51e État? C’est non! Sauf si…

Ah, elle est belle l’unité canadienne suscitée par l’affront trumpiste. Au lutrin de la course au leadership libéral, dimanche dernier, Jean Chrétien a blagué : « Je veux dire merci à Trump. Et je vais le proposer pour l’Ordre du Canada, parce qu’il a uni les Canadiens comme jamais auparavant. »

Le sondeur Angus Reid a mesuré l’ampleur de la colère suscitée chez les généralement polis et discrets Canadiens. Il constate que 90 % d’entre eux sont opposés à ce que, A mari usque ad mare, leurs Rocheuses, plaines, bancs de poissons et arpents de neige soient jamais annexés au melting pot états-unien.

Ce qui veut quand même dire qu’un Canadien sur dix est d’un autre avis. Sur 40 millions de citoyens, cela fait bien 4 millions de partants pour l’aventure américaine ! Seulement 8 % des Québécois sont du nombre, ce qui est davantage que chez nos voisins de l’Atlantique, qui ne sont que 3 % à être tentés.

Alors, qui sont les déserteurs potentiels ? Les Albertains ? Vous n’y êtes pas, ils ne sont que 10 %. C’est étonnant, je sais. Mais les Ontariens, eux, sont 14 % à succomber aux sirènes trumpistes, les Saskatchewanais, pas moins de 18 %. Aussi : les hommes (15 %) sont plus partants que les femmes (7 %), et les électeurs conservateurs (19 %), sont loin devant les autres. Les bloquistes ferment la marche à 2 %.

C’est intéressant, mais c’est loin de la zone critique. Cette chronique se terminerait ici en vous laissant dans un demi-sommeil canadien, si les sondeurs d’Angus and co. n’avaient pas poussé leurs ratours jusqu’à poser à leurs répondants conservateurs une question à peine hypothétique.

« Supposons que le Parti libéral emporte une majorité dans l’élection fédérale qui s’ouvre, voudriez-vous alors que votre province se joigne aux États-Unis ? » Tenez bien votre café. L’appui à l’annexion aux États-Unis, au sein de l’électorat conservateur, bondit à 33 % ! Un Canadien conservateur sur trois préfère être gouverné par Donald Trump que par Mark Carney. C’est beaucoup. Ce sont des Canadiens conditionnels. Attachés à leur pays seulement si leur parti favori est au pouvoir. Ce sont principalement des Canadiens conservateurs de l’engeance masculine, qui sont à 40 % des Américains dans l’âme ! Chez les mâles de 35 à 45 ans, le virus de rattachement au trumpisme atteint 48 % !

Le Québec est-il atteint ? You bet ! Dans la Belle Province, comme ailleurs, 33 % de nos Québécois conservateurs abandonneraient leur passeport canadien pour celui arborant l’aigle chauve.

Et l’Europe ?

Ah, mais comme le disait Sherlock, la pelote s’épaissit (ma traduction de the plot thickens), car un nombre encore plus grand d’électeurs sont tentés, non par l’aventure américaine, mais par l’européenne ! Une autre maison torontoise, Abacus Data, a demandé aux Canadiens s’ils souhaitent plutôt que le Canada devienne un État membre de l’Union européenne. En voilà une idée, qu’elle est bonne ! Cela ne suppose pas d’abandonner toute sa souveraineté, comme pour l’adhésion aux États-Unis. (Quoique, diraient les Brexiters, mais passons.) Alors, quelle est la température de cette fièvre européenne ? La mesure actuelle est de 46 %. Les opposants ne sont que 29 %, le reste, 25 %, sont incertains.

Bizarrement, les Québécois ne sont pas les plus européanistes des Canadiens, selon des données détaillées fournies au Devoir. Nos voisins ontariens le sont à 50 %, ceux de l’Atlantique, à 49 %. Et cela décline jusqu’aux moins disposés, à 39 % : nous ! Est-ce parce que nous les fréquentons davantage que nous sommes moins enthousiastes ? Mystère.

Il arrive ! Lévesque/Trudeau – Leur jeunesse, notre histoire
Pré-Commandez ici: http://laboitealisee.com/sectionlivres/

Donc, nous sommes en présence d’un conservateur canadien sur trois disposé à abandonner sa souveraineté canadienne pour passer aux États-Unis en cas d’élection de Mark Carney, et de plus d’un Canadien sur deux (en répartissant les indécis) disposé à jeter l’ancre, et une partie de sa souveraineté, dans les eaux territoriales européennes. Abacus ne leur a pas demandé s’ils voulaient adopter l’euro plutôt que le dollar canadien. Heureusement, ce serait une catastrophe monétaire.

Les deux sondages sont distincts, donc on ne peut vérifier si la volonté américaine et la volonté européenne se chevauchent ou se distinguent. Est-ce que les hommes, qui viennent de Mars, comme chacun sait, sont plus attirés par le guerrier américain, et les femmes, venant de Vénus, plus envoûtées par le charme des vieux pays ?

Sommes-nous en présence, à droite, d’un vague à l’âme canadien qui cherche à se réfugier chez plus fort que soi, n’importe où, ou plutôt face à une fracture dans une population dont un groupe tire à « hue-tas-unis » et la moitié de la population à « dia-bruxelles » ?

On peut lire ces chiffres autrement. Il y a les collabos, volontaires pour entrer dans le cercle de l’intimidateur, et les résistants, cherchant en Europe une camaraderie antiaméricaine.

Ces résultats témoignent en tout cas à la fois d’un réel et compréhensible désarroi, donc d’une recherche de solution structurante, et d’une fragilité de l’identité canadienne face à la menace d’annexion.

Ces mesures sont prises alors que les effets de la guerre commerciale ne se sont encore fait sentir sur presque aucun emploi, presque aucun prix en magasin. À quels niveaux se situeront, lorsque cela fera vraiment mal, l’instinct de soumission et l’instinct de résistance ? Les paris sont ouverts. Et attendez un peu, cher Jean Chrétien, pour la cérémonie de remise de l’Ordre du Canada. Elle deviendra peut-être sans objet.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans Canada, Identité par Jean-François Lisée, et étiqueté avec , . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

8 avis sur « 51e État? C’est non! Sauf si… »

  1. J’apprécie toutes vos chroniques sans exception mais l’idée d’une annexion par les États-Unis me fait tellement frémir d’horreur que je ne veux même pas considérer la chose de façon hypothétique et le moins qu’on parle d’une telle possibilité, mieux cela vaudra.
    Cordialement,
    Denise chatelier

  2. L’union de l’union européenne avec le Canada est la poursuite du neoliberalisme. Carney l’homme de Davos nous entraînera avec Melanie Thatcher dans un monde technocratique loin des jours ensoleillé. Le PQ et le BLOC suivront t’ils ce courant antidémocratique ? Comme ils l’on déjà fait.

    • Le commerce américain me semble la question de l’urne prochainement plutôt que la démocratie. La balle est au Bloc. Je souhaite que la démocratie soit la question de l’urne le 5 octobre 2026 quand le PQ aura la balle.

      16 avril 2014, ici, pour Yves-François Blanchet à Recherche

      Véronique. Rebâtir le lien de confiance avec les citoyens|, je dirais que c’est fait avec au moins les péquistes de longue date.

      Léo Bureau-Blouin et Alexis Deschênes. Difficultés de transmission, n’ajustez pas votre appareil.

      Yves-François Blanchet. « se libère aujourd’hui (16/04/14) de la ligne de parti ». « Il (le PQ ) devra aussi se réinventer sur la question nationale, la social-démocratie et le développement durable. … Je suis convaincu de la pertinence de la souveraineté du Québec. Elle n’est pas une fin, mais un moyen. … En ne reportant pas clairement après un autre scrutin un possible référendum sur la souveraineté, le Parti québécois est donc responsable de son propre recul. »

      Bernard Drainville. « L’élection du 7 avril ne portait pas sur la charte. Elle portait sur une vision du gouvernement en matière économique, sociale et identitaire et, il faut le reconnaître, s’est transformée en élection référendaire dont la question était : « Voulez-vous d’un référendum ?  »

  3. Avez-vous déjà pensé, en dehors des sondages, qu’un gouvernement légitimement élu sur un tel programme, pourrait proposer aux É.U, un projet de SOUVERAINETÉ-partenariat qui fut rejeté 2 fois, AVEC MÉPRIS, par le Cadenas (Trudeau, père en 1980 et Chrétien en 1995), ce qui nous éviterait de passer par un référendum, ce piège à cons, soufflé dans l’oreille de Claude Morin, avec le résultat que l’on connait. Avec les Républicains au pouvoir, nationalistes, patriotes et anti-mondialistes et globalistes de Davos, il s’ouvre une fenêtre d’opportunités incroyable, car entre vous et moi, les chances de gagner un référendum sur la question de l’indépendance du Québec sont pratiquement nulles avec le bloc anglophone et l’immigration massive de Trudeau Jr depuis 2015. Les élites québécoises sont toujours enfermé dans la prison mentale de la cage à castor constitutionnelle canadienne. Le débat hystérique concernant Trump est d’une pauvreré intellectuelle désolante.

    • Avoir un président criminel ? Non jamais !
      Appartenir à une société qui accepte d’avoir un président criminel ? Non jamais !

      Il y a bien une limite à tout !

  4. Si au tournant des années 1990 les Québécois ont soutenu les conservateurs de Mulroney, c’était qu’ils voyaient une ouverture possible à une place plus convenable pour leur Etat du Québec dans un fédéralisme moins centralisateur. L’axe identitaire était à la source de cette convergence dans l’idée de réduire l’Etat Canadien. Toutefois, la tendance historique des Conservateurs à vouloir rapetisser l’Etat Canadien s’inscrit davantage, comme dans le courant Trumpiste, dans l’axe économique où l’Etat est perçu comme une entrave aux intérêts des détenteurs du grand capital, d’où, selon leur vision, devrait émaner la richesse.
    Sur cet axe, les Québécois sont depuis toujours plus à gauche.
    La tendance actuelle à supporter le modèle européen ne devrait-elle pas amener les souverainistes à lancer un réforme constitutionnel de manière à situer le Québec dans une relation du type Europe, mais avec le canada?

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *