Au nom des hommes et des femmes

J’ose sortir du placard. Je suis un homme. Voilà, c’est dit. Advienne que pourra. Je suis conscient que mon genre n’est pas valorisé par les temps qui courent. Pire, le fait d’être un homme ou une femme ne se déclarant pas d’une orientation autre qu’attiré par le sexe opposé ne fait pas recette. La tendance est au fluide, au non-binaire, au trans, au non-genré. (Oui, je vais parler des Gémeaux. Soyez patients, je me réchauffe.)

Remarquez, je ne dis pas que je suis cis ou cisgenre. Pour les retardataires, ce sont les mots qu’on nous propose pour qualifier notre condition d’hommes et femmes dont l’identité de genre correspond au genre assigné à la naissance. Il y a aussi « personne avec un vagin » et « personne avec un pénis ». Ce qui permet d’inclure dans cette novlangue les hommes menstrués et enceints, dont l’existence affirmée justifierait qu’on oblitère de notre vocabulaire les dénominations désormais archaïques d’homme et de femme. Ne sont-ils pas précisément des hommes trans et des femmes trans ?

N’ayant jamais été consulté au sujet de ces changements, je n’y adhère pas. Suis-je réfractaire au changement ? Vous me savez indépendantiste, écologiste, social-démocrate, férocement opposé au capitalisme prédateur et aux inégalités de condition sociale, de sexe ou de race. J’ai plusieurs fois fait le défilé de la fierté gaie, plaidé et voté pour la reconnaissance de l’état civil des trans, passé ma vie à vouloir changer le réel. Pourtant, je n’adhère pas en soi à chaque changement qu’on nous propose. Ce n’est pas parce que c’est nouveau (exemple : les cryptos) que c’est du progrès.

Donc, on vient de nous annoncer qu’il n’y aura plus, aux Gémeaux, de prix de la meilleure actrice et du meilleur acteur. Les prix des meilleurs chanteurs et chanteuses ont déjà disparu aux États-Unis. La contagion guette le prochain gala de l’ADISQ. Depuis cette annonce, j’entends plusieurs voix affirmer : « Pourquoi pas ? » On ne distingue pas par genre les réalisateurs, les preneurs de son, les scénaristes. Dans cette logique, les prix féminins et masculins seraient un reliquat du passé qu’il faudrait désormais limer.

La vraie raison est ailleurs. On supprime ces catégories parce qu’une partie de la population ne s’y reconnaît pas, soutient-on.Il y a au Québec, nous apprend Statistique Canada, une écrasante majorité de la population qui, dans le secret du recensement, ose encore se déclarer « homme » ou « femme ». Du 0,23 % restant, 0,14 % des répondants sont des trans qui se déclarent soit homme, soit femme. C’est d’ailleurs le but de l’exercice trans : changer de catégorie. Il ne reste que 0,09 % de la population à se déclarer non-binaire. Est-on d’ailleurs certain qu’une chanteuse queer refuserait d’être sacrée meilleure chanteuse de l’année ?

Bref, les catégories masculine et féminine disparaîtront dans l’éventualité où serait mise en nomination une personne issue de cette micropopulation. Si on tient à l’inclusion, pourquoi ne pas ouvrir une catégorie « meilleur premier rôle non binaire » et attendre le jour où il y aura suffisamment de candidats pour déclarer qui gagne ?

Je pose une autre question : « Pourquoi ? », Oui, pourquoi nous enlève-t-on le plaisir que procure les prix féminins et masculins ? Pourquoi réduit-on de 50 % les chances de victoire des nommés ? Pourquoi retire-t-on du domaine public un des lieux où l’égalité des hommes et des femmes était établie, certaine, célébrée à chaque remise de prix ?

On donne davantage de place aux acteurs et aux chanteurs qu’aux cinéastes et aux monteurs, car ce sont eux, et elles, qu’on regarde et qu’on écoute, qui incarnent le drame et la comédie, qui portent l’émotion. C’est devant elles, et eux, qu’on passe des heures dans des salles obscures et devant le petit écran, qu’on se masse dans les festivals et les salles de concert. Ce sont leurs voix qui nous accompagnent dans nos salons et nos cuisines, en voiture et pendant le jogging.

Nous les savons portés par des équipes immenses et acceptons de patienter (soyons honnêtes) pendant que des prix sont donnés aux accessoiristes et aux magiciens des effets spéciaux. Mais ce sont ces hommes et ces femmes, compagnons et compagnes de nos vies quotidiennes, qui nous intéressent vraiment, pas leurs équipes. (À part Dolan et Villeneuve, évidemment.)

Mais, rétorquera-t-on, on a toujours mis les animateurs et animatrices dans la même case. Vrai, mais ils sont peu nombreux et jouent tous, en définitive, le même rôle. Ils ne vendent pas de rêve, ne nous emportent pas dans d’autres mondes.

Alors oui, c’est scandaleux, qu’on nous coupe notre plaisir en deux. Sur ma lancée, j’ose aussi affirmer que la célébration des chanteuses et des actrices, des chanteurs et des acteurs, est aussi un hommage rendu à la condition de femme et d’homme, au talent, à la sensibilité, à la personnalité et à la beauté. Ces nominations, ce concours de présence sur les planches, à l’écran et en musique, sont des révérences faites à l’existence et à la différence de chacun des sexes. À la femme la plus extraordinairement femme et à l’homme le plus extraordinairement homme cette année-là, dans ce champ d’expression là.

On dit du communisme que c’est un humanisme qui a mal tourné. Une bonne intention, égalitaire, devenue cauchemardesque. La bonne intention d’inclusivité qui motive certains des changements qu’on nous impose doit-elle nous conduire à des adaptations qui répondent à ces besoins nouveaux ? La réponse est oui.

Mais la volonté de « non-genrer » toute la société, même dans l’expression artistique, où s’incarne comme nulle part ailleurs la sensualité différenciée des sexes, la complémentarité des angles et des courbes, le choc de la virilité et de la féminité dans toutes ses nuances, n’est rien d’autre qu’une négation d’un aspect essentiel de la condition humaine. Un aller simple vers le déni du réel, vers une terrible homogénéisation, une volonté de limer les différences d’une des plus grandes expressions de la diversité qui soient : l’existence d’hommes et de femmes.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

4 avis sur « Au nom des hommes et des femmes »

  1. J’avoue que vous lire Jean-François Lisée me donne de l’espoir. Pour mettre la lumière sur des personnes qui ne se sentent pas bien dans leur attribution de sexe à la naissance, on pénalise la majorité des êtres humains en leur enlevant leur droit d’être identifiés comme femme ou comme homme. C’est ainsi qu’il en est depuis toujours et j’espère qu’il en sera toujours ainsi, tout en respectant qu’il y ait des exceptions qui ont droit à leur différence.

  2. Bof !
    Ce que tu peux être réac, Jean-François !
    Les Américains le font, fais-le donc !
    T’es donc pas woke ! Pas inclusif !

    Dans le fond, on s’en fout des galas, on ne les regarde plus. Les gens préfèrent les téléréalités avec de vrais gars et de vrais femmes sexy, du moins physiquement.

    Valérie Plante, elle, est progressiste. Pour accommoder l’infime minorité de trans et de non genrés, elle transforme les vestiaires sportifs en vestiaires dits universels. Par exemple, à la piscine du Centre Claude-Robillard, les douches communes, pour les hommes d’un côté et pour les femmes de l’autre, disparaîtront pour être remplacées par des douches individuelles. Mais puisque cet aménagement prend beaucoup plus d’espace, le nombre total de douches sera diminué, ainsi que le nombre de casiers. Parce qu’il faut aussi construire des cabines de déshabillage. Cela ne sera pas pratique dans les heures de grande affluence et pendant l’été. La majorité en subira les conséquences. En plus de causer la fermeture des vestiaires pendant des mois. Mais c’est le prix de l’inclusivité, qui se compte aussi en millions, que la mairesse fera payer aux Montréalais.

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