. Au début, elle nommait deux couleurs. Il y avait jaune. Il y avait pas jaune.
Raison 68: Les sautes d’humeur. Adultes, nous avons la capacité de rester en colère, ou de bonne humeur, pendant de longs jours. La rancune est un muscle. Les adolescents l’ont développé. Pas les enfants. Ils passent de la panique au bonheur en une minute. Une gastro? Ils vomissent, puis se mettent à chanter. Une punition? Quand c’est fini, on peut rigoler de suite.
Raison 14: Ce qu’il aime du drapeau québécois? Les belles fleurs d’épices.
Raison 33: On refait connaissance avec soi-même. Par les enfants, on revoit l’enfant en soi, les sentiments qu’on avait oubliés, les engouements, les angoisses, les petites joies et les grandes découvertes. On jette un regard attendri sur son propre passé et on redécouvre ses propres parents. Ils sont devenus des complices, nous sommes entrés dans leur club. Nous sommes enfin à leur échelle et eux à la nôtre. On les aime autrement. Mieux.
Raison 1 000: Je ne veux pas exagérer, les gars. Mais sachant ce que je sais maintenant ou plutôt ressentant ce que je ressens maintenant , si on me disait que je devrais vivre sans jamais connaître le bonheur d’être père, ce serait, de très loin, la plus grande peine d’amour de ma vie. Je ne m’en remettrais jamais.
Bonjour Jean-François, Tu te souviens des diagrammes de Venn? Il m’est agréable de constater que tu te situes dans l’étroite intersection entre l’ensemble des écrivains et l’ensemble des génies. Merveilleux !!! Ton vieux prof de maths, Jean
Chanceux! En ce qui me concerne, le plus proche de la paternité fut une fausse couche. Le résultat d’une échographie croupit dans une boîte avec quelques cigares que je gardais, des fois que… j’aurai aussi été père Noël dans un centre d’achat. Pas eu d’enfants mais des équipages dont plusieurs capitaines auraient été jaloux. Ça atténue passablement mon regret. Bonne fête des pères.
Une très belle chronique prenante sur la parternité.
À la lecture de ce témoignage attendrissant, on devine l’auteur verser aussi des larmes d’un grand bohneur d’être papa.
Merci de cette franchise et de cette joie.
C’est dommage que parmi tous ces bons mots et ces réminiscences, il n’y ait aucune mention du modèle suprême qu’on doit faire connaitre à nos enfants. Je me rappelle avec fierté la fois que ma petite fille de 4 ans m’avait dit en allant se coucher « tu sais papa, mon meilleur ami, c’est Jésus ».
Latraverse …, rien de moins pour vous …, l’Écrivain !
https://www.youtube.com/watch?v=W6nP9B_Wjmc
Toi qui ris et qui t’amuses
Ou qui pleures comme une écluse
Sur l’ennui ou la fatigue
Que l’eau de ton âme irrigue
Ne m’en veuilles pas trop, j’espère
De t’avoir foutu sur terre
Volé a ta galaxie
Pour t’incorporer ici
De t’avoir donné ce trouble
Et ce mal qui nous dédouble
Entre les joies, les tourments
Les luttes et les déchirements
De t’avoir r’filé la vie
Sans te d’mander avis
C’est comme une affaire de cœur
Ne m’en tiens pas trop rigueur
Toi qui ris et qui t’amuses
Qui défends ou qui accuses
Hériteras tu de ton père
De son poilu caractère?
Donneras tu autant d’problèmes
Qu’il en a donné, lui même
Pour une révolte sans raison
Entre les anges et les démons?
Conçu en quelques secondes
Tu dois affronter le monde
Monde de peine et de misère
De ruses, de peur et de guerre
Tu connaîtras toi aussi
De l’homme toutes les folies
P’t’êt’ même qu’un jour tu auras
Un flo a qui tu diras:
« Tiens, mon gars! V’la un beau cadeau »
J’adore cet écrivain que j’ai connu dans les mordus durant la pandémie. J’ai hâte à la fin d’août pour écouter cette émission préférée …
Un très beau texte joyeux, véridique et émouvant à la fois. Bravo aux papas comme vous.
Vous avez écrit : «(Il faut aussi savoir comment ne pas répondre aux questions.)»
Tous les politiciens savent ça, non ?
Mais à mon avis, le grand expert en la matière était Robert Bourassa !
J’ai une pensée toute spéciale pour tous les hommes qui ont voulu mais qui n’ont pas pu être papa. C’est un drame dont les personnes qui peuvent faire ce choix ne peuvent comprendre la douleur et les conséquences. Car ne pas être papa veut aussi dire, entre autres, qu’on ne deviendra jamais grand-papa…
J’ai pris le temps de tout lire.
J’ai mal aux joues à force d’avoir souri.
J’ai eu mon unique fils à l’âge de 41 ans.
Ma mère, maintenant décédée, m’avait dit: ‘’ Dire que tu as failli manquer çà’
Elle avant donc raison.
hénaurme
Petite coquille trouvée
C’est volontaire !
Craquant, Jean-François !
Merci pour ce beau texte rempli de coeur au quotidien , ça me rapelle ces belles années qui sont passées un peu trop vite . Malgré que d’avoir quelques fois la garde des petits enfants nous ramènent un peu à nouveau dans ce monde , sans toutefois avoir autant de responsabilités .
Je viens juste découvrir en Jean-François Lisée un écrivain que je n’imaginais pas, vraiment captivant, sensible, réaliste et amusant.