Avenir du PQ: Bock-Côté et Lisée passent à table !

C’est le rédacteur-en-chef du journal Échos Montréal qui nous a obligés à croiser le fer, sur les questions — lourdes — de l’avenir du Québec, de la langue, de la CAQ et du PQ. Dans son commentaire (voir plus bas) Carl Bergeron nous présente comme des « gaullistes par défaut ». Je ne sais pas ce que Mathieu en pense, mais j’ai décidé que c’était un compliment.

Voici ce que ça donne:

Avec la fin d’une année et le début d’une autre, l’exercice de la prospective succède à celui du bilan. Que nous réserve la politique québécoise en 2012 ? Échos Montréal a eu l’idée d’inviter le journaliste Jean-François Lisée à se joindre à son chroniqueur politique Mathieu Bock-Côté pour une table éditoriale sur les tendances lourdes du moment. Étincelles.

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Échos : Caisse de dépôt et de placement, Banque nationale, Canadiens de Montréal. Les symptômes d’une crise linguistique s’accumulent, surtout à Montréal. Pourquoi ?

Credit-Sébastien-Côté-Échos-Montréal1

 

 

L’optimiste et le pessimiste. Décidez qui est qui. Photo Sébastien Côté, Échos Montréal

Jean-François Lisée : C’est la résultante d’une dizaine d’années de démission politique, économique et publique. Des dirigeants canadien-français de grandes institutions se sont fait happer par la mondialisation anglophone et, s’ils avaient auparavant des réflexes de protection du français, ils les ont délaissés au cours des dix dernières années. Chez toute une partie de l’élite montréalaise, c’est donc l’esprit même de la loi 101 qui a été perdu. Certains, habitués à ne pas sortir de leur milieu, s’étonnent que leurs propres employés trouvent anormal le fait d’avoir à travailler en anglais à l’interne. C’est une situation qui s’est aggravée avec la démission politique ambiante, dont le gouvernement de Jean Charest est l’un des grands responsables. Démission publique, enfin, parce que les gens ne réclament plus avec la même force d’être servis en français, ils se sont un peu déresponsabilisés. Ils s’attendent à ce que ce soit l’État seul qui se charge de la protection du français.

Mathieu Bock-Côté : C’est le coût de l’échec de l’indépendance que nous sommes en train de payer. L’héritage politique associé la Révolution tranquille, avec son modèle de nationalisme linguistique, est en train de se fissurer. Au milieu de ce nouveau cycle politique, d’anciennes pathologies culturelles, comme le complexe d’infériorité relié à la langue, sont en train de resurgir. La droite de Québec en est un bon exemple : elle revendique le bilinguisme et rejette l’idée d’une société québécoise qui ferait du français la norme légitime des rapports sociaux et économiques. À Montréal, les symptômes d’affaissement du référent national se retrouvent chez la gauche multiculturelle. Au nom de la diversité, de la mondialisation, on cherche à affranchir la métropole de l’espace québécois.

Échos : Jean-François Lisée, vous dites qu’il y a déresponsabilisation de la société, que les gens hésitent à faire respecter leurs droits. Mathieu Bock-Côté parle de fin de cycle. Le Québec est-il épuisé culturellement ? Est-il sous le coup d’une « fatigue culturelle » ?

J.-F. Lisée : Il y a peut-être un cycle, mais il n’y a pas d’épuisement culturel. La période de 1977 à 1995 a été l’occasion de gains réels, surtout politiques et économiques. Depuis, nous assistons à un relâchement de l’effort. Mais je ne suis pas fataliste. La situation pourrait très bien se retourner. La résistance de la société civile francophone est très grande. Selon tous les sondages, les Québécois croient que le français est en péril à Montréal et cette préoccupation chez eux est constante, elle ne fléchit pas. Ça montre bien que le corps social québécois refuse la démission, qu’il est en train de se remobiliser. Est-ce que ça va se traduire par une majorité parlementaire lors des prochaines élections ? C’est là qu’est toute la question.

M. Bock-Côté : Je crois que l’épuisement se remarque au fait que le sentiment national est devenu une affaire de classe sociale : celle des baby-boomers. Leur principal véhicule politique, c’est le Parti québécois. Or, le PQ est en voie de déclassement depuis quelques années. Il est en train de subir le sort de l’Union nationale (NDLR : l’Union nationale, naguère un véhicule politique nationaliste important, a été marginalisé par l’arrivée du Parti québécois). Pour moi, la question est de savoir comment le nationalisme linguistique et identitaire peut survivre au déclassement du souverainisme tel qu’on le connaît. La capacité de porter les préoccupations identitaires au niveau politique me paraît extrêmement réduite dans les circonstances actuelles. Jean-François, permets-moi de te poser la question : est-ce que tu es prêt à envisager la disparition du PQ ? Est-ce que dans ta lecture des choses, c’est quelque chose de possible ?

J.-F. Lisée : Non… Absolument pas. Si des élections avaient lieu aujourd’hui, peut-être. Mais je ne crois pas que le PQ connaîtra le sort du Bloc québécois, par exemple. Daniel Johnson père disait : « Tout Québécois est séparatiste une heure par jour. » Quand Claude Garcia dit : « les souverainistes, il faut non seulement les vaincre, il faut les écraser », les Québécois se rebiffent et ne l’acceptent pas. Jean Charest l’a parfaitement compris : il fait bien attention de montrer du respect pour les souverainistes. Le revers du 2 mai dernier était majeur, mais le coeur du souverainisme est à Québec, pas à Ottawa. Les Québécois ne souhaitent pas que les souverainistes soient écrasés.

Échos : Le souverainisme rappelle aux Québécois leur parcours historique, il recèle une dignité particulière que n’ont pas les autres partis.

M. Bock-Côté : La souveraineté est en tout cas en train de redevenir une simple carte dans notre jeu, qu’on peut utiliser comme un idéal lointain mais qui ne figure plus dans un horizon rapproché.

J.-F. Lisée : De toute façon, la situation n’est pas prévisible en ce moment. Je sais que M. Charest espère ouvrir une fenêtre électorale pour ce printemps, il va travailler très fort pour ça, mais à mon avis il va échouer. Et donc, elles risquent d’être reportées à l’an prochain. L’an prochain, pensez-y, c’est une éternité. Une éternité dans un Canada conservateur, qui agit de plus en plus comme repoussoir, avec Harper, le Jubilé de la Reine, le débat sur l’avortement, la construction de nouvelles prisons. Si vous ajoutez les accommodements raisonnables, les conflits linguistiques, ce sont tous des thèmes sur lesquels le PQ a le monopole et qui pourraient changer la donne d’ici un an.

Échos : Et François Legault ?

M. Bock-Côté : Legault me semble avoir compris un point essentiel, à savoir que le Québec actuel n’est pas à rêver, mais à réparer. C’est un sentiment qui prédomine dans la population. Avec son diagnostic d’une société en délabrement, il porte donc quelque chose de réel, un désir de dépasser pour le meilleur mais surtout pour le pire, je crois, la coalition nationale telle qu’on l’a connue ces dernières décennies. Il est un nationaliste passif, qui accepte la notion de « Québec d’abord » mais qui n’assume pas les combats du Québec identitaire. C’est le parti du Québec inc., pas celui des PME. Il lui manque un enracinement dans le Québec réel, qu’on trouvait par exemple dans l’ADQ de Mario Dumont. La synthèse qu’il opère n’est pas optimale. Mais son souci de s’élever au-dessus des étiquettes et de réparer le Québec est en phase avec l’électorat.

J.-F. Lisée : Sur la question identitaire, si elle continue à être saillante, et je crois qu’elle va continuer à l’être, les gens vont tranquillement se rendre compte que François Legault ne fait pas le poids. Parce que ça ne l’intéresse pas. Ce qu’il dit là-dessus, c’est de la décoration.

M. Bock-Côté : Je suis d’accord. Reste à voir s’il peut faire la preuve du contraire.

J.-F. Lisée : Il croit que l’économie est importante mais il ne croit pas à l’importance de l’identité. Pour lui, l’identité, ça ne fait pas partie des « vraies affaires ». Il y a seulement le Parti québécois et Québec solidaire qui disent le contraire. Si le PQ est habile, il peut reprendre le pôle ; s’il est malhabile, il ne le reprendra pas. Dans ce dernier cas, on se retrouverait avec la CAQ quatre ans au pouvoir ou, pis, avec Jean Charest.

Propos recueillis par Carl Bergeron

Le commentaire du rédacteur-en-chef:

Billet

L’optimiste et le pessimiste

Carl Bergeron

L’un est journaliste, l’autre sociologue. Les deux partagent néanmoins le même sentiment régalien du destin du Québec. Jean-François Lisée et Mathieu Bock-Côté ont le patriotisme tranquille et obstiné des hommes qui croient au rôle déterminant du politique dans l’action humaine. Les mettre en débat, c’est ouvrir une fenêtre sur un Québec que trop d’entre nous avons tendance à oublier. Un Québec qui conjuguerait l’intelligence de son intérêt et l’espérance d’un destin.

Ce qui réunit Lisée et Bock-Côté, c’est le sens de l’État. Mais les penseurs des petites nations ne sont-ils pas gaullistes par défaut ? Hantés par la fragilité de leur société, ainsi que par l’urgence de convaincre et de gouverner, tout leur discours ne dit au fond qu’une chose : le pouvoir québécois existe. Il est légitime et porte une responsabilité historique. Il doit être exercé dans les meilleurs intérêts du Québec.

Et pourtant, si les idées rapprochent les deux hommes, le caractère les sépare. Ces souverainistes qui ont par ailleurs tant de choses en commun ont une sensibilité opposée. Lisée est un optimiste, Bock-Côté, un pessimiste. Les deux sont volontaristes mais à leur manière bien personnelle.

Un mot qu’on retrouve peu chez Lisée est celui « d’Occident » ou de « civilisation ». Il est en revanche omniprésent chez Bock-Côté, plus sensible aux phénomènes d’essoufflement culturel. D’où une vision du monde peut-être plus sombre, plus crépusculaire. La société québécoise n’échappe pas à son histoire, non plus qu’à sa perte de pouvoir dans l’ensemble canadien. Elle est également soumise aux grands courants occidentaux, qui vont dans le sens d’une désaffection pour la chose publique.

 

Bock-Côté comme Lisée sont à tout le moins d’accord sur un point capital : en politique, tout peut se retourner. C’est en définitive aux hommes de décider de leur avenir. 2012 sera-t-il le théâtre d’une riposte civique ? Optimistes ou pessimistes, les acteurs sont prêts !

Reproduit avec la permission d’Échos Montréal, vol.19, no1, janvier 2012, p.8-9