À quelle heure l’indépendance?

Daniel Johnson, le père, premier ministre de l’Union nationale, aimait dire que « chaque Québécois est séparatiste au moins une heure par jour ». Lise Bissonnette, du Devoir, demanda 30 ans plus tard à Daniel Johnson, le fils, chef du Parti libéral du Québec, si papa n’avait pas un peu raison. Ultrafédéraliste, l’homme était ainsi projeté loin à l’extérieur de sa zone de confort. Mais un mélange de loyauté filiale et de lucidité politique le contraint à dire qu’en effet, il existait une fibre, peut-être. On pouvait compter sur lui pour ne pas tirer dessus.

Lorsque Lucien Bouchard était premier ministre et avant que ne se déclenche l’élection de 1998, il fut invité à un souper privé par le gratin du milieu québécois des affaires. Ces piliers et financiers du Parti libéral du Québec lui offraient d’appuyer publiquement sa réélection s’il s’engageait à ne pas faire de nouveau référendum sur la souveraineté, ce qu’il refusa. « De toute façon, plaida un des convives pourtant publiquement très impliqué pour le Non en 1995, avec vous, les péquistes, on perd tout le temps. »

Le pronom « on » utilisé dans cette phrase par cette personne avait une nette qualité freudienne. Avait-il lui-même voté « oui » dans le secret de l’isoloir ? Avait-il défendu le Canada en espérant que ce « on » gagne tout de même ?

Dans l’histoire politique récente, on a testé une fois la limite supérieure de l’horlogerie indépendantiste cachée des Québécois. Dans l’année suivant l’échec de Meech — donc le refus par le Canada de reconnaître même au Québec un caractère « distinct » —, jusqu’à 67 % des Québécois se disaient prêts à déguerpir, chiffre qui atteignait 72 % dans un sondage interne de Créatec réalisé pour le PLQ. Deux conditions étaient alors réunies : une réelle colère contre le Canada et la disparition presque complète des voix fédéralistes au Québec, le PLQ ayant alors adopté une position volontairement équivoque.

L’impression qui s’est dégagée de l’évolution de l’opinion depuis ce moment est un net recul, bien sûr, de la volonté souverainiste sous les 40 %, mais surtout un renforcement d’une majorité fédéraliste robuste, de plus de 50 %.

Un récent sondage Environics pour la Confederation of Tomorrow vient remettre beaucoup de mou dans les engrenages de notre horloge nationale interne. Plutôt que de forcer les répondants à choisir entre les deux pôles, souverainiste et fédéraliste, le sondeur leur a laissé toute latitude pour exprimer leurs indécisions et ambivalences. Chez les francophones, la posture favorite est « entre les deux » (25 %), ex aequo avec « aucun des deux » (25 %). Si on ajoute les 9 % qui ne savent même pas s’ils sont pour, contre, entre deux ou aucun des deux, cela donne 59 % de francophones errants dans le no man’s land de l’avenir national. (Les autres ? 18 % de « principalement fédéralistes » et 22 % de « principalement souverainistes ».)

Pourquoi est-ce une bonne nouvelle pour les indépendantistes comme moi ? Parce que cela signifie que le terrain est meuble chez 60 % des francos. Que rien n’est figé. Qu’on est toujours dans le domaine du possible. Mieux encore, la situation est exactement la même qu’en 2002, l’étude reprenant les mêmes questions et obtenant en gros les mêmes réponses.

Or, que s’est-il passé après 2002 ? Le scandale des commandites — révélant que, depuis le référendum de 1995, Ottawa avait tenté de nous gaver d’identité canadienne à grand volume tout en engraissant des amis au passage. Un scandale qui, en 2005, a fait surgir du marais de l’opinion un pic d’appui à la souveraineté atteignant 62 % chez les francophones, 54 % dans l’ensemble. Malheureusement, les indépendantistes n’étaient pas au pouvoir pour profiter de cette vague. Mais la leçon reste : les Québécois peuvent sortir de l’ambivalence et de l’incertitude. Ce n’est pas, chez eux, un état permanent.

En observant l’évolution de ces chiffres sur 20 ans, on peut, comme l’a fait le collègue Philippe Fournier dans L’Actualité, braquer le projecteur sur la moitié vide du verre : alors que les jeunes de 2002 étaient à 25 % souverainistes, ils ne le sont plus, en 2023, qu’à 12 %. La moitié pleine du verre est pareillement intéressante : les plus de 55 ans n’étaient en 2002 qu’à 18 % souverainistes, ils le sont désormais à 28 %. L’essentiel est ailleurs : aujourd’hui, 64 % des moins de 35 ans sont dans le grand marais, comme 67 % des plus de 55 ans. Politiquement, la Coalition avenir Québec a planté sa tente à l’épicentre de cette colossale guimauve idéologique.

Je suis moins soucieux que la moyenne des ours sur la capacité des indépendantistes à mobiliser la jeunesse au moment du rendez-vous référendaire, car on a joué dans ce même film en 1995. Les reportages sur la désaffection des jeunes (et des artistes) étaient légion quelques mois avant le vote. Mais plus la température politique montait, plus ils étaient au rendez-vous. J’estime que la similitude entre l’expérience du jeune adulte devenant autonome et celle de la nation québécoise quittant la maison canadienne est telle que, dans le feu de l’action référendaire, la jonction se fait d’elle-même.

Il y a 20 ans, je sillonnais le Québec avec une conférence intitulée « Pourquoi la souveraineté est probable ». Si je la refaisais aujourd’hui, je l’intitulerais « Pourquoi la souveraineté est possible ». Et lorsque des gens, souvent un peu âgés, m’abordent au supermarché pour me demander s’ils vont voir l’indépendance de leur vivant, je leur réponds : faites-vous de l’exercice ?

Un historien analysant l’évolution des choses dans un Québec indépendant advenant d’ici, disons, 50 ans, devrait à mon avis choisir l’élection de 2022 comme un tournant. C’est le moment où le Parti québécois n’est pas mort. Le moment à partir duquel on a cessé de prédire son décès et commencé plutôt à s’interroger sur l’ampleur de sa croissance future.

C’est essentiel pour deux raisons. D’abord, dans les années arides pour la souveraineté, le PQ est la flamme pilote de notre chauffe-eau politique. Il peut se passer des heures sans que vous en ayez besoin, puis, soudain, cette petite flamme nourrit toute une chaufferie. Sans elle, toutes les douches seraient glaciales. Ensuite, tout se passe comme si le long deuil de l’échec référendaire de 1995 devait passer par une phase de rejet, comme si l’existence même du PQ incarnait le reproche permanent de la dernière fois où « on » s’est dit non. Cette expiation semble avoir pris fin, et laisser place à une nouvelle phase, à un rallumage.

Il faut évidemment deux conditions pour réaliser un grand changement. L’existence d’une volonté politique, d’abord, l’émergence d’une conjoncture favorable, qui survient grâce à nous ou malgré nous, ensuite. Et à ceux qui m’avouent faire de l’exercice et insistent pour que je les éclaire davantage sur notre avenir, je réponds que pour l’essentiel — la conjoncture —, nous sommes à la merci de l’imprévisible.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

5 avis sur « À quelle heure l’indépendance? »

  1. « je réponds que pour l’essentiel — la conjoncture —, nous sommes à la merci de l’imprévisible. »

    Ça toujours été le cas à mon humble avis, ce qui m’apparait très circonstanciel car un Québec souverain serait à la merci d’une conjoncture défavorable, de « l’imprévisible » et revenir à l’état original. C’est une base très fragile pour bâtir quoi que ce soit.

    Je fais parti des « aucun des deux ». Je considère que la notion de souveraineté effective des pays s’égraine chaque jour un peu plus face aux « village global » que nous sommes devenus et j’essaie de comprendre comment, souverain ou non, nous allons échapper aux abus qui seront fait avec l’intelligence artificielle ailleurs et ici, aux impacts des changements climatiques, du mouvement des populations vers des lieux qui leurs permettent de vivre, l’économie globale, l’accès aux ressources qui s’épuisent, etc. pour ne prendre que quelques exemples.

    Les enjeux locaux sont ce qui font élire nos gouvernements mais nos gros problèmes sont globaux.

  2. LISÉE ET LA GRANDE SUBLIMATION DE L’IMPUISSANCE DU PQ

    Dans votre chronique du 29 avril dernier intitulée « A quelle heure l’indépendance ? », vous écrivez à la toute fin de celle-ci :

    « pour l’essentiel — la conjoncture —, nous sommes
    à la merci de l’imprévisible ».

    Oui, en termes de conjoncture (et de conjectures) nous sommes à la merci de l’imprévisible, du meilleur comme du pire…

    Ceci dit, s’il est vrai que le PQ n’est pas mort, il n’est pas fort non plus, ayant perdu les deux tiers de ses députés et 15 % de son vote lors de la dernière élection.

    Et comme vous le savez sans doute, les victoires morales c’est depuis toujours la grande sublimation de l’impuissance péquiste.

    Pour moi, il est clair que le petit rebond (rebond par rapport aux sondages préélectoraux ; pas par rapport à l’élection de 2018) du PQ en 2022 ressemble davantage à un réveil entre deux bâillements qu’à une résurrection.

    Enfin, il est plus que probable que ce rebond ait davantage l’allure de celui de l’Union nationale de 1976, par rapport au résultat électoral de1973, que l’allure rédemptrice que vous lui prêtez… et que l’avenir du PQ de Paul St-Pierre Plamondon épousera in fine la même trajectoire post élection 1976 que celle qui a conduit, quelques années plus tard, l’Union nationale de Biron sur le chemin des cimetières politiques.

    Il ne restera plus, alors, pour boucler la boucle, à Paul St-Pierre Plamondon, qu’à rejoindre QS, comme Rodrigue Biron autrefois avait rejoint le PQ (Hi ! Hi ! Hi !).

    Consolez-vous donc ! (?) : Vous aurez été, en 2018, au Paul St-Pierre Plamondon de 2022, ce que le Mario Beaulieu de 1973 a été au Rodrigue Biron de 1976. C’est comme cela que l’on rentre dans l’histoire…

  3. Ne pourrait on pas faire l’indépendance du Québec par un vote au 2/3 de la députation à l’assemblée nationale?
    Je suis tanné de convaincre des gens qui n’ont absolument aucune connaissance en politique et encore moins de l’histoire du Québec et du Canada.
    Et quand des gens me disent que ça va dépendre de la question, alors là je me que ces gens là sont véritablement des fédéralistes
    Décourageant

  4. Une question que je me pose: Qu’est ce que les États ont tant a perdre de laisser une partie du territoire et de la population devenir indépendant ? Qu’a à craindre l’Inde de l’indépendance du Kashmire ? La Catalogne de l’Espagne ? L’Écosse de l’Angleterre ? chiffre t-on la perte en terme de PIB ? Des ressources premières ? Y aurait-il catastrophe ? Pourquoi cet entêtement à refuser l’autonomie de son voisin ? Ici au Canada il y a évidemment la question géographique, il y aurait carrément un cassure territoriale entre l’ouest et l’est. Ou est ce que ce ne serait qu’un détail, un aménagement trans-frontalier ? Bien sûr je m’imagine difficilement le Kébec sans l’intégralité de son territoire avec toutes ses ressources y compris évidemment la production hydro-électrique. Nous devons donc favoriser les aménagements financiers avec les autochtones pour compenser le partage du territoires qui leur a été enlever. Ou peut-on arriver à nous défaire de la MINABLE loi canadienne sur les « Indiens » (par l’indépendance ) et que ceux-ci, les autochtones deviennent des citoyens à part entière du Kébec et de faire en sorte qu’ils atteignent un niveau de vie respectable partout au pays. Enfin, cela dit, je fais de l’exercice, Mais je ne suis pas tellement optimiste. La race humaine est figée…Même si comme le disait un certain philosophe kébécois du nom de Falardeau,  » Les boeufs sont lents mais la terre est patiente ».

  5. Merci M. Lisée pour votre clairvoyance. Je me sens la plupart du temps « un exilé de l’intérieur » Grâce à vos articles et votre participation aux mordus de politique, je sens renaître en moi la petite flamme pilote.

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